DESSOUS-DESSUS Habiter le sol de Saint Louis – Consolat Récit # 5

Mardi 20 février 2024

Nous voulions changer un peu de format pour cette nouvelle exploration et avions proposé un déjeuner à 12h dans la nouvelle auberge de jeunesse, le QG, chez Charlotte à La Cabucelle. Elle nous a reçus dans son jardin car le temps très ensoleillé s’y prêtait à merveille. Nous avons eu droit, cependant, à une belle visite du lieu. Nous n’étions pas très nombreux.ses : Charlotte bien sûr, Marc, Marion, Samanta, Agnès (qui vous raconte) et …Paco que nous avons amené de chez lui. Marc nous a régalé•es de petites choses trouvées à St Louis, se souvenir de l’adresse !

C’était une bonne entrée en matière. Puis en voiture, nous sommes allé•es retrouver Arlette, Melvil et Fadila qui nous attendaient au musée de la réparation navale au Cap Pinède.

Ouh la la, quelle erreur, nous nous sommes d’emblée fait reprendre ” il ne s’agit pas d’un musée, mais d’une exposition permanente” nous dit un grand Monsieur jovial en nous tendant sa carte de visite.

  • -Quoi, comment Monsieur Terrin, lui-même ?

-Eh oui, c’est mon arrière grand père qui a créé la société TERRIN, devenue SPAT (Société Provençale des Ateliers Terrin).

Nous sommes également attendu•es par ceux qui vont être nos guides, avec leurs airs de vrais marins.

Où l’on reconnaît Yves Juvin, un complice à Miramar.

Où l’on voit aussi un jeune garçon en formation de menuisier dans la marine. Ce qui nous donne l’opportunité de présenter Paco, notre nouvel ami de 90 ans. Car c’est aussi en partie grâce à la rencontre de ce menuisier sur les bateaux que nous nous retrouvons ici.

La rencontre pourrait se passer dehors, tant nous avons de choses à nous dire, l’atmosphère est à la bonne humeur.

Finalement, nous entrons, et là nos guides se transforment. Subitement, ils redeviennent ces travailleurs de force qu’ils ont été jusqu’en 1978, date à laquelle la SPAT a fermé ses portes, laissant près de 6000 ouvriers sur le carreau (lire récit #3).

Une quarantaine de ces hommes (nous sommes complètement immergé•es dans le masculin) décide de ne pas laisser péricliter leur outil de travail et fonde cette exposition sous l’égide de François Vidal, prêtre ouvrier de la Fraternité de St Louis.  Dans notre déambulation, nous passerons devant une sorte d’autel qui lui est dédié, en tant que fondateur.

En gros, nous arpenterons 3 salles plus ou moins bien délimitées où les thèmes déclinés sont aussi variés que les emplois, depuis le calfatage des temps anciens jusqu’à la fabrique des hélices les plus grandes du monde. A force de maquettes, de photos, d’explications nous finirons par visualiser la jumboïsation des ferrys, l’arrivée d’un navire dans une forme de radoub, les luttes ouvrières qui ont parsemé les parcours.

Yves Juvin nous installe au poste de conduite d’une grue, nous fait faire les gestes du grutier, raconte les accidents qu’il a eu à subir…

Et puis le clou : ils décident de faire fonctionner le moteur d’une grue unique en son genre, celle qui a permis de récupérer des caissons de pierres énormes, au port de la Lave, afin de construire la digue du large. Celle-là, ils ne la mettent pas en marche pour tout le monde, seulement s’ils sentent qu’il y a un intérêt de la part du public.

Nous, il y a longtemps que nous sommes écrasé•es par les hauteurs, les milliers de tonnes transbordés, les tailles des bâtiments. Tout se décrit par des chiffres astronomiques.

Mais subitement, voir ces rouages en fonctionnement où la bielle mesure 3 fois mon avant-bras (j’exagère, mais pas tant que ça), cela nous fait pousser des oh et des ah de bonheur, de surprise. “Encore, encore !!” Et hop, c’est reparti pour un nouveau tour de vilebrequin bien graissé.

Vous aurez compris que nous avons vécu un moment assez particulier et que nos guides aussi. Fait de joie mais également du souci de la bonne transmission, de la bonne compréhension. Même si, au moment des hélices, nous avons presque toutes un peu perdu pied. Marc et Paco avaient l’air d’être encore en état d’absorption.

Nous nous sommes quitté•es après moult mercis, aux revoirs et photos de groupe promises prises par un des leurs.

La question est d’ores et déjà posée : qu’adviendra t’il de ce lieu après eux ?

DESSOUS-DESSUS Habiter le sol de Saint Louis – Consolat Récit # 4

Une lettre mystérieuse, la grotte inondée, l’eau potable des bateaux, les femmes du sud et le séminaire squatté…

La lettre à indices

On s’est réuni comme d’hab, au bar Terminus, soleil et café, Charly nous accueille toujours avec le sourire.

Charlotte, habitante de la Calade, a reçu un petit cadeau, très soigneusement emballé, mode missive à indices : des photos et une lettre de son voisin Guy. Une autre aventure commence… On est toustes excité•s, on se prend un peu pour Columbo ! Elle nous lit la lettre…

En l’an 2000, Laure Giraud était peintre, elle habitait dans l’actuelle maison de Charlotte, et en période faste, expo et vente, elle accumulait des photos et des croquis de la Calade et ses alentours avec un but artistique. Très intéressée par mes souvenirs, elle m’a posé beaucoup de questions autour de l’hôpital Houphoüet-Boigny et du couvent des Frères Blancs, congrégation espagnole bien implantée à la Calade […]. Un soir que nous parlions des sources et des cours d’eau cachés dans le quartier, elle m’a indiqué sa visite à la grotte des Frères, au fond de l’impasse Bertrand, sous la maison de Mme Machado. Lors de sa visite chez Mme Machado, elle n’avait pas son bon Nikon. Je me souviens avoir promis à Laure de lui ramener des photos, mais peut-être que finalement j’ai simplement offert les négatifs à Laure avant Noël (moi avec mon petit Kodak je n’ai eu finalement que peu de problèmes, grâce à ma lampe de poche!).

J’ai laissé deux photos à Mme Machado

Extrait de la lettre de Guy à Charlotte

Mme Machado m’a raconté par bribes ses préoccupations à propos de cette crypte : visites nocturnes depuis son veuvage, disparition des objets liturgiques et ex-voto, certains très récents, jusqu’au début des années 90′. Elle était fière d’avoir sauvé le St Antoine de Padoue. La caverne a servi aussi d’abri, lors des bombardements de la libération de Marseille, en septembre 41′.

Les Frères de la Calade

Alors que Agnès et Samanta restent très motivées à trouver tout ce qui peut rester de sous-terrain et passages secrets dans le quartier, cette histoire est une magnifique invitation pour aller chercher la grotte! Et la lettre donne aussi d’autres infos… Guy nous informe que le bâtiment a été laissé vide après le départ des frères en Afrique dans les années 40 et 50) et qu’il avait ensuite été utilisé en tant que bâtiment municipal à divers usages sociaux jusqu’à sa fermeture autour de 2010.

Dans une de leurs balades d’explo, elles étaient justement allées à l’actuelle école des infirmières (ex hôpital Hophouët -Boigny) pour chercher des pistes sur l’histoire du grand bâtiment vide dit du Petit Séminaire, à côté de Campagne Lévêque. La dame du centre de documentation leur avait parlé du livre d’Etienne Calamai “Le Cap Janet”. Charlotte, décidément bien documentée, était venue ce jour là avec le même livre!

Effectivement, on trouve la partie manquante de l’histoire, qui fut pourtant notre point de départ : le Mouvement des Squatters.

Après la guerre, de 1946 à 1950, une dizaine de familles s’installèrent en squatters dans certaines pièces inoccupées, malgré les Frères qui ne voulaient pas les faire chasser par la force mais qui eurent beaucoup de mal à négocier leur départ“.

Nous avons ainsi la confirmation que c’est bien ce bâtiment qui complète le triangle des 3 squats, conjointement avec le château Consolat et la Villa Tornesi. Et c’est le seul encore debout… (lire récits précédents).

La maison des frères de la Calade, extrait du ivre d’Etienne Calamai

Puis on s’est mis en marche pour aller à la recherche de la grotte, guidés par Jean-Louis, natif de la Calade et aujourd’hui habitant du Cap Janet. La maison ne semble plus être habitée. Apparemment, l’entrée à la grotte est par là… On reviendra parler avec les voisins et poursuivre nos recherches aux archives.

Les femmes du sud

En marchant au quartier de la Calade, on a fait une étape dans l’association Femmes du Sud, un groupe de femmes motivées, actives à la calade depuis de nombreuses années pour s’entraider mais aussi sortir du quartier par des randonnées ou des sorties culturelles. Elles gèrent une friperie à très petits prix..

Nous avons toustes trouvé notre petit bonheur…

La balade a continué en direction de la Campagne Servaux, où nous attend l’une de nos rencontres de bord de trottoir! La descente est raide, c’est le chemin qu’empruntent chaque jour les collégiens pour se rendre au Collège Arthur Rimbaud.

La campagne Servaux

L’histoire est, encore aujourd’hui, très liée à la réparation navale. Paco Jimenez, habite là depuis longtemps, et est maintenant propriétaire d’une partie de cet ancien domaine très tôt devenu base arrière du port. Il nous raconte.

“Au départ Servaux faisait l’approvisionnement en eau potable des bateaux, puis, de la vaisselle, des transats (chiliennes). Tout tournait autour des besoins de la navigation. Il y avait aussi une corderie, avec une machine qui testait la tension des cordes. En 1984 la famille voulait me vendre le château, je n’avais pas assez d’argent, mais j’ai acheté la partie menuiserie. Je suis né à Melilla, en Espagne. J’avais 26 ans dans les années 60, quand je suis arrivé à Marseille, ils m’ont embauché tout suite comme manoeuvre. J’étais ébéniste de formation, et au bout de quelques mois le contremaître l’a vu et il m’a mis à travailler avec un architecte. Et c’est là, qu’a démarrée ma carrière. L’année suivante je suis allé chercher ma fiancée en Espagne, on s’est marié et on est revenu en France. Elle était couturière, au début c’était très dur pour elle, elle ne connaissait personne, elle parlait pas la langue, on disait, l’année prochaine on rentre en Espagne, puis les années sont passées, on a fait des connaissances, on a eu 3 enfants et on est resté.

On se promène dans la campagne Servaux.

Dans les années 80, un local qu’on appelait le Co2, remplissait les bouteilles de gaz pour différentes utilisations dans l’industrie. A côté il y avait une serrurerie industrielle. Juste en face, il y a eu un projet de supermarché, qui n’a pas eu les autorisations à cause des dimensions du pont ferroviaire, il fallait une entrée et une sortie. Dans le bâtiment contigü il y avait des douches, et des vestiaires pour les femmes qui travaillaient dans les cordes, elles étaient une trentaine. Et un peu plus haut un atelier mécanique de réparation navale.

L’ex Campagne Servaux accueille toujours des ateliers de réparation navale, ici un atelier de peinture d’Alstom

Paco continue son récit :

La menuiserie a été reprise par mon fils, André. Il avait fait des études de serrurier, je l’avais embauché comme serrurier, mais avec tout ce qu’il y avait à faire avec le bois, je l’ai formé et après il m’a remplacé. Mais il est décédé très jeune, à 52 ans, donc j’ai repris le travail à 65 ans jusqu’à 80 ans. La menuiserie comprenait un local de montage, un local de vernissage et un local pour les outillages. Quand j’ai arrêté, j’ai mis tout en location et maintenant il y a diverses activités, plutôt artisanales.

Nous n’avons pas complètement compris qui est à l’origine de la société Servaux, qui semble avoir été créée dans sa forme initiale sous forme coopérative en 1912 par des armateurs et dans un besoin initial militaire (Servaux veut dire “SERvice AUXiliaire de l’armement”. Un des premiers besoins semble avoir été l’eau! Et ce qui semble attesté c’est qu’à Campagne Servaux au départ on mettait de l’eau douce en bouteille pour les navires. Au fil du temps cette fonction de super fournisseur s’est diversifiée vers d’autres types de produits (le mobilier, la vaisselle, le matériel de sauvetage et de ravitaillement) et d’autres types de bateaux . Au détour des souvenirs c’est l’image du “transat” qui est à plusieurs reprises revenue. et ils ont fini par devenir fabriquants de bateaux. Ils ont construit aussi les 6 maisons à l’arrière de la campagne, pour les contremaîtres. On rencontre l’un des actuels habitants, dont les parents ont pu racheter la maison quand l’entreprise a vendu en morceaux la campagne. Aujourd’hui Servaux qui n’est bien sûr plus un coopérative mais une grosse entreprise, se présente comme le leader mondial des services maritimes (les services pouvant désigner des biens comme des prestations). Leurs gammes d’interventions sont extrêmement vastes, puisqu’on trouve toujours le métier de départ de répondre à tout besoin d’un bateau en navigation n’importe où dans le monde, et maintenant ça veut dire beaucoup beaucoup de choses, entre marine commerciale, militaire et depuis peu un positionnement très affirmé sur le yachting !

C’est ainsi qu’ils sont aussi devenus des “rentiers du littoral “en développant sur l’Estaque et Saumaty des services liés aux besoins de la plaisance. Achat, vente, location de bateaux , ils commercialisent également des places au port et des espaces d’hivernage. Nos paysages locaux ont ainsi évolué au fil de leur croissance, avec depuis 2007 la construction de plus de 60 000 m2 d’infrastructures portuaires entre Mourepiane et L’Estaque. Comme quoi le commerce de l’eau converse avec le commerce de la terre…

Mais retrouvons Paco et son histoire.

Après, j’ai perdu le marché des bateaux, il n’y avait plus besoin de cales, à cause des containers. Il a fallu que je me trouve une autre sortie économique. J’ai rencontré une personne qui était maçon qui m’a présenté un architecte. Il est devenu l’architecte des Grands Moulins Storione, propriétaire des boulangeries Banettes. Ensemble on a fait le mobilier de toutes les Banettes de Marseille !

On a presque fini la visite, mais Mlouka veut un tour de manège portuaire…

On finit en profitant joyeusement de l’hospitalité de Paco, merci Paco!

DESSOUS-DESSUS Habiter le sol de Saint Louis-Consolat Récit # 3

Des camps, des squats et d’autres connexions possibles…

Quand on s’est donné rendez-vous au bar du Terminus au bord du Chemin de la Madrague Ville à la Calade, c’était d’une certaine manière pour remercier ce bar de quartier de l’accueil fait à Sam et Julie lors de leur petite dérive à 2, il y a quelques semaines. Mais c’était aussi pour poursuivre cette relation ténue qui rend vivant un voisinage : être à la fois à l’écoute et en recherche des lieux où un échange peut émerger, où tu te sens en “hospitalité”, en possibilité d’être mutuellement “hôtes” (le bar est l’hôte qui accueille, nous sommes les hôtes accueillis). C’est comme une sorte de recherche inconsciente d’empathie, de vibration, d’énergie.

Il faisait beau, la mini terrasse a semblé changer de taille, devenant plus vaste à chaque nouvelle arrivée! Dans cette situation à la fois si simple et un peu étonnante pour tout le monde, on a donc pris le temps, beaucoup causé, un peu marché, et les sujets abordés furent riches et abondants.

On avait aussi amené quelques livres avec nous, surtout deux : l’un qui traverse la question de l’accueil en France des populations Rroms, entre “aires d’accueil”, “squats”, “bidonvilles”, “camps”, et l’autre de récits d’habitants réunis par Nora Mekmouche autour du chemin de la Madrague-ville, ce vieux chemin qui du lycée nord descend en serpentant la pente jusqu’à Arenc. On se dit que de temps en temps on pourra s’en lire des fragments…

Extrait témoignage de Louis qui a grandi puis travaillé aux Abattoirs, Sur le chemin de la Madrague Ville, Nora Mekmouche

Agnès, la vache à Vetter et le camp des taureaux…

« Il y avait une passerelle, où toutes les bêtes passaient pour aller aux abattoirs. Mais oui, les abattoirs, c’est un camp des taureaux !”

C’est Agnès qui nous raconte une première histoire à tiroirs… Agnès a donc grandi dans l’une des grandes campagnes du quartier squattées à la fin de la guerre. Tout en vivant de manière très communautaire avec les enfants des familles nombreuses qui partageaient cette aventure, il y a bien des moments où l’horaire était fermement donné pour rentrer dans la pièce qui servait d’appartement. Agnès nous raconte alors que l’excuse donnée par son frère à ses retards était… une vache… La vache à Vetter, la vache qu’il fallait traire pour donner un coup de main au fermier voisin, au copain qui tous les jours devait prendre soin des bêtes. La vache à Vetter nous rappelle une nouvelle fois cette ville-campagne du nord de Marseille, entre port, industries, villégiature bastidaire et habitat précaire. 

Et les vaches ne racontent pas que les fermes, puisque le second souvenir que nous confie Agnès est celui de leur cris, alors que les animaux sentant l’odeur du sang à l’approche des abattoirs se mettaient à hurler ensemble sur la passerelle qui enjambe le chemin. Souvenirs de sons, souvenirs d’odeurs qui tissent toujours les anecdotes troublantes de l’enfance, comme aussi ce taureau échappé de son camp de la mort pour trouver refuge dans la cour de l’école de Marc, dont le directeur, M. Colonna, était un rescapé des camps…

L’ hôpital pour creuser la figure du “camp” et repenser à l’étymologie d'”hospitalité”

On s’est alors déplacé devant le Lycée professionnel de la Calade. On aperçoit à la fois les barres de Campagne Lévêque et le petit Séminaire toujours en place, et qui à plusieurs reprises est devenu le squat-refuge de familles Roms déplacées. On commence alors à faire des liens et à évoquer l”histoire complexe de l’Hôpital Houphouët-Boigny qui jouxte le lycée, et qui bizarrement nous ramène lui aussi à des histoires de camps, tout en déclinant l’une des étymologies d'”hospitalité”.

Il y a peu j’ai été hospitalisée et un marcheur m’a dit de regarder dans le dictionnaire historique de la langue française à la racine des mots hospitalité et hôpital, surprises à la clef. Il est utilisé pour dire “égaliser” et surtout “compenser” et dans ce traitement d’égal à égal, il donne hostis racine de hôte et de toute la chaîne de l’hospitalité. Il donne aussi hostes, racine de ennemi et de toute la chaîne des hostilités. Après 1500 ans d’usages et de glissements de sens dans la chaîne du verbe hostire, nous sommes passés de “égaliser/composer” à “antagoniser” et aujourd’hui ces sens, si diamétralement opposés, dessinent ” notre “ennemi intérieur” , fantasmé, nos barbares, pour qui décidément nous oublions les usages de hostire.

Christine Breton, Petits fronts de guerre sociale, Récits d’hospitalité #7, éditions communes
Chronologie d’un camp hospitalier en zone portuaire
Le camp anglais : en 1926, au 162 Chemin de la Madrague-Ville dans une ancienne bastide et son parc, ouvre le « British Merchant Seamen’s Hospital » dit Hôpital anglais et destiné à l’hospitalisation des marins de toutes les nationalités. Néanmoins, en 1932 l’hôpital est fermé et reste inoccupé jusqu’en 1940, date à laquelle il servira pour les troupes qui transitent par le canal de Suez pendant la seconde guerre mondiale. 
Le camp allemand : en 1943, dans cet hôpital s’installe le camp « Rommel ». L’armée allemande construit les bunkers et les galeries qui relient directement l’hôpital à la base de sous-marins (porte 4 du port) et au système de commandement. Si on regarde sur la carte, l’hôpital se trouve à seulement 10 minutes à pied de la porte 4. Des explorations sous les tunnels pour la prochaine balade? Leur existence reste à vérifier …
Le campement des ouvriers sans papiers : après la fin de la guerre, l’hôpital est désaffecté et l’ex camp Rommel va servir de campement pour les ouvriers nord-africains célbataires en situation irrégulière et qui seront à l’origine de la création du Cana (centre d’accueil nord africain) en 1950.
Le camp de transit des juifs : en 1949, le bail de l’hôpital anglais est cédé à  l’association américaine « American Joint Distribution Committee » qui organise le transit des juifs d’Afrique du Nord (Maroc et Tunisie) vers la Palestine via le camp du Grand-Arenas. Voir récit #2 “Le Grand Arenas” https://www.hoteldunord.coop/dessus-dessous-recit-2-du-mille-pattes/
Le centre des contagieux et infectieux : suite à une épidémie de variole difficile à gérer, l’Assistance publique rachète l’hôpital en 1952. Associant îlot de verdure, isolement et connections à la ville-port, il devient l’hôpital de la Calade, destiné à isoler les patients suspects d’être contagieux et à traiter les affections de haute virulence. En 1954, il est demandé de ne plus utiliser le terme “hôpital” mais d’y préférer “centre”. Les maladies tropicales y seront également traitées à partir de 1972. Puis en 1978, le centre est entièrement rénové et reprend en grande pompe le terme d’Hôpital spécialisé dans les affections tropicales et les maladies infectieuses. Il prend alors le nom d’Houphouët-Boigny, en l’honneur du Président de la Côte d’Ivoire qui est intervenu pour en encourager la création. Il deviendra également un hôpital de jour pour les malades atteints de SIDA, ce qui lui vaudra le surnom de l’hôpital des sidéens.
En 1995, les services de l’hôpital Houphouët-Boigny ont été transférés à l’hôpital Nord et les locaux, longtemps inoccupés, ont été vandalisés. Depuis 2006 il devient l’Institut régional des Formations Spécialisées en Santé.

Source Association des Amis du Patrimoine Médical de Marseille

De ces échanges autour des histoires des mots et des lieux, on se dit qu’il faudra creuser la figure du “camp” dans l’histoire de l’accueil à Marseille et du droit d’habiter. On verra d’ailleurs plus tard que quand on commence à parler du projet de village d’insertion des familles roms à Saint Henri, l’imaginaire du camp comme sorte de miroir de celui du squat est très présent. S’y apparentent aussi toutes les histoires en interstices des cités d’urgence et de transit.

La Campagne de l’Évêque

Alors c’était elle la 3ème grande campagne qui fut occupée par ce Mouvement des squatters naissant. Les barres un peu rose et très imposantes ont gardé la trace de cet évêque Mazenod qui a tant marqué l’urbanisme de la ville du 19ème siècle. L’occasion de remonter un peu le temps.

L’évêque Eugène de Mazenod acquiert cette vaste campagne en 1839. Elle devient la résidence rurale de l’évêque et son “ermitage” : « Oh que nous sommes bien à la campagne… il me semble que l’on m’a ôté un quintal de plomb de dessus les épaules » dans une lettre à sa mère. On peut retenir de Mazenod son rôle d’urbaniste… Evêque au coeur du 19ème siècle industriel, la population double pendant son épiscopat. Il construira pour accueillir cette nouvelle population majoritairement ouvrière et catholique 34 églises et créera 21 paroisses, planifiant ainsi l’organisation du territoire autour des églises qui agglomèreront les fameux noyaux villageois marseillais. Il est quand même amusant de réaliser que c’est dans son ancienne propriété que cette énorme transformation des grands ensembles va débuter!

“L’espoir des cités : en 1954, à Marseille. Rozan et Eigger gagnent le concours pour construire 800 logements au centre de la Campagne-l’Evêque. Mais ces logements, qui étaient prévus en petits immeubles intégrés aux pentes dans les premiers plans de masse, deviennent des remparts alignés sur l’axe des écoles définies par Eigger et par… les économies imposées. Pourquoi ce monopole constructif laissé à Eigger, auteur aussi du lycée Nord et de l’école sur la campagne Consolat? Pourquoi les historiens de l’architecture ne disent-ils pas que l’architecte a fait ses classes dans l’administration coloniale et les villes africaines? “On se croirait à Alger ” dit Ali, un ancien du Cana, levant la tête sous la barre-rempart. Mais le rempart de quelle ville?”

Christine Breton, L’Eglise Saint-Louis, Le Maire, l’Evêque et le Squatter mars 2010

Pour mieux comprendre ce qui s’est joué dans ce glissement vers des architectures aussi massives, on se promet de regarder ensemble le documentaire Au nom de l’urgence de Alain Dufau qui raconte cet après-guerre où militants, pouvoirs publics, architectes mais aussi industriels qui constitueront bientôt le fameux monde du BTP se mobilisent, conversent mais aussi s’affrontent sur les solutions à apporter au manque de logement à Marseille. Aujourd’hui Campagne Lévêque souffre de la plupart des maux des grandes cités, avec une place du squat version “marchand de sommeil” conséquent, une centaine d’appartements sur 800 (on trouve cet usage de locations abusives aux plus précaires plutôt dans les co-propriétés dégradées). Le quartier est depuis 2023 à l’orée d’un projet de renouvellement urbain piloté par l’ANRU.

La grande barre de 40 mètres de haut et 275 de long domine les hauteurs de Saint-Louis (15e) depuis plusieurs décennies. Elle est visible de très loin, bloquant l’horizon d’un trait gris béton. Elle a longtemps été considérée comme la plus longue barre construite d’un seul tenant en Europe. Un record non homologué qui positionne la cité gérée par 13 Habitat, le bailleur du département, parmi les candidates à ce qu’on appelle désormais le renouvellement urbain.

Pour continuer à lire https://marsactu.fr/la-longue-barre-de-campagne-leveque-candidate-a-une-mutation-dans-les-grandes-largeurs/

De la terre et des Terrin

On finit par partir marcher ! Direction la Calade, accompagné•es par l’un des récits du livre de Nora Mekmouche.

C’est vrai que je connais un peu ce quartier, la Calade, puisque j’y travaille. La Calade est un mot provençal qui signifie le mont, je crois. La calade provençale c’est le poème des pierres. Ce village était à un moment surtout habité par des dockers, des pêcheurs, ou travaillaient à Terrin, aux chantiers ou à la réparation navale. Ils habitaient dans les petites maisons et petits cabanons que l’on voit encore à la Calade. A partir de la Calade le chemin de la Madrague Ville a changé. C’était le petit chemin qui est sur votre gauche quand vous remontez le chemin de la Madrague Ville. Ce grand boulevard n’existait pas avant et n’allait pas du tout vers le Lycée Nord, de toute façon le lycée nord n’existant pas encore. A l’époque c’était vraiment un chemin et il y a encore ce petit morceau qui reste.

Extrait témoignage de Christian, Sur le chemin de la Madrague Ville, Nora Mekmouche

Au bar Terminus quasi tous les habitués ont travaillé ou travaillent encore dans les activités qu’évoque Christian, et les devantures des maisonnettes racontent souvent le travail portuaire ou industriel. Les noms de familles perdurent aussi et Terrin apparaît dans la conversation comme un propriétaire puissant et peu scrupuleux, qui urbanisera de manière spéculative ses … terrains…

C’est ainsi que petites et grandes histoires se tissent, l’anecdote de la bataille de la petite copro de la Calade où vit Marc conduisant finalement à la grande épopée de l’industrie navale marseillaise puis nationale, sur les pas de la famille Terrin. A partir d’un premier petit atelier de réparation fondé en 1890 par un ouvrier de la marine, Augustin Terrin, la famille se constituera un empire industriel sous le nom de la SPAT (Société Provençale des Ateliers Terrin), avant sa chute à la fin des années 70 qui marqua fortement ces quartiers. Il y a fort à parier que nous retrouverons les Terrin dans de prochaines balades…

En chemin on fait aussi de jolies rencontres féminines (on ne vous cachera pas que le Terminus est plutôt fréquenté par des messieurs même si nous avons été fort bien reçues…) autour d’un nouveau petit jardin partagé installé par la LOGIREM sur le délaissé inconstructible situé au-dessus du tunnel SNCF.

Nassy nous raconte avec pourtant un magnifique sourire que suite à un dégât des eaux dans son appartement dans la tour juste à côté, elle est à la rue depuis 3 mois avec sa famille. Le jardin lui permet de garder le lien avec les lieux. Leyla nous raconte son quotidien avec les arbres, et les chats qui lui sont nécessaires pour se sentir habiter quelque part.

Le squat comme pratique d’autoconstruction

Squatter est lié à l’existence de la propriété. La plupart des squats révèlent non seulement un manque de solution de logements pour certaines personnes mais souvent des situations de “vacance” côté propriétaire. Dans le cas de Campagne Lévêque le squat prolifère à partir de logements vides, la plupart des squats communautaires s’établissent dans des bâtiments abandonnés ou laissés vacants sur de longues périodes. Et souvent ces lieux ou espaces vacants appartiennent à de “grands propriétaires”, privés mais parfois aussi publics. La SNCF est un grand propriétaire foncier et pourvoyeur de délaissés aux alentours des voies de chemins de fer. Après les dessus du tunnel devenus jardins, Marc nous amène découvrir un fond de vallon dont une bonne part est propriété de la SNCF.

Le petit labyrinthe de l’autoconstruction. C’est la solidarité de voisinage qui va permettre à une famille, installée depuis 2 générations sur un terrain SNCF, de trouver un accès plus praticable que ce petit chemin d’usage.

Ces terrains furent ainsi occupés eux aussi à l’après guerre non pas pour squatter des maisons mais plutôt pour en construire. C’est l’auto-construction, celle des bidonvilles mais aussi de nombreux quartiers qui se sont urbanisés puis peu à peu viabilisés à partir de pratiques d’occupation et de construction.

On évoque alors les aspects plus juridiques qui permettraient de donner des droits proches de celui de la propriété à des personnes pouvant prouver qu’ils vivent sur un foncier depuis au moins 30 ans (prescription trentenaire). On se dit qu’il va vraiment falloir améliorer nos connaissances juridiques, à la fois sur les définitions (squat, occupation, refuge, réquisition…), les lois et règlementations qui ont orchestré ces définitions aux fil du temps, et toujours approfondir la question de la propriété.

Des Squats pour vivre

Au fur et à mesure de nos balades et de nos conversations, on voit bien que le terme de squat comprend vraiment beaucoup de situations très diverses. Ce jour-là on espérait aussi marcher avec Zidane. Zidane c’est Julie et Samanta qui l’avaient rencontré en se baladant pour préparer un peu l’exploration. Il gardiennait le petit séminaire de la Campagne Lévêque, justement suite à l’expulsion de familles roms. En causant, on s’est rendu compte de son expertise en matière de situations, de règlementations et dans les manières de faire aussi, tant du côté des autorités que des personnes squattant. On devine aussi qu’il connaît le sujet pour avoir lui-même été à la rue, ou accueilli ou louant un logement en fait squatté . On repartage alors un peu de son témoignage.

J’arrive en même temps que la police. Quand la police va virer les squatteurs, nous on sécurise le site. On a plein de sites en ce moment, à la rue d’Aubagne, à Félix-Pyat, au Bd National, à St Charles, à la Capelette.

Même des fois, il y a des français parmi les squatteurs. A la rue Curiol, il y avait 7 jeunes filles et garçons étudiants, avec aussi une famille de nigérians et deux familles algériennes. Ils étaient mélangés mais ils habitaient chacun un appartement. Ils habitaient à l’intérieur comme une famille, ils étaient gentils, ils faisaient à manger pour tout le monde, aussi pour la rue, avec la récup des légumes du marché. Mais ils ont été dégagés, c’est vraiment triste, parce que c’est des jeunes en fait. Ils ont pris l’électricité chez le voisin. Même l’huissier a dit “je ne sais pas pourquoi ils les ont virés”.

A La Capelette, c’était des jeunes aussi, ils sont restés 6 mois dans une maison avec piscine, ils ont laissé tout propre. La police est venue les expulser.

Même s’il y a des gens qui ont des papiers, ils n’arrivent pas à payer le loyer. Avec le Rsa tu ne peux pas avoir un appartement, personne ne veut te louer. Déjà moi, je suis parti, il n’y a pas longtemps, pour changer d’appartement et ils m’ont demandé un garant. Je travaille, j’ai montré les fiches de paie, les quittances de loyer, mais il leur faut un garant, il faut que tu touches 6000 € pour avoir un appartement. Moi, si je n’ai pas d’appartement je vais squatter. Il faut trouver un moyen pour les gens qui payent. Si t’as pas de parents riches, qui font garants…

Mais les roms, ce n’est pas pareil, ils détruisent le bâtiment, ils allument le feu à l’intérieur, ils enlèvent les métaux…

Extrait conversation avec Zidane (le prénom a été changé), décembre 2023

Des enfants roms et des UPE2A (Unité pédagogique pour les élèves allophones nouvellement arrivés)

Arrive ainsi la question bien clivante des occupations par des familles roms. Et alors là on se rend compte que l’une d’entre nous est elle aussi experte par expérience… Tania, voisine du quartier et enseignante, a eu, pendant quelques années, un poste unique en France “fléché roms” mis en place par la Préfète à l’égalité des chances et le Ministère de l’Éducation Nationale, mais sous le chapeau du Ministère des affaires étrangères. A cette époque elle a été amenée à intervenir, dans le cadre de l’UPE2A, sur plusieurs écoles où des enfants de la communauté rom étaient scolarisés.

Le poste “fléché roms” était un poste pour dire qu’ils faisaient quelque chose en direction des élèves roms. J’étais supposée suivre s’ils étaient expulsés, sauf qu’ils expulsent les campements l’été, en général, et qu’on me faisait intervenir en partie dans des écoles où des temps partiels (UPE2A) étaient manquants. J’enseigne toujours aux primo-arrivants, ce n’est plus uniquement des roms, mais des enfants de tous les pays.

Il y avait des histoires incroyables, il y avait un enfant qui n’avait pas de parents, et il y en avait qui avaient faim, on leur disait qu’on leur donnait un petit croissant, s’ils venaient à l’école… après ils voulaient juste repartir et ils étaient en panique enfermés dans l’école, ça donnait des situations difficiles. Mais la plupart, ils étaient contents de rester au chaud et d’avoir un repas à midi. Jane Bouvier, avec son association l’École autrement, essaye de demander au plus vite à la Préfecture le droit d’accès à la cantine.

La situation est compliquée en ce moment, on a de plus en plus d’effectifs et ils ont baissé le nombre de professeurs. Il y a un collectif d’une quarantaine d’enseignants en UPE2A, en collège et dans le primaire qui s’est créé, car les conditions de travail et d’accueil ne sont plus possibles. On a des problèmes de locaux. Il peut arriver d’enseigner un peu dans les couloirs, dans la salle polyvalente, dans le gymnase, dans des locaux minuscules. On donne en ce moment à certains élèves que 2h de cours par semaine, au lieu de 9h minimum prévues par la loi, chose qui ne sert à rien. Le budget annuel alloué par UPE2A est bien plus bas que dans d’autres villes (90 € à Marseille, 350 € à Aix, 500 € à Lyon ).

Extrait de la conversation avec Tania, balade du 27 décembre 2023

A lire: https://www.mediapart.fr/studio/portfolios/militer-autrement-jane-bouvier-met-les-enfants-roms-lecole

A regarder: https://www.fondationdefrance.org/fr/cat-enfance-education/a-marseille-ne-laisser-aucun-enfant-a-la-porte-de-l-ecole

Un village d’insertion à Saint-Henri ?

C’est alors que tous les fils de ces premières explorations commencent à se tisser entre eux. Depuis notre premier rendez-vous et l’envie de marcher dans les pas des premiers squats communautaires de l’après-guerre, nous avons appris l’existence d’un projet de village d’insertion des familles roms déplacées, lors de la construction du tramway sur le périmètre Euromed. Ce village serait construit à Saint Henri, sur l’ancienne aire de repos de l’autoroute A55.

Un tel projet prête forcément à polémiques locales. On dégaine alors le second petit livre qu’on avait amené pour suivre la trajectoire concrète d’une famille rom dans Marseille et aussi regarder les évaluations chiffrées du coût de l'”accueil”.

Et on se dit qu’une application très concrète du travail de connaissance partagée, démarré avec ces balades, sera très certainement de contribuer à élaborer une approche plus complexe, d’enrichir les discussions avec nos voisin•es et de muscler l’hospitalité du quartier !

Extrait du livret Les élus locaux face à la résorption des squats et bidonvilles, Collectif RomEurope, 2019

DESSUS-DESSOUS Habiter le sol de Consolat- Récit #1

1000 pattes du 11 octobre 2023

Nous étions nombreux.ses comme une bande de lycéens. On a trouvé notre place en envahissant le Corsaire, le seul espace de sociabilité que les élèves du lycée Saint Exupéry peuvent investir vraiment à proximité de leur grand, très grand établissement.On avait compté sur le petit kiosque devant les terminaux de bus mais il était fermé, alors va pour le café-canette sur la chouette terrasse du snack.

On pensait se rappeler ce premier échange dense, déjà complexe, en illustrant les photos de Léone. 

Léone elle vient ici pour la première fois, elle est sans doute la plus jeune, elle fait des études de journaliste tout en travaillant à la Revue dessinée et elle commence à travailler sur les squats, car elle en a côtoyé beaucoup et qu’elle en a marre d’en entendre parler dans les médias surtout à la fin de la trêve hivernale et au moment des expulsions. Et donc Léone elle fait aussi des photos. Sauf que internet parfois ça bugge, que ses photos sont maintenant bien loin de Marseille, qu’on aura le plaisir de les découvrir plus tard, et que maintenant il va falloir trouver une manière d’inventer nos images, juste avec nos souvenirs!

IMAGE#1 : Terrasse du Corsaire, une vingtaine de personnes en cercle, chaises rouges, lumière pleine de soleil. On se lance…

On se rencontre donc pour la première fois avec l’hypothèse qu’on pourrait peut-être marcher un bout de chemin ensemble cette année. Au départ il y a la croyance de quelques un•es que la marche participe à tisser du voisinage, du lien entre des initiatives, à activer de la transmission et que tout ça c’est modeste mais important. Et aujourd’hui on se propose de commencer une exploration avec l’idée que repartir de l’histoire longue des luttes et des expériences pour le logement à Marseille pourrait nous aider à redonner du sens aux engagements du passé et à rencontrer les luttes d’aujourd’hui.

Sur la terrasse du Corsaire certain•es d’entre nous ont vécu ces luttes historiques que sont le mouvement des squatters à l’après-guerre, ou des initiatives plus récentes comme le squat Saint-Just qui a accueilli durant 18 mois des mineurs isolés dans un ancien couvent, propriété de l’Eglise. 

D’autres se posent des questions sur l’hospitalité. Qu’est-ce qui fait qu’on accueille certaines personnes et pas d’autres, comment pourrait-on embarquer les pouvoirs publics à voir des liens entre des enjeux qui semblent très éloignés comme le tourisme, les migrants et le mal logement?

En croisant ces premiers témoignages on voit assez vite émerger l’idée que habiter c’est le logement mais pas que. C’est aussi comment on se relie aux espaces, aux autres humains mais aussi au sol, aux plantes, à ce qui fait qu’un lieu est « habitable ».Arrivent alors les témoignages des batailles pour la colline Consolat quand, au milieu de centaines de logement sociaux on a voulu en faire une route, et l’aventure de Tour Sainte où dans une ancienne église désacralisée au milieu d’un vaste terrain bastidaire de Sainte Marthe s’invente un lieu culturel et militant pour que les jeunes de la Paternelle et des quartiers environnants se redonnent un sens à vivre là. 

Se tisse aussi déjà le lien avec la démarche au sein du Lycée Saint Exupéry, pour que la colline redevienne une histoire partagée avec les savoirs des plantes et des sols. Et aussi avec l’expérience des ateliers buissonniers et des terrains d’aventure qui peu à peu à la cité de la Castellane fabriquent dans les lisières de la Jougarelle cet espace commun dont nous avons toustes besoin pour vivre, grandir, apprendre…

C’est avec ces premiers petits cailloux à poser sur le chemin que nous partons marcher…

IMAGE#2 : Devant ce qui était l’entrée de la Villa Tornesi. Agnès nous raconte son enfance dans ce qui fut l’une des 3 bastides squattées par le mouvement des squatteurs qui émergea à Marseille juste après la guerre.  

10 familles dans 10 pièces avec près de 10 enfants chacune, ça en fait des souvenirs ! Par exemple celui de ces rideaux de velours rouge découpés qui venaient de l’église Saint Louis, alors récemment investie par le mouvement des prêtres ouvriers, et qui sont devenues les couvertures très « classe » de ces habitants mobilisés. 

Car il s’agissait bien à l’époque d’une forme de mobilisation qui faisait suite à de nombreux appels, des inventaires de logement vacants et des manifestations portées à fois par les communistes et les milieux catholiques sociaux pour dénoncer la situation de crise du logement et l’incompétence des pouvoirs publics à agir notamment par la réquisition.

“Entre 1945 et 1946, 76.000 demandes de réquisition sont ainsi adressées à l’office municipal de logement pour la seule ville de Marseille. Seuls 2200 dossiers sont administrés, et pas une seule réquisition. Le scandale de ce qui est alors qualifié par les militants d’incompétence des pouvoirs publics, et qui en fait relève surtout de leur impuissance, fait passer quelques-uns des membres du MPF à l’acte de réquisition autonome, donnant naissance au mouvement des Squatters. Ce mouvement va bientôt gagner toute la France, entraînant dans son sillage nombre de militants des associations familiales convaincus qu’il n’est « pas envisageable de s’occuper des squatters sans être squatter soi-même. » Extrait de la Thèse de Claire Duport p.100, à retrouver dans le drive.

IMAGE #3 : Panorama. Marc Medhi nous raconte un grand paysage, celui du bassin de Séon. 

Nous sommes sur l’esplanade juste en dessous du lycée Nord. La vue est grandiose. Il y a plusieurs années des lycéens avait brodé avec leurs enseignants et une artiste « Je suis au sommet du vide ». Il reste quelques bouts de laine, une trace parmi d’autres traces. Entre la géologie des massifs, les aménagements portuaires, la trame des voiries, Marc nous dessine peu à peu une histoire du logement social qui débute avec les maisonnettes de la Cité Jardin Saint Louis, se poursuit par les HLM Consolat où il est venu habiter gamin dans les années 60 puis la résidence Consolat et la co-propriété Consolat Les sources. Au loin on aperçoit aussi les petits immeubles de la cité SNCF.

Chaque cité a son vécu propre et raconte aussi un bout de la grande histoire du logement collectif, les stratégies, les utopies, les tensions entre toutes ces couches d’urbanisation qui sans s’opposer perdent au fil du temps leur porosité. Et on voit bien que la porosité quand elle subsiste passe par des chemins de nature, par des sentiers d’aventure qui invitent au jeu, au jardinage, au sport, à la promenade, à tous ces gestes simples qui apaisent nos corps intimes comme nos corps sociaux.

IMAGE #4: Nous marchons sur le sentier qui longe la colline, des petits groupes se sont formés et conversent.

Le plaisir de la balade et de la rencontre prend le pas sur les échanges en grand collectif. C’est plein de facettes qui commencent à apparaître, l’histoire de la construction du Lycée nord par le même architecte que l’Hôpital nord et de son inauguration par… Krouchtchev. L’histoire d’amour décrétée impossible entre une enseignante et un lycéen du Lycée Saint Exupéry, qui a abouti au suicide de Gabrielle Russier et a inspiré plusieurs chansons dont Mourir d’aimer d’Aznavour et a marqué la société de l’époque. L’histoire du château Consolat et de son parc, seconde bastide squattée et terrain de construction du lycée. L’histoire des souterrains allemands et de ses « fusées céramiques », et de toutes ces constructions du sudwall qui subsistent en sous-sols…L’histoire des propriétaires qui ont coopéré au mouvement des squats dans le but de dévaloriser leurs biens. L’histoire des co-pro dégradées en regard des cités HLM. L’histoire de la lutte des habitant•es de la cité Saint Louis pour qu’elle ne soit pas détruite…L’histoire de la grande marche pour l’égalité de 1983 et de la chanson des enfants des quartiers nord…

Nous rentrons tranquillement vers le bus 70. On ne sait pas encore ce que ce sera ce chemin collectif mais ce premier temps de partage nous donne envie de poursuivre nos pas à pas…

DESSUS-DESSOUS Habiter le sol de Consolat – Récit #2

Au-dessus la biodiversité et les satellites, au-dessous les tunnels et les câbles sous-marins.

Nous nous sommes retrouvés entre l’au-dessus et l’au-dessous, sur les escaliers à côté du lycée, avec la belle vue depuis la colline surplombant la mer… Comme dirait Agnès J. “la colline Consolat fait complètement partie du Bassin de Séon.”

Entre le dessus et le dessous

Grâce à la formule magique de Dominique, laborantine des cours de sciences au lycée Saint-Exupéry, nous avons pu passer, telle une classe de vieux lycéens, les portes d’accès et découvrir cette cité éducative d’avant-garde construite à la fin des années 50′, où nombreux d’entre nous, étions élèves ou avons vu nos enfants grandir.

A l’entrée du lycée

À LIRE A Marseille, la résistance d’un « lycée ghetto »

À LIRE À Saint-Ex, les élèves de prépa dans le top 10 des grandes écoles

Les récits dissonants du lycée Nord, depuis ces deux journaux, Le Monde et La Marseillaise, respectivement en 2013 et 2023.

Le lycée Saint-Exupéry (1800 élèves, 200 professeurs, 40 personnels) a été construit sur le domaine Consolat-Mirabeau, propriété de la famille Mirabeau du XVe au XVIIIe siècle et qui sera acheté en 1829 par la famille Consolat (celle du fameux maire qui décida de la construction du Canal de Marseille). Devenue propriété de la Ville de Marseille peu avant la deuxième guerre mondiale, le domaine sera occupé par les troupes allemandes, puis à la libération par les troupes américaines avant que la Ville ne récupère les terrains pour la construction du lycée et d’un ensemble immobilier. Les grottes et les caves de la colline seront alors fermées et le château démoli. Dans les plis de ces diverses occupations, la campagne Consolat sera aussi la deuxième campagne réquisitionnée par le mouvement naissant des Squatters, avec la Campagne Tornesi où a grandi Agnès (récit #1).

La forme arrondie du lycée, tellement années 50′

Julie rebondit alors sur les arrondis, “tellement années 50′! ” du bâtiment à l’entrée du lycée et nous fait remarquer leurs résonances avec la station service juste en face!

Cette forme joliment circulaire dédiée à la voiture est classée patrimoine de l’architecture, faisant partie de 2 prototypes de Jean Prouvé. Cet ingénieur-bricoleur n’a pas construit que des stations services et est en fait un personnage majeur dans l’après-guerre des réflexions sur le besoin urgent de logement. Prouvé fut un pionnier dans la construction industrielle mais il incarnera une autre recherche que celle du “grand ensemble”, celle du préfabriqué, du kit plus proche de la cabane que de la barre collective. Il chercha ainsi à proposer des habitats modulaires répondant aux besoins de confort et d’hygiène tout en étant économiques, rapides et faciles à construire. Ce n’est pas cette vision qui l’emportera, et on se rappelle alors que le lycée avec son architecte René Egger raconte aussi cette bataille dans les conceptions et les techniques du logement social.

Station service en face au lycée

Mais nous étions venu visiter le parc de 7 hectares qui entoure le lycée pour apprécier sa biodiversité, et découvrir comment les habitants non humains de la colline dialoguent parfois avec les jeunes humains qui poussent là !

Dominique nous raconte…

Il y a 35 ans j’ai atterri par hasard dans ses murs, et je n’en suis jamais repartie : je suis technicienne du laboratoire des sciences de la vie et de la terre, et animatrice du sentier nature. Au travers de mon expérience, de mes recherches, je suis convaincue que passer du temps dans la nature est essentiel au bon développement de l’enfant comme de l’adulte, sur le plan psychologique autant que sur le plan physique. Être dehors aide à la gestion du stress et renforce l‘estime de soi, favorise la collaboration, la communication, la créativité et l’esprit critique

Nous voici enfin dehors. Après un court temps d’adaptation où Agnès et Marc Medhi retrouvent les émotions de leurs 12 ans (au départ le lycée était un collège) pendant que ceux•elles qui viennent pour la première fois se laissent immerger et impressionner par la beauté du site , nous nous avançons vers le « coin biodiversité ». Cette petite enclave de terrain est balisée par une mini barrière en bois pour éviter d’être piétinée et aucun travail de l’homme n’a été pratiqué depuis 4 ans. Ici, la nature évolue en permanence, les espèces pionnières (la grande mauve, les arabidopsis, la folle avoine…) commencent à laisser la place à d’autres qui explosent à chaque printemps. Il n’est pas rare de rencontrer criquets et sauterelles grignotant les feuilles tendres, la coccinelle se régalant de pucerons, l’araignée tissant consciencieusement sa toile, le lézard se dorant la pilule sur le rocher face au soleil.

Nous évoquons l’impact de l’homme, nous parlons d’écologie, cette science qui s’intéresse aux relations des êtres vivants entre eux et avec leur environnement, et de la biodiversité (du grec bio : la vie) différente quand se trouve d’un coté ou de l’autre de cette bien légère palissade.

Virginie, nous montre les plantes qui ont poussé dans ce petit coin, la Mauve par exemple, très liée au retournement des sols dit-elle, et à la présence des matières organiques, l’Allyson maritime, des petits Soucis, des Graminées, de la Roquette jaune et blanche…. Ça nous transporte pour ceux et celles qui ont contribué au Caminando à Saint-André et à notre mantra avec les enfants de la Castellane: “diplotaxie, diplotaxie si on trouve la clé on pourra rentrer”.

Virginie continue, les plantes sauvages, “qu’on dit pionnières ou adventices” arrivent au début sur les sols pas terribles et comme c’est des plantes qui ont des racines “carottes”, au bout de quelques années, elles ramollissent les sols et les autres graines qui n’arrivaient pas à s’installer commencent a pousser. Les plantes pionnières sont très utiles, on les retrouve beaucoup dans les friches des quartiers nord, elles permettent d’améliorer les terrains et la diversité.

Julie, qui décidément tente aujourd’hui des associations entre nos sujets, nous invite à se rappeler qu’on considère souvent comme “sales” ces espaces et ces plantes qu’on pourrait remercier pour leur travail de recomposition du sol. Savoir que les sols se reconstruisent permet de ne pas sombrer dans la nostalgie “d’avant c’était mieux”, et que si on a malmené le sol de nos quartiers, on peut aussi penser que les humains peuvent s’inspirer des plantes pionnières… Le sol peut se reconstruire, on peut l’aider à se reconstruire, et on en sera que plus vivant nous aussi non?

Dominique nous rappelle la plante la plus toxique de France… le laurier rose !

Avec ce panorama impressionnant qu’on a du lycée, on se rend compte qu’on a toustes un bout d’histoire à partager. Tania vit à côté de la cité de campagne Lévêque, dans une barre des immeubles privés, en copropriété. Elle habitait avant dans une des petites maisons qui formait le domaine plus vaste de la famille Camelio, morcelé peu à peu mais qui donne son nom au stade de rugby. Elle a du partir suite à la vente de ce beau terrain pour la construction un projet immobilier qui pour l’instant n’a pas vu le jour, et a choisi de rester au plus près, dans l’immeuble tout à côté… Cet assemblage d’habitats nous semblent harmonieux, on a peine à croire que la petite forêt qui subsiste pourrait ainsi disparaitre.

D’un côté de la colline on a le conservatoire du logement social, et de ce côté là on pourrait dire que c’est un conservatoire des équipements sportifs, ou des traces des équipements sportifs! Tant de souvenirs de pratiques sportives (Agnès en a encore un paquet d’histoires, entre la création d’un pseudo statut de sport étude pour elle toute seule quand elle était jeune nageuse un peu fugueuse de l’école et les exploits des jeunes judoka d’aujourd’hui). Tant aussi à la fois de militance (sport et éducation populaire sont très liés) mais aussi de tensions politiques, la piscine nord juste en dessous en étant un sacré témoignage!

On pivote un peu et toc, d’autres histoires se déroulent. Marc Medhi nous parle de l’ancienne base sous-marine allemande (sur la photo : bâtiment noir près de la mer). Construite en partie par des travailleurs locaux enrôlés dans le travail obligatoire, elle n’a jamais été achevée mais témoigne de cette intense période de construction du Sudwall, qu’on ira explorer très physiquement dans les dessous!

Difficile à détruire, elle a accueilli les prisonniers allemands qui y ont laissé quelques fresques puis est restée dans l’état comme de nombreux bunkers tout du long du littoral, , sans que les autorités portuaires ne trouvent un usage. Puis, à partir de la découverte de la scie à découper aux diamants (câblé diamantée) pour découper le béton et aux caractéristiques du lieu (murs anti-missiles et proximité de l’eau), les data centers ont flashé sur Martha (le petit nom de la base)! La société américaine Digital Realty/Interxionest venu s’installer en 2019 . De là, ils partent des câbles sous la mer pour le monde entier et Le Grand port fonde une partie de sa recomposition dans cette nouvelle activité hautement stratégique…

À REGARDER : L’ancienne base militaire « Martha » se transforme en date center

À LIRE: À Marseille, une ancienne base sous-marine nazie révèle ses fresques de jeunesse

A partir de ce paysage militaire en reconversion numérique on se retrouve à parler d’ici, d’une fois encore cette période de la fin de la guerre ou du début de l’après-guerre mais aussi de nouveau de milieux, de mondialisation et de communs…

On se rappelle que les fonds des mers, juridiquement, ça n’appartient à personne. Il y a un enjeu énorme autour de la mer, à plein des niveaux, entre la ressource, le pétrole, la sécurisation des fonds. Aujourd’hui, une autre battle est en train de se passer sur les modèles/systèmes pour sécuriser les tuyaux, avec une multiplication des câbles et des stockages, comme Google qui est en train de créer leur propre système, alors qu’avant, tout ce qui était réseau, était partagé.

Et c’est exactement la même chose qui est en train de se passer avec la bataille pour contrôler l’espace, que lui aussi, n’appartient à personne, donc aussi se posent les questions des communs. Comme X – Space (Elon Musk), avec ses plus de 5000 satellites déjà lancés et 42000 de prévus.

À LIRE : L’espace est-il devenu le nouveau Far West ?

Mais il est temps de revenir sur terre…

tuf

Nous descendons le grand escalier bétonné : il remplace celui mangé par la rouille et l’érosion qui se cache dans la végétation, et nous arrivons devant une paroi rocheuse constituée de tuf. Cette roche présente sur tout le parc, est le témoin des cascades présentes sur le lieu dans des temps lointains, elle est constituée de moulages de débris végétaux emprisonnés dans du calcaire. Elle servira entre autres de matériel de construction des murs encadrant les restanques.

Agnès, qui semble ne pas avoir oublié ses cours de sciences nat appris juste au dessus, nous raconte avec ses mots ces 2 phénomènes chimiques :

  1. Le karst :  certaines qualités de calcaires sont karstiques. Celui de notre région en est un. La pluie, c’est de l’eau H2O. L’air, c’est de l’oxygène O2. Le sol, ici calcaire, est très chargé en matières organiques décomposées C(=carbone) H2O et O2 touchent le sol, s’infiltrent, rentrent dans le sol. Lorsque ces 2 éléments combinés rencontrent une zone carbonée, il se passe un phénomène chimique : le calcaire se dissout, il n’existe plus. Ça fabrique des circulations d’eau souterraines, à travers des galeries fabriquées par cette dissolution. Le sous-sol devient un vrai gruyère de grottes, de cavités parfois grandes comme des cathédrales, parfois plus petites que le petit doigt. Ça, c’est le karst.
  2. Le tuf : il y a souvent (pas toujours) des endroits où cette eau extrêmement chargée de ce calcaire dissous ressort à la surface. Normalement, la destinée de l’eau est de descendre toujours vers le point le plus bas. Lorsqu’elle ressort avant d’atteindre la mer, c’est qu’elle est poussée ou attirée par une force très puissante. Au moment précis où l’eau re rencontre l’air libre O2, elle surgit en pression et se transforme en un gaz de très très fines gouttelettes. C’est le pschitt. Ces gouttelettes se déposent sur la végétation existante : toutes sortes de mousses, lichens, plantes, arbres. Ces végétaux deviennent de la roche calcaire. Ça c’est le tuf. 

Karst

En écho à Agnès, Dominique continue à nous décrire ses balades sensorielles avec ses élèves :

“Sur cette restanque, essayons d’utiliser un maximum de vocabulaire pour décrire les sensations liées au toucher : Caresser des pétales duveteux, effleurer une fleur de chardon, frôler ses épines, tâter l’écorce d’un arbre, écraser de la terre entre ses doigts, marcher pieds nus dans des feuilles, dans l’herbe, attraper une graine de clématite virevoltante…Nous descendons sur la restanque suivante, appelée aussi bancaou en provençal.”

Agnès encore, notre chatGPT de la nature, à propos des Bancaous ou terrasses ou restanques.

“C’est le système de la gestion de l’eau dans le cadre des propriétés, celui d’en haut, il évacue son eau par des systèmes comme ce tuyau en poterie (photo au-dessous). L’eau arrive chez celui d’en dessous, celui d’en dessous ne peut pas porter plainte, s’il est envahi par l’eau, il fait le même système et il l’envoie chez celui d’en dessous, et ainsi de suite. L’eau n’appartient à personne, donc ils ne peuvent pas la garder, ils doivent la faire évacuer.”

Dominique nous parle du bas-relief représentant la chute d’Icare, sculpté probablement par Jean Amado (réalisateur des bas-reliefs en céramique jalonnant le lycée), et déposé ici suite aux travaux de rénovation du lycée. Icare ne vole plus, il s’est couché…

Icare nous fait penser à la géologie du territoire, son coté organique peut se fondre dans le paysage, et il y a quelque chose de beau de le voir couché, île ou continent, comme s’il nous invitait à l’embrasser.

Parfaite transition pour s’inverser, partir vers l’intérieur géologique, dessous!!

L’exploration du Mille-Pattes continue au-dessous du lycée, dans les tunnels allemands de la 2ème Guerre. On trouve des traces d’ouvrages militaires partout à Marseille, vers les Goudes, sur la côte et qui n’ont pas pu être détruits. On est ici dans l’observation de la baie, mais aussi dans l’alignement avec les Iles de Frioul. Marc nous explique qu’on protégeait les 2 anses, celle-ci, et celle de Marseille. On va voir plusieurs modes de construction, le coffrage, les fameuses fusées céramiques, et des percements à même la roche. A l’origine comme c’est de la roche tendre, c’était déjà creusé, c’était des grottes, et le propriétaire qui avait des vignes s’en servait de caves de stockage.

Ici, la transition est intérieure… on passe des tunnels sombres et froids en béton à la chambre principale chaleureuse et ample, grâce à la méthode de construction avec des fusées céramiques.

La fusée céramique

Jacques Couëlle invente le principe de la fusée céramique au sein du Centre de recherches des structures naturelles dans les années 1940. La fusée céramique est un élément en terre cuite. Les fusées s’emboitent les unes dans les autres à la manière des tiges de bambou ou de la prèle, comme dans la illustration ci-dessous.

Ce principe est utilisé pour construire des voûtes : sur le coffrage enduit d’une première couche de ciment sont alignées des rangées de fusées céramiques renforcées par des tiges métalliques qui permettent d’armer la structure. Le tout est ensuite recouvert d’une deuxième couche de ciment. Cette méthode à l’époque plus rapide que le procédé du béton permettait de réaliser en peu de temps des voûtes de grande portée, comme fût le cas du Grand Arénas.

Comme des miroirs qui se reflètent, entre l’histoire et l’actualité, le conflit Israélo-Palestinien…

Le ‘’Grand Arénas’’ est un camp de transit construit à la fin de la guerre dans le quartier de la Cayolle par l’architecte Fernand Pouillon à partir du réemploi de fusées céramiques dont la légende dit qu’il en aurait trouvé des stocks trainer sur le port. Plaque tournante de tous les flux migratoires, prisonniers ou déportés libérés, travailleurs ou soldats coloniaux qui vont retrouver leur famille après des années de séparation, « personnes déplacées », venant des camps ouverts en Europe centrale à l’issue du conflit mondial et en quête d’une nouvelle patrie, Marseille est notamment au coeur des mouvements vers la Palestine des juifs maghrebins et rescapés des camps. L’histoire de ce camp est longue et complexe, il sera une enclave juive vers Israël mais va également accueillir d’autres peuples réfugiés ou déplacés : travailleurs vietnamiens indépendantistes autogérés, des gitans et plus tard des algériens suspectés d’être membres du FLN…

Et tout cela nous ramène étrangement à l’histoire locale puisque c’est dans le bassin de Séon, plus précisément dans l’usine Martin de Saint-André que ces tuiles fusées furent pendant un court temps produites.

EN IMAGES : Le Grand Arénas

À LIRE: En route vers Israël

Pour sortir des tunnels, il fallait expérimenter à nouveau une sorte de renaissance… ça a été très physique mais une belle expérience !!! Il y a eu 20 accouchements de la mère roche…

Délicieux final Mille-Pattesque, couché de soleil, tisane et gâteau aux pommes. Merci Julie et bon anniversaire Marc !

WALKING IN THE RAIN

Les aventures des Journées Européennes du Patrimoine sous la pluie

Cette carte du quartier a été distribuée pour la marche des JEP. Elle est accessible auprès de la bibliothèque de Saint -André, de la coopérative Hôtel du Nord et de l’association Momkin

C’était écrit noir sur blanc : “Samedi 16 septembre 2023 : pluie 80%”

Quelle nouvelle réjouissante pour la végétation, assoiffée par un mois d’août brûlant !
Les marcheur.euse.s que nous sommes se sont senties prises d’un élan de joie à l’annonce de toute cette eau, d’une envie de danser sous la pluie…depuis notre canapé.
Pourtant il en faut pour nous décontenancer à Hôtel du Nord !
Mais qui dit averse dit aversion à l’idée d’envoyer un groupe à l’aventure par monts et par vaux, avec pour tout guide une carte en papier (non imperméable!).
A peine avions- nous mis au point un plan de repli, une autre date fin octobre, somme toute plus pratique pour la plupart d’entre nous etc.. qu’Emmanuelle, de sa voix assurée de maîtresse d’école patentée, a déclaré :

“Cette balade je la ferai, même si je dois la faire toute seule !”

Emmanuelle, la veille de la balade

Il faut dire que cela faisait plusieurs mois qu’Emmanuelle et Agnès, les maîtresses de CP-CE1 de l’école Saint- André Barnier et leurs élèves planchent dur sur ce projet de fabriquer un jeu de piste patrimonial reliant les 3 écoles du quartiers, et par là- même le “haut” (la Castellane) et le “bas” (le noyau villageois).

La motivation étant chose contagieuse, nous sommes une bonne quarantaine au départ dans le parc de la Jougarelle, samedi 16 septembre à 10h, muni.e.s de parapluies colorés et prêt.e.s à partir explorer le quartier, carte au trésor en main.

Il y a des grands, désireux de découvrir ce quartier qu’ils ne connaissent pas ou alors qu’ils n’ont vraiment pas l’habitude d’arpenter à pied. Il y a aussi des plus petits : Hyacinthe, déjà rompu à l’expérience de cette chasse au trésor dont il avait été l’enfant-test quelques jours auparavant, et toute une bande joyeuse, élèves de l’école (ou apparentés) qu’Emmanuelle est parvenue à tirer du lit.

Profitant d’un rayon de soleil, apparu au moment du dévoilement de la carte au trésor, nous formons des petits groupes d’exploration : un premier groupe part à la recherche de l’indice n°1 : “le champ de palmier”, tandis que les prochains restent pour apprendre une chanson .

Une fois l’indice trouvé, il suffit de retourner la carte pour accéder à des explications, poétiques, techniques ou historiques, qui décrivent l’endroit. Ces quelques lignes ont été écrites en croisant les expériences de celles qui ont accompagné les enfants dans cette aventure, sur ce territoire qu’elles connaissent chacune à leur manière, de par leur pratique : Elsa et Francesca, de l’association Momkin et 3.2.1, par leur présence hebdomadaire lors des “ateliers buissonniers” à la Jougarelle, Emmanuelle, enseignante engagée auprès de ses élèves et habitante de Saint- André, et Chloé, Julie, Samanta et Agnès, membres de la coopérative Hôtel du Nord qui ont pris l’habitude de marcher sur les traces des anciens chemins à l’affût des indices.


Mais ce ne sont pas les seules à avoir des choses à dire, et les participant.e.s de ce jeu de piste ont chacun.e.s de l’expérience à revendre concernant le fonctionnement du Port Autonome qu’on aperçoit au loin, le désamiantage de l’école du haut, les “concombres d’âne” explosifs, l’ancien réseau de canaux (avec ses martellières et ses Aiguadiers) qui permettait que poussent les fleurs et les légumes là où aujourd’hui fleurissent les immeubles…

Le château de Gabrielle de Castellane enfin retrouvé, dans la
cour de l’école du haut !

Chaque petit groupe mène la balade à sa guise, au grès des personnes qui le composent. Certain.e.s ont ainsi droit à des surprises, comme la visite impromptue d’une belle maison par sa propriétaire, témoin de l’histoire agricole du quartier dont on s’efforce de débusquer les traces.

Au- dessus de la porte d’entrée, la vigne qui entoure les initiales des premiers habitants rappelle la tradition de la rocaille marseillaise et des cultures qui fleurissaient sur les bancaus de Saint- André

De son côté Emmanuelle est intarissable de détails et d’anecdotes, sa tablette à la main elle montre aux membres de son groupe de nombreux documents et archives qui racontent la richesse de l’histoire du quartier.

Alors qu’on se croyait tiré d’affaires, le ciel s’assombrit et la pluie se rappelle à nous. Les parapluies cessent d’être des bâtons de marche et reprennent leur place au -dessus de nos têtes.

On commence à être bien mouillé et quelques un.e.s font défection, alors ceux qui restent se serrent les coudes et les petits groupes finissent par se rejoindre afin de se donner du courage!

Même si aux yeux d’Arlette cette averse n’est tout juste bonne qu’à arroser les plantes bandes (sous entendu, il en faudra d’autres avant de réellement hydrater les sols), celle-ci suffit quand même à noyer la chaussée et à faire réapparaître le tracé du cours d’eau du Pradel ! Alors que celui-ci a été recouvert par la construction du boulevard Henri Barnier, il prend aujourd’hui sa revanche et nous rappelle que le chemin de l’eau ne peut réellement être contraint.

La marche continue le long de la Traverse de la Barre, où autrefois se croisaient les charrettes, cahotant entre les champs et les fermes qui étaient alors si nombreuses.
Sur ce chemin les éléments de la vie et les évolutions du quartier sautent aux yeux : cité de la Bricarde d’un côté, ancienne bastide de l’autre, murs en tuiles et en briques issues des tuileries, avec au débouché la Nouvelle Lorette.
Les bras croisés derrière une Glissière en Béton Armé qui sépare la résidence de la route, un monsieur regarde passer ces gens qui défilent, le poil humide et une carte détrempée à la main. Il est né dans le bidonville de la Lorette et connaît par cœur l’histoire du relogement, qui est avant tout la sienne et celle de sa famille, ainsi que celle des tuileries, du remblais de Foresta, de Grand Littoral. Nous lui taillons un brin de cosette, mais à peine les premiers l’ont-ils laisser souffler qu’un nouveau groupe arrive et relance la conversation.

La pluie semble derrière nous, nous pouvons nous lancer à la découverte de la friche où se trouvent les ruines de l’ancien gymnase du collège Henri Barnier, victime d’un glissement de terrain comme d’autres géants aux pieds d’argile avant lui.
Les semelles s’augmentent de couches de boue, les poches et les bouches se teintent du violet des mûres fraiches.

On vous avait promis l’aventure au coin de la rue ! On ne vous a pas menti.

L’heure du pique nique approche, les ventres crient famine. Chacun cherche un endroit où s’installer malgré le sol détrempé. On tend des bâches, on déplie des nattes en plastique immédiatement piétinées par des chaussures pleines de boue… pas facile de se mettre au sec. Heureusement Julie distribue allégrement des tartines de pesto de plantes qu’elle a cueillies et préparées la veille.

Au moment où on croyait être à l’abri..BADABOUM ! Les nuages éclatent à nouveau et la pluie ruisselle sur les pique niques..
Malgré l’averse personne ne bouge, le réflexe est plutôt de se serrer les un.e.s les autres et de chanter !

Nous sommes des enfants des quartiers nord
Et à pied ça fait loin jusqu’au vieux port
Il y avait des vaches et des cochons
À l’endroit où se trouvent nos maisons
Pierrette partait avec son bidon d’lait
Dans une ferme tout près de la forêt
Adieu vaches et cochons, ferme et forêts
Pierrette achèt’ son lait au supermarché

Sifflotée par plusieurs d’entre nous pendant la marche, la Chanson de Mehdi est entamée collectivement, à l’initiative de Jeanne. Ces paroles, écrites en 1982 par la classe de Daniel Beaume, professeur au collège Albert Camus dans le 14e, font toujours mouche et semblent avoir été écrites pour illustrer notre marche du jour.
Elle était un des hymnes de la Marche pour l’égalité partie de Marseille en 1983, dont le 40naire est fêté cette année. Les paroles résonnent encore aujourd’hui, signe que l’histoire tourne en rond ? Ou peut- être preuve que c’est en marchant qu’on avance, droit devant ou en pas de côté.

Le soleil finit par poindre et les sourires qui n’avaient jamais disparu continuent de resplendir.
On sort de la forêt pour rejoindre “la ville”. Avec sa pente herbue et ses sapins, la colline de Grand Littoral prend des airs de station de ski en été. Les enfants dévalent la piste rouge à toutes jambes.

Le ciel bleu revenu, les vaillant.e.s explorateur.ices achèvent de relier le haut du quartier à Saint-André village. L’arrivée est à la bibliothèque, qui a accueilli au printemps les ateliers buissonniers qui ont permis de rassembler tant de monde pour décorer les rues et préparer la Fête de la musique. Il se trouve que cette bibliothèque est .. une ancienne école ! Le chemin des écoliers est donc bien arrivé à bon port.

Cette marche, proposée à l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine, a permis de présenter le travail réalisé par le Mille Pattes des enfants de Saint-André Barnier pendant l’année 2023. Ces explorations et les créations qui en ont découlé sont rattachées au projet “Caminando Saint André”, porté par Hôtel du Nord, les associations Momkin, 3.2.1, Trait d’Union, l’Atelier sous le Platane, la bibliothèque de Saint-André et de nombreux autres complices.

La suite de ces aventures est pour bientôt .. 😉

Le 1000 pattes des enfants de Saint-André La Castellane #2

Les Oreilles Grandes Ouvertes !

Un habitant de Saint André, Denis Pelliccio, vient nous raconter plein d’Histoires !

Le 1000-Pattes des enfants a embarqué Denis dans la balade du quartier pour qui nous raconte l’histoire de chaque petit coin où il s’est baladait quand il était enfant… 

Nous sommes partis, cette fois-ci, avec les oreilles grandes ouvertes, et Denis nous a laissé imaginer le quartier d’autrefois, rêver des histoires lointaines où les voitures n’existaient presque pas, les animaux étaient très présents, il y avait des arbres et des prairies à perte de vue, des fontaines et des canaux pour se rafraîchir, et les enfants jouaient dans la rue sans danger.

Le voyage commence direct au cœur du château de La Castellane, des grands platanes, une belle terrasse sous les arbres, le ruisseau du Pradel, la vue sur la mer, des oiseaux, la vie calme, la belle vie.

Denis nous a raconté que son grand père était cantonnier et avec sa famille ils habitaient au château de La Castellane, propriété de Gabrielle de Castellane, en 1751, des nobles provençaux depuis le IX siècle.  Au XIX siècle, la mairie de Marseille l’achète pour le louer à des familles modestes. 

Denis se souvient…  « Au château vivaient 6 ou 7 familles, chaque pièce faisait 50m2, c’était magnifique de vivre dans des espaces tellement grands ! Avec mes cousins et cousines, et d’autres enfants du château, on jouait dans la nature, on courait dans les près, tout le monde se connaissait, on était heureux »

Le Mille-Pattes enfants se déplace au grand champ d’en face à La Castellane, en bas de La Bricarde, Denis nous raconte que chaque dimanche avec ses parents ils faisaient la cueillette de la salade et des asperges sauvages, c’était un rituel !

Une des familles, les Bénéteau étaient des maraichers, ils cultivaient de légumes et vendaient à la ferme aussi des poules et des lapins.

La famille Chabouni était les propriétaires de cette belle bastide. Il y avait 220 bastides sur le bassin de Séon, selon le cadastre de cette époque. Elles servaient de résidences secondaires aux bourgeois et aux nobles. 

Nous sommes arrivés aux jardins de la Lorette, 

Les arbres aussi, nous racontent des histoires des hommes !

Celui-là nous parle de la Kabylie…

Devine, devine quel est mon fruit et tu sauras qui je suis :

Je suis un fruit d’automne.

Je suis un fruit a une chair douce et molle.

Mon intérieur est très doux et sucré.

Sous ma peau, on dégustera des centaines de petites fleurs

Je suis marron ou violette.

Je suis plein de petites graines.

On peut me manger fraiche ou séchée tout l’hiver.

Je suis qui ?

Le figuier est un indice ! 

La manière dont ses figuiers étaient plantés là, avec un olivier et un petit jardin avec des fèves, on pourrait deviner, même sans connaitre les gens qui cultivent ses jardins-là, que c’est des gens qui vient de Kabylie. Ils sont une manière de faire leur jardin, une manière d’avoir volontairement planté ses arbres qui donne un indice sur leur histoire culturelle.

Denis nous décrit comment était cet endroit avant:

« Il y avait une très grande ferme qu’appartenait à la famille Beraud, elle s’étendait jusqu’à sur le Pradel (Bd. Henri Barnier). On était petits, on attendait la bonne période au mois de juin pour ramasser les poires de la St. Jean. Le propriétaire des champs avait planté des poiriers, des pommiers, des abricotiers, avant ça se passait différemment, on ramassait les poires, on montait voir le fermier et on allait lui payer. On allait aussi, tous les jours chercher le lait, on venait sur la ferme avec des bouteilles en verre, on allait voir le laitier pour avoir le litre de lait pour le matin, il vendait aussi des très bons yaourts, des poules, des lapins, des cochons, quand c’était la bonne période il vendait de la charcuterie ».

La Lorette, au départ, c’était le nom d’un autre endroit, ce nom-là, il va rester parce que ses personnes-là, ont étaient relogés, des gens qui venaient de Kabylie travailler dans les usines, dans les tuileries, et pour se loger, ils construisaient leur maison avec ce qui trouvaient, ils fabriquaient eux-mêmes leurs maisons et par solidarité ils le faisaient avec les gens qui connaissait, leurs familles et les gens du même pays. 

Tous les gens de Kabylie qui venaient travailler dans les tuileries ils s’installaient ensemble, ça faisait un quartier, un petit village et comme les maisons étaient construit avec des tuiles, du bois, de la tôle et encore des tuiles, on appelait ça un bidonville. 

A l’origine, un bidonville est un petit village construit avec des bidons, et autres matériaux, car il y avait beaucoup d’usines qu’utilisait des bidons, mais ici à St. André c’était des usines des tuiles donc on pourrait dire que « Les tuiles-villes » c’était les bidonvilles de Saint André.

La Lorette était le dernier bidonville de Marseille, qui était situé en bas de la colline, selon Denis, et qui a était rasé lors de la construction du centre commercial du Grand Littoral, avec comme conséquence la relocalisation des familles en 1995 dans ces maisons.

Denis continue « Ma tante avait un métier un peu particulier, elle fabriquait des épingles à linge en bois. C’était des femmes qui n’avaient pas de travail, qui voulaient travailler un peu à la maison, elles étaient payées à la pièce, ça leur permettait d’améliorer les finances de la maison ».

Nous avons montré à Denis le passage secret à notre terrain d’aventures, il nous a effectivement dit, qu’il ne le connaissait pas !

Le grand carnet de voyage continue à s’embellir et à recevoir beaucoup d’information, on note tout ! Et aussi, on cueille et on colle sur le carnet des belles fleurs de printemps. 

Vive le printemps !

Merci Denis !

Le 1000 pattes des enfants de Saint-André La Castellane #1

17 mars 2023

Partir à l’aventure, faire les détectives, vivre des histoires, le rêve de tout enfant…

Les enfants de l’école de St. André Barnier à La Castellane, sont partis à l’aventure à la recherche d’indices pour construire un jeu de pistes patrimonial reliant  les écoles de Saint André (Barnier, La Castellane, Condorcet). 

Si elles nomment toutes dans leur nom ce lien à Saint-André, il est aujourd’hui plus difficile à appréhender, et les enfants sont invités à devenir les explorateurs de cette portion du territoire qui composa un Saint-André plus vaste, entre la Castellane, Verduron, la Bricarde jusqu’au noyau-villageois.

Nous avons commencé l’exploration au Parc de la Jougarelle avec un bref récit sur l’histoire du château de La Castellane, qui existait avant la construction des immeubles, puis nous sommes allés faire un repérage des plantes et arbres qui existent autour du parc, des oliviers, des palmiers, des platanes et des margousiers. Une plante « La Diplotaxis » (aussi nommée fausse roquette ou fausse moutarde) a été couronnée principale protagoniste de la journée… Elle nous a par exemple appris quelque chose d’important qui reviendra tout au long de la balade : on peut avoir plusieurs noms, on peut avoir plusieurs histoires, on n’est pas forcément obligé d’en choisir une seule.

On peut par exemple se sentir à la fois habitant de la Castellane, de St André et de Marseille.

Et Saint-André peut se sentir à la fois italien, espagnol, Kabyle, provençal et marseillais…

Se repérer là où on habite, regarder au loin, comprendre comme le quartier de St. André s’est construit, ses limites instables, et ce qui sépare le haut (La Castellane) du bas (noyaux villageois de St. André) : l’autoroute, les voies ferrées.

Pendant que le groupe des CE1 part à la découverte des traces d’une branche du canal de Marseille et du rôle de l’eau dans le quartier tout en retrouvant  ainsi le chemin des écoliers qui relie l’école Saint-André La Castellane à l’ancienne école d’avant le cité, située dans le quartier de Verduron, les CP trouvent les indices du passé à la fois agricole et industriel. 

Les vestiges d’une branche du canal et de son système d’irrigation en direction des champs horticoles qui se trouvaient sur une partie de l’actuelle Castellane

Le grand champ en face de La Castellane et devant La Bricarde, témoigne d’un passé industriel avec des murs construits des pierres et des tuiles, témoignant de l’histoire de l’argile et des anciennes tuileries du secteur. Mais aussi d’une histoire agricole, et on comprends comment à l’image d’un escalier faire des terrasses permet de grimper la colline mais aussi de la cultiver ! 

Nous avons fait des récoltes botaniques : asperges, euphorbes (attention c’est du poison !), mauves, jacinthes sauvages, muscaris, faux petit-pois, pissenlits, plantains, calendules, et encore de la diplotaxis.

On s’est ensuite retrouvé et avant regardé les grosses maisons. Certaines ressemblent plus à des fermes, d’autres à des châteaux. On a maintenant plein de questions à poser à Denis, un habitant qui se rappelle bien de comment c’était quand il avait l’âge des enfants, et qui est d’accord pour venir nous raconter !

Puis, on s’est posé pour pique-niquer dans un terrain super comme terrain d’aventures. Les enfants en ont profité pour faire de l’exploration des lieux et dessiner les indices et les histoires collectées avec du charbon des arbres, brulés par un incendie de la colline l’été dernier, et des fleurs tinctoriales sur le grand carnet de voyage qui préparé par Elsa de l’association Momkin.

Après le grand rond-point et un pas très agréable passage sous l’autoroute et les voies ferrés on arrive à des bâtiments beaucoup plus anciens (on se pose alors la question de quelle est la différence entre « sale » et « anciens »). On voit bien là comment La Castellane est coupée de Saint-André́ par le tracé de l’autoroute et des axes de circulations denses, qui enclavent la cité et rendent les déplacements pédestres difficiles.

Le Rond Point du Docteur Maria comme une île entourées de voitures-requins…

Nous sommes arrivés au noyau de St. André.

La placette de la traverse Picaron est une bonne halte pour aussi observer le contraste entre l’enchevêtrement de ruelles et de maisons qui évoque plus le terroir que l’industrie, et des industries spécialisés dans le numérique comme Digitech ou Digimood, installées dans la ZAC Saumaty Séon.

Nous avons longé le petit ruisseau du Pradel, à côté de l’Epad, ce qui nous confirme que le Boulevard Barnier, c’est bien aussi le Pradel. Une route ça peut être aussi une rivière…

Le nom de la pharmacie bld Henri Barnier qui rappelle le ruisseau sous nos pieds…

A l’entrée de l’école Saint-André Condorcet un beau tableau mural cartographie le quartier permet de bien visualiser notre balade ; puis nous avons tenté la chance avec la clef trouvée par un enfant explorateur d’avoir accès à un beau jardin que nous a montré Jeanne…

Humm ça n’a pas marché mais ça nous a donné des idées !!… 

Diplotaxis, Diplotaxis, Diplotaxis,

Quand on aura retrouvé la clef On pourra rentrer !  

 Enfin, une pause à l’atelier sous le Platane avec Jeanne, pour reprendre forces et chanter tous ensemble !

Oh c’est l’eau, c’est l’eau, c’est l’eau, c’est l’eau qui m’attire…

Le 1000 Pattes à Saint André#4


RÉCIT DE LA BALADE EXPLO #4 – 23 FÉVRIER 2023 (par Claire et Emmanuelle – Photos de Jeanne et Julie)

Notre objectif du jour, c’était d’arriver jusqu’à la mer autant qu’on peut y arriver. Et on y est arrivés mais on a mis du temps à descendre, parce qu’en route on a remonté le temps avec Daniel Quero.

De chez Jeanne rue Condorcet, on est partis à la recherche de la tuilerie Martin, en se posant comme d’habitude plein de questions en route. Comme sur cette « Ecole des sœurs » au 11 boulevard Jean Labro (ancien boulevard Martin), aujourd’hui Centre de ressources et d’information municipal de St André, où « Hôtel du Nord » a d’ailleurs un bureau. Qui étaient ces sœurs et quel était leur rôle dans le quartier ?

C’est là qu’Emmanuelle Di Nola a appelé son ex beau-père Daniel Quero, qui contrairement au reste de sa famille n’a jamais travaillé à la tuilerie Martin (il a préféré le raffinage chez Total) mais a toujours vécu boulevard Grawitz dans ce « quartier d’usine », comme il le nomme, et y vit encore. Daniel nous a donc rejoint avec son trousseau de clés : celles de chez lui et celles d’autres logements attenants inoccupés dont il est propriétaire ou a la gestion. Les sœurs il s’en souvient bien : c’étaient des sœurs infirmières. Elles étaient au moins 300 à habiter près de l’école, nous dit-il : quand on est dans la « Traverse des trois sœurs », on est donc littéralement loin du compte !

Les sœurs géraient aussi la crèche boulevard Grawitz, où Daniel a galopé. Aujourd’hui le bâtiment est muré mais doit être réhabilité pour y faire des logements. Ils côtoieront ceux de l’immeuble neuf presque fini à côté, qui donne lui-même sur les jardins familiaux heureusement préservés. Muré aussi un passage qui reliait l’école à l’arrière de la crèche, car au fur et à mesure que le clergé a vendu ses terrains par morceaux, les continuités de passage ont été supprimées. Les dernières sœurs sont parties en 1965 et le lieu connut comme dernier usage celui de dojo pour le judo.

Entre crèche, patronage, Dojo, l’ancien bâtiment religieux a finalement pu être protégé et attend tranquillement sa restauration
Julie et Daniel découvrant une étrange version rocaille de l’immaculée conception

En face, aux 63, 65 et 67 boulevard Grawitz, Daniel nous fait visiter là où lui et sa famille ont grandi et habité au fil des ans. 

Deux pièces achetées 5 000 francs de l’époque pour les parents et leurs cinq enfants, mais heureusement une grande cour commune à plusieurs maisons pour se dégourdir les jambes, dite « cour des miracles ». Recommandé par un patron des mines de Carthagène, son père espagnol était arrivé en France en 1914 avec frère et mère alors qu’il avait 17 ans, sur un bateau affrété par l’industriel, pour travailler à la société minière Peñarroya de l’Estaque. Sa mère, espagnole elle aussi, avait débarqué d’Oran à 9 ans. Leur mariage sera un mariage arrangé par les grands-mères, nous dit Daniel.

Antoine et Joséphine Quero

Aujourd’hui certaines des cours ont-elles aussi été murées et séparées au fil des ventes. Daniel habite toujours au 67, seul depuis le décès de sa femme Berthe Quero qui fut notamment présidente du CIQ St Henri et de l’association « Femmes de Séon ». 

La cour Granon plus connue pour ceux et celles qui y ont joué comme Cour des Miracles

En reprenant la descente à la recherche cette fois des traces de la famille également espagnole de Jeanne, on toque à la porte du 73, la « Maison Granon » où la propriétaire cultivait les semis dans la serre de la cour et faisait pousser les champignons dans la cave.

Nous atteignons la rue Louis Lanata puis faisons une petite pause sympathique chez Emmanuelle, au rez-de-chaussée de cette ancienne maison de pêcheurs joliment réaménagée. Enfin il est temps de finir nos crêpes pour nous remettre en marche une dernière fois afin d’essayer d’atteindre notre objectif avant la nuit…

En bas de la maison habitaient les ânes, qui tiraient les filets de pêches de la côte toute proche

En suivant la traverse Martin qu’on appellait aussi la traverse « va à la mer » nous n’arriverons pas jusqu’à la mer puisqu’avec la construction du port on ne peut plus y arriver, mais nous atteindrons les « poteaux » : comprenez les deux colonnes d’entrée de l’ancienne tuilerie Martin qui trônent encore (pas très fièrement) sur le « Rond-Point France Indochine » (nous dit Google). Le voyage est donc loin d’être fini ! Reste à essayer deviner dans quel pays nous nous rendrons la prochaine fois, mais nous n’en savons rien car on le découvrira chemin faisant, comme d’habitude.

La plage, l’usine, le chemin du Littoral…

Le 1000 Pattes à Saint André#3


Ce 23 janvier, on n’a pas suivi le « plan » prévu pour cette exploration parce que Denis Pellicio était là et qu’on a décidé d’en profiter!

Le point central de l’histoire que nous a contée Denis ce jour-là, c’est la Chapelle des Annonces, au coin de la rue Condorcet et de la traverse Picaron, qui marque une limite au nord entre Saint André et Saint Henri (si on regarde sur Google la limite est toujours là et la chapelle se trouve techniquement dans le quartier St Henri). 

Aujourd’hui la chapelle est dissimulée derrière un mur mais on en voit pointer la partie haute ainsi que l’emplacement des trois médaillons symboles de la « paroisse » créée par Benjamin Pellicio l’arrière-grand-père de Denis.

Ces médaillons ont été enlevés par un aïeul de Denis alors que Benjamin leur avait bien dit de ne pas toucher à ce bâtiment. L’aïeul en question est mort le lendemain de l’enlèvement des médaillons, nous dit Denis, « alors… »

Le terrain autour de la chapelle (les limites exactes nous restent incertaines) était un ancien chais (Picaron, qui était donc le nom du vin local mais on comprendra l’origine plus tard). Il est acheté par Benjamin Pellicio, enfant italien né en 1861, abandonné devant une église dans son pays, élevé par des religieux mais en conflit avec l’église et qui a émigré en France pour travailler (on est en plein dans la période de développement du port et de l’industrie). 

Dans ce domaine baptisé « Picaron », il accueille ses compatriotes sur une période de un mois, le temps pour eux de trouver du travail. Il permet à ceux qui réussissent de construire leur maison sur son terrain, leur octroyant un bail de 30 ou 50 ans . Il s’autoproclame prêtre, fait des baptêmes civils, crée une sorte de paroisse privée, avec une charte. 

Tout le monde l’appelle le « grand-père », c’est une figure, un patriarche, probablement autoritaire. 

Son fils, le vrai « grand-père » de Denis, sera d’ailleurs écrasé par cette personnalité et sa vie n’aura rien de glorieux – on n’en parle d’ailleurs pas trop dans la famille, mais on voit là sa photo.

Au bout de la traverse Picaron, après un enchevêtrement de ruelles et de maisons qui évoque plus le terroir que l’industrie, on atterrit brusquement sur la zone franche, assez symbolique du non-sens urbain de la ZAC Saumaty Séon qui a échoué à se tisser avec l’existant mais a plutôt agit en tabula rasa (il est vraiment très difficile aujourd’hui de se repérer dans l’épaisseur historique des paysages de St André qui ont été particulièrement modifiés les 30 dernières années). 

En chemin on peut voir au bout de la rue Antonin Croussillat à gauche un ancien puits qui là encore raconte l’aïeul Pellicio et sa manière à la fois d’accueillir dans une version familiale élargie et de peu à peu régir le quartier (les maisons adjacentes lui appartenaient, il y logea de multiples compatriotes plus ou moins « en galère »).

Les bureaux de Digital Realty (ex. « Interxion ») ont remplacé l’ancienne tuilerie où travaillaient italiens et espagnols, puis arméniens et kabyles, mais aussi dans la dernière période de nombreux sénégalais, apparemment spécialistes du jonglage de tuiles, qu’ils savaient charger par paquets dans les camions en se les lançant et sans les casser… 

Les bureaux de « Digitech » spécialiste de la «dématérialisation » des activités ont quant à eux remplacé d’anciens jardins familiaux alors endroit de la matérialisation de relations et d’échanges entre les habitants du bidonville de Grand camp et les habitants de cette partie nord du village. 

Pour la balade c’est vraiment une expérience – on pourrait même dire un choc – de passer de l’histoire de Picaron (dont le nom viendrait de « pique en rond », une des étapes de la transformation de l’argile en tuile)  à celle de la ZAC/Zone franche, aussi bien du point de vue visuel que du point de vue du récit. Et l’arrivée dans les échanges de la question très contemporaine et encore assez méconnue de l’enjeu central que prennent les datacenters dans l’espace portuaire rajoute à la bizarrerie du moment.

On a aussi parlé des établissements NERVO, boulevard Henri Michel (ouest rue Condorcet). C’est une famille qui démarre dans les transports puis développe ses activités dans la gestion des déchets, l’assainissement et la propreté sur tout le territoire de Séon : on se demande si vraiment en plus des data centers au port on voudrait tirer le fil du sujet de la gestion opaque des déchets dans les Bouches-du-Rhône… ça risque de nous entraîner assez loin… 

En parlant de Nervo, Denis nous raconte qu’un membre de la famille Pelliccio qui était cantonnier et excessivement timide combattait cette timidité en racontant une blague à chaque personne avec laquelle il trouvait à discuter durant son travail.

On a alors imaginé qu’on pourrait construire une saynète où Denis jouerait le rôle de Benjamin Pellicio vers là où on s’était arrêté en début de séance. On le voit bien commencer à remonter la traverse Picaron et le croiser en costume d’époque, comme on a croisé ces autres jeunes gens d’aujourd’hui en costume 1900 à notre passage entre Picaron et la zone franche, une sorte de rétro projection… De là pourrait s’engager une conversation sur la place de ces « passeurs” que furent l’arrière grand-père mais sans doute aussi des organisations comme la société chorale, dont la plaque trône dans le garage de Momo le mécanicien du village.

A ce moment là de la discussion on était aux Tonnelles, qui devient peu à peu notre QG. Et alors panne d’électricité ! 

Ça va durer plusieurs heures, on apprendra plus tard que Jeanne et Willy ont chanté aux bougies ce soir là. Sans doute que la panne est liée tout à fait à autre chose mais au fil de la journée la présence des data centers et les choix qu’ils portent derrière leurs murailles épaisses devenaient un peu plus perceptibles…