FAUT-IL AIMER NOS MONSTRES ?

La question des déchets paraît difficilement soluble, en tout cas dans une société comme la nôtre, fondée économiquement, socialement, philosophiquement sur la production continue et exponentielle de produits de consommation jetables issus de l’industrie pétrolière.
La remise en question de la production même de matière jetable fleurant un peu trop l’éco-terrorisme, la seule pédagogie en matière de traitement des déchets à destination des “publics” (soit des adultes et des enfants vivant, consommant, jetant en 2023) semble être de les convaincre -de manière plus ou moins culpabilisante- de l’absolue nécessité de mettre les cartons dans la poubelle jaune et de ne surtout pas jeter son mégot dans la bouche d’égout. Ce qu’il advient des matières une fois refermé le couvercle de la poubelle ? Cela ne relève pas de notre juridiction !

Malgré les trésors d’inventivité déployés par les pédagogues, les déchets continuent de s’amonceler en dehors des bacs prévus à cet effet. Signe que limiter le cycle de vie du détritus au trajet consommateur ir.responsable – poubelle ne suffit pas à changer en profondeur les comportements ? Il se peut.


Vaut-il mieux alors bombarder les sujets de l’expérience avec des images atroces de poissons étouffés dans des sacs plastiques, d’oiseaux pataugeant dans la marée noire et de continent de polymères flottant ?
Cela se fait.


Résultat :
-80% des personnes cliquent sur la vidéo suivante “Dead Children in Gaza Strip/Urkraine/Yemen”
-5% deviennent des écologistes chevronnés, adeptes du zéro déchet
-15% entrent en dépression et se nourrissent exclusivement de crème glacé en pot de 1L pendant 3 semaines.

p.s 1. les écologistes chevronnés sont aussi généralement atteints de dépression, mais ils prennent de la crème glacée Max Havelaar®

p.s 2 : ces chiffres ne proviennent d’aucune source fiable

Qu’est-ce qu’un comportement sinon un reflet de notre rapport au monde, de nos croyances, de nos valeurs? Si tel est le cas, alors il faudrait que le système de représentations tout entier de l’individu soit bouleversé, changé, questionné pour qu’ensuite des gestes puissent suivre et s’ancrer dans un nouveau quotidien.

A défaut de bouleverser irrémédiablement les systèmes de représentation des individus, Made In The River tente de formuler une proposition pour faire face à la question des déchets, une proposition non pas technique mais artistique, dans le sens où il s’agit de décaler la réalité, de déplacer le point de vue par la mobilisation de l’imaginaire, dans l’espoir de fabriquer de nouvelles capacités d’agir. Ou au moins de ne pas produire de nouvelles dépressions.

Pour cela partons de la réalité et poussons-la à son climax.
C’est l’apocalypse : les déchets de toutes sortes ont tout envahi. Le nettoyage n’est que réconfort temporaire, car quand bien même une partie des rejets peut être déplacée, son élimination totale et non résiduelle de la surface de la planète est impossible. L’anthropocène, arrivé à son acmé, cède à présent la place à une nouvelle force géologique à même de façonner les paysages : le detritocène.

Ce scénario paraît un peu radical ? C’est pourtant la réalité quotidienne de la rivière des Aygalades.
La découverte de ce paysage ruiné déclenche chez de nombreuses personnes des sentiments contrastés : joie de découvrir la ripisylve et de goûter à la fraîcheur les jours d’été, admiration face au jet inattendu de la cascade…mais aussi violence devant ses berges composées de bouteilles d’huile, de vieilles bâches et de pneus entassés, douleur de constater l’absence d’eau retenue dans les lacs artificiels des carrières Lafarge et d’observer quelques rares anguilles asphyxiées dans une eau contaminée par les rejets des garages avoisinants.

Peut-on trouver de la connexion et de la joie dans les ruines ? Nous faisons le pari que oui, à partir du moment où nous acceptons de changer de paradigme : de sortir d’un rapport utilitariste à notre environnement, à la “Nature” considérée uniquement comme ressource et dont la préservation ne se juge qu’à l’aune des services qu’elle est capable de nous rendre : approvisionnement en eau, régulation de température, satisfaction esthétique etc.
Faisons une expérience et considérons la rivière comme un parent, un être vivant qui bien que de forme différente de la nôtre aurait des droits intrinsèques au même titre que les autres individus qui forment notre entourage.

Popularisée par Philippe Descola, Vinciane Despret, Alessandro Pignocchi et de nombreux.se.s autres auteur.ices qui se sont intéressé.e.s aux relations entre êtres humains et autres vivants, cette vision dessine la possibilité d’un rapport de l’Homme à son environnement fondé sur la cohabitation plutôt que sur l’exploitation.

Alessandro Pignocchi, La recomposition des mondes, Editions du Seuil, 2019, pp 22-23

Cela se peut-il dans le cas d’une rivière aux apparences d’égout et pour laquelle le qualificatif “être vivant” ne vient pas spontanément à l’esprit ?
Nous faisons le pari que oui, et que c’est justement en s’intéressant à ce que la rivière contient de moins ragoûtant, de plus répulsif que nous pouvons recréer ce sentiment de vie et ainsi retisser le lien entre elle et nous.

En effet, l’observation fine des matières que charrie la rivière nous a appris qu’une transformation physique et potentiellement chimique 1 s’opérait durant leur séjour dans l’eau.

La Gazette du Ruisseau#4 représente la rivière sous les traits d’un tube digestive qui avale, digère et recrache les déchets sous une nouvelle forme.

La rivière effectue donc une action de transformation sur ces matières qu’elle modifie mais aussi réassemble jusqu’à former des compositions inattendues, mêlant plastique et métal, tissu et plantes. Le plastique ayant séjourné contre un rocher pendant une longue durée prend des plis nouveaux, semblables à la texture d’une peau de crocodile. Le métal sur lequel il s’est entrelacé l’a teinté de rouille et produit des nuances dignes d’un pelage.

“Peau” de Créature du ruisseau, fabriquée à partir d’assemblage de plastiques collectés dans la rivière
“galets” en polystyrène, difficilement différenciables de leurs cousins rocailleux

De ce point de vue, la rivière ne fait pas que subir les déchets de manière passive, elle est aussi active, assembleuse et créatrice de formes inédites qui introduisent du flou dans l’habituelle distinction “nature” et “culture”.
Reconnaître que la rivière est une force agissante mène à changer de posture, à passer du statut d’acteur principal (l’humain qui agit pour la rivière) à celui, plus humble, d’observateur. En collectant et en assemblant les matériaux, nous n’avons d’autres ambitions que de produire une pâle imitation du travail de la rivière.
L’observation, la sélection, le ramassage, le nettoyage forment un processus long qui requièrent du temps, de la patience et du soin, vertus qui finissent par accorder aux objets ramassés de la valeur et même une certaine préciosité, tant chacun finit par paraître unique, avec ses qualités visuelles ou tactiles.
Traiter avec délicatesse des rebuts, se permettre de les jauger à l’aune de critères esthétiques précis, s’autoriser à collecter ceux qui nous plaisent et à laisser ceux qui ne nous parlent pas, tout cela revient à créer de l’attachement pour ce qui est rejeté, à repeupler ce qui paraissait désertifié.

Dès lors, les “peaux” des Créatures et la mise en scène de celles-ci sont une manière de traduire et de partager ce qu’enseigne l’expérience de la rencontre avec la rivière : bien que discrète, la vitalité des Aygalades persiste.

@Bulat Sharipov, l’esprit de la sécheresse des Aygalades
@Georges Kammerlocher, Créature observée dans son habitat naturel pendant le ramassage du 30 septembre
@Bulat Sharipov
  1. à venir notre partenariat avec le CEREGE et l’utilisation du scanner MATRIX pour observer les nanoparticules présentes dans la rivière des Aygalades ↩︎

Les Créatures émergent

Dimanche 4 juin

Il s’est produit quelque chose pour lequel vous n’avez pas encore de conceptualisation, d’analogie ou d’expérience, quelque chose auquel votre vision et votre ouïe, voire votre vocabulaire, ne sont pas adaptés.  Tout votre instrument est tourné vers la vue, l’ouïe ou le toucher. Mais vous êtes aveugle, mort, engourdi . Non écoutez, pour comprendre ce nouveau monde de sensations, l’humanité doit sortir de ses limites. AHHHHHHHHHHHHHHHHHHH HA HA Une nouvelle histoire des sentiments a commencé.

UMMMM – Forcé de digérer les détritus de votre ingéniosité humaine, le plastique, le métal, les déchets toxiques des industries, je vous enseignerai l’humilité et le sens de l’émerveillement pour les capacités cosmologiques des forces de vie – réparer, renouveler, refaire. Nous trouvons notre propre façon de vivre malgré l’humain. Voyez le grand digesteur travailler au microscope, dans l’enchevêtrement cosmique – un paysage blessé – la vitalité empoisonnée de cette belle vallée. OH Vous vous attendriez à ce que nous soyons continuellement en train de gémir et de pleurer, mais non, contrairement à l’humain, nous avons un sentiment et un rythme patient qui font honte à votre vanité humaine. Combien de pots de maquillage, de tubes de rouge à lèvres, de pots de stéroïdes, d’améliorations, de paillettes et de glamour en plastique se trouvent dans le lit de ma rivière ? Combien de détritus s’écoulent et étouffent mes grilles chaque fois que la pluie tombe fort ? Et combien de respiration, combien de vie et d’espace sont retirés de mon patient écosystème ? Dites-moi, dites-moi, une nouvelle ère de sentiments a commencé….

Retrouvez l’émergence des Créatures comme si vous y étiez en regardant la géniale captation de Bulat Sharipov : https://vimeo.com/852642194 @bulat_sharipov

MADE IN THE RIVER : relier la rivière

Située sur un promontoire, battu par le vent (le site abritait autrefois des moulins) et baigné de soleil, la cité de la Viste domine le paysage du haut de ses tours élancées. Dans ce terroir purement marseillais, la fraîcheur de la mer semble bien lointaine.

Et pourtant, en contrebas du vallon qui sépare la Viste de la cité des Aygalades, postée en miroir sur la falaise d’en face, se love un coin de verdure, irriguée par le ruisseau du même nom : les Aygalades. Vallon et falaise sont d’ailleurs l’œuvre de ce même cours d’eau qui a patiemment érodé le massif calcaire, au point de creuser un passage suffisamment large et profond pour que l’Autoroute A7 puisse s’incruster dans le lit de ce petit fleuve côtier. Peut-être est-ce à cause du flux incessant des voitures que « les Aygalades » évoquent aux riverains le nom d’un quartier, mais pas celui d’une rivière, et encore moins d’une rivière qui coulerait au pied de chez eux. Les « Eaux Abondantes » ont en effet souffert des travaux de l’autoroute : les débris de la construction ont été évacués dans son lit, au point de l’obstruer, et le tracé jugule le cours naturel de l’eau dans un coffrage de béton au point de lui donner l’apparence d’une annexe du canal de Marseille.

Malgré une ripisylve bien fournie, le ruisseau est invisibilisé.

Le chemin qui longe la colline, effleure le passage menant aux grottes carmélites et à la chapelle de Saint Marie Madeleine (signes d’une époque où les pèlerins venaient chercher la quiétude et la contemplation près de ces eaux bouillonnantes), et descend jusqu’au fond du vallon en passant par le cimetière, est peu fréquenté. En tout cas pas par celles et ceux qui rêvent d’une promenade au bord de l’eau. Or, en tendant l’oreille, au niveau des sépultures du carré musulman, on entend clairement murmurer une cascade. Et en écarquillant les yeux entre les anneaux du grillage, on peut même la voir.

Pour le marcheur moins attentif, pas facile de deviner la présence du ruisseau : bordant la Savonnerie du Midi (implantée autrefois précisément au bord de l’eau afin de pourvoir à ses besoins et d’utiliser la rivière comme…moyen d’évacuation de ses déchets), la rue Augustin Roux se caractérise par ses devantures de garages, ses tâches d’huile de moteur et par l’accumulation des déchets sur le bord de la route plus que par le doux glouglou de la rivière.

Pourtant une fois encore elles sont bien là, les Aygalades. Pour les voir dans leur plus bel habit de lumière, l’idéal est de franchir la porte de fer qui donne accès au jardin de la Cité des Arts de la Rue. A condition qu’elle soit ouverte, comme parfois le mercredi après-midi et lors d’événements liés au Jardin de la Cascade.

Avec ces immenses bâtiments de béton et de métal, la « Cité » porte bien son nom et semble se fondre dans le paysage. Mais son enceinte close et les activités qu’elle abrite (créations de décors pour des performances de rue, danse aérienne en baudrier, diffusion de musique expérimentale -parfois à haut volume jusque tard dans la nuit lors de soirées organisées par des collectifs d’artistes…) ne facilitent en réalité pas son intégration dans le 15e arrondissement de la ville, et les habitant.e.s du voisinage ne forment qu’une mince part du public amené à fréquenter les lieux.

La question du partage d’une certaine forme de culture, subventionnée et produite par une scène nationale dans le cas présent, est l’objet d’un vaste débat et n’a rien d’une évidence ni d’une obligation.

Ce qui fait plus l’unanimité, peut-être parce que cela obéit à des besoins plus primaires, c’est le plaisir des visiteurs à se promener dans le Jardin de la Cascade, mis en scène lui aussi par le personnel de la Cité des Arts de la Rue. Surprise de découvrir un espace de verdure en plein dans un quartier bétonné, plaisir de sentir la fraîcheur des arbres et de l’eau, ravissement face à la cascade… les réactions sont à la fois multiples et indifférenciées quelle que soit l’origine géographique des promeneurs, venus du quartier, du centre ville, ou de l’étranger.

L’évidence est là : au pied de la falaise de la Viste, battue par le soleil et le vent, il y a eu et il y a toujours de l’eau ! De l’eau dont on s’oserait n’abreuver, tant elle reflète le développement industriel et urbain de la ville, mais de l’eau qui continue de posséder de nombreuses vertus : celle de rafraîchir, de dépayser et de faire rêver.

Dans H20, les Eaux de l’oubli (Paris, Lieu commun, 1988), Ivan Illich écrit que la propriété première de l’eau sauvage est de provoquer le rêve, par opposition à l’eau domestique qui est réduite à une matière. En poursuivant le syllogisme, on peut alors se permettre d’affirmer que, puisqu’elles parviennent à faire rêver, alors les eaux du fleuve urbain, pollué, oublié des Aygalades sont bien des eaux sauvages.

Le rêve et l’évasion sont donc à portée de main, à 15 minutes à pieds le long d’un chemin qui sent bon l’aventure, avec les cailloux qui roulent sous les pieds et le trou dans le grillage, les cascades cachées sous les frondaisons, le frisson de la traversée du territoire des morts, la porte de métal dont il faut négocier l’ouverture. Le chemin existe mais il faut l’ancrer, le tracer dans les mémoires, le pratiquer suffisamment pour qu’il devienne une habitude, le baliser d’une manière à la fois discrète et éloquente.

VACANCES DE FEVRIER 2023

Rencontre avec les enfants du Centre social del Rio à la Viste.

Première question : savez-vous qu’une rivière coule en bas de la cité ? Qui est déjà allé au bord de la rivière des Aygalades ?

Peu de main se lève, les enfants sont surpris. On leur annonce qu’on va partir marcher, partir à la fois très loin et tout près.

Sur le chemin on se pose des questions sur le paysage, sur les plantes, on cherche à s’orienter, à trouver les indices qui signalent la présence de l’eau. Pour la plupart des enfants l’existence du chemin est une découverte. Sur le terrain en pente, une petite fille crie de peur de perdre l’équilibre, elle n’a pas l’habitude de marcher sur un terrain inégal, quelques cailloux qui roulent lui font se sentir au bord du précipice.

La traversée du trou dans le grillage marque définitivement l’esprit d’aventure. La traversée du cimetière est aussi l’occasion d’évoquer les morts, les grands parents qui parfois ont déjà disparu et qui sont pour certains enterrés ici même.

Ceux qui ne marchent pas trop vite entendent le flot de la cascade de la Savonnerie et cherche à la deviner à travers les branches. C’est l’hiver, il y a peu de feuilles et l’eau jaillissante apparaît.

A la sortie du cimetière, par dessus le petit mur le lit de la rivière est visible pour la première fois. En se penchant par un nouveau trou dans le grillage les enfants commentent l’état du ruisseau et les déchets qui le jonchent.

On traverse la rue Augustin Roux en faisant attention de ne pas se faire renverser par une voiture. Rien ne laisse présager ici que le ruisseau et son jardin sont tout près.

Une fois passée la grande porte de métal, on arrive dans la partie botanique du jardin. Malgré la saison, les plantes, méditerranéennes pour la plupart, sont vivaces. On propose aux enfants de se mettre par deux et de jouer au jeu de l’aveugle et de son guide, afin de découvrir le jardin d’abord avec son nez, ses oreilles et la sensation de ses pieds. Le jeu plaît, même si la proposition de marcher lentement et déployant son attention est nouvelle, il marquera l’entrée dans le jardin de pratiquement toutes les futures visites.

Les quatre drôles d’adultes qui accompagnent le groupe s’échinent à convaincre les enfants que dans l’eau se trouve des trésors, surprenants, déroutants plus que dégoûtants, puisque de toutes façons les objets collectés seront patiemment nettoyés : c’est comme ça qu’on enclenche la relation de soin, en prenant le temps de délicatement faire reluire un élément qui auparavant figuré sur la liste des déchets.

Les enfants rapportent leurs trouvailles jusqu’au centre social de la Viste : ce qui n’est pas une mince affaire lorsque l’objet choisi est..une bonbonne de gaz (vide) qu’il faut traîner dans toute la montée !

Le lendemain les enfants nettoient les objets trouvés et imaginent leur histoire, comme le ferait un archéologue après avoir déterré un fragment d’une civilisation passée : où a-t-il été trouvé, combien de temps a-t-il passé dans l’eau, quel est son nom et son super pouvoir.

Une première mise en forme, des totems (futures indicateurs de la ressource en eau?), est réalisée pendant une session..un peu chaotique même si le résultat final est en fin de compte joyeusement bariolé. Avec de simples morceaux de journaux déchirés on apprend aussi à faire vivre de petits personnages, tout en jambes, une autre manière de découvrir que décidément tout peut être support à histoires.

FEVRIER-MARS 2023

Rencontre avec les femmes de l’atelier couture

Initialement, il était prévu que les ateliers menés avec les enfants le soit aussi avec des adultes. Mais ces derniers n’étant pas « captifs » du centre social comme le sont les enfants, il a été moins facile de les mobiliser sur l’idée d’aller marcher jusqu’à la rivière. Une seule dame s’est présentée au rendez-vous : Aïcha. Elle ne s’est pas découragée et elle a accompagné l’équipe MYTRIDATE tout le long du chemin, faisant aussi sa part de collectage.
Ce jour là, on a découvert un tressage réalisé par la rivière particulièrement bluffant : métal, plastique et queue de renard (ou du moins un matière qui en a la forme) se mélange pour former des sorte de pompons. On les ramasse en se disant que si dans l’absolu on ne sait pas encore quoi en faire, cette forme nous plaît beaucoup tant elle symbolise la symbiose de la matière qui s’effectue dans l’eau.

Avec toutes nos trouvailles et celles des enfants, nous participons pendant 4 séances aux ateliers de couture du centre. En plus Arlette est un bonne couturière, ce qui ne gâche rien et nous permettra de nous rendre utiles en même temps que l’on partage avec enthousiasme nos idées avec les dames qui se réunissent chaque lundi.

La première séance est un peu timide, chacune bricole dans son coin, Arlette aide à faire fonctionner les machines à coudre qui déraillent souvent.
Puis peu à peu au fur et à mesure des séances on se rencontre, on discute, on se donne des coups de mains dans un sens comme dans l’autre.

Plusieurs personnes tissent avec de la laine un masque qui a été commencé par les enfants, on s’amuse de la faculté du caprisun a devenir un excellent tissu pour coudre un tablier.

AVRIL 2023

Les ateliers à l’atelier couture nous auront convaincu qu’il est difficile de parler de la rivière sans l’avoir rencontré physiquement. Sans cela, elle reste une inconnue, une abstraction, voire le sujet de plaisanterie

Mais c’est pas une rivière, c’est un égout ! s’exclame une animatrice que l’on aimerait bien réussir à faire descendre au pied de la cascade.

Alors on a décidé que les prochains ateliers auraient lieu au plus près de l’eau, afin de pouvoir vraiment être à l’écoute de la rivière et inspiré par elle.

Plusieurs personnes sont venues, certaines sur plusieurs séances, d’autres une fois seulement.
Pendant les vacances les enfants de la Viste sont revenus pour retrouver les créations qu’ils avaient entamé en février et réaliser les balises du chemin.

3 MAI 2023

Le jour du pique nique est arrivé !

Parmi les images des « Aygalades autrefois », l’une d’elle a marqué notre imaginaire :

On s’est donc amusé à rejouer cette scène de sortie champêtre au bord de l’eau, en se disant que le dépaysement serait en deux dimensions : voyage dans le temps et Partie de Campagne à deux pas de chez soi.

Nous sommes donc partis avec les enfants de la Viste, empruntant le chemin que désormais ils connaissent bien, le balisant de nos petits mobiles indicateurs de la présence de cette rivière hybride.

A l’arrivée nous avons été accueilli.e.s joyeusement par les grenouilles et les Gammares.

Nouvelle exploration de la rivière, scintillante au printemps, une première pour certains enfants pour qui le caractère magique de l’endroit a tout de suite sauté aux yeux.

Le pique nique s’est conclu par une grande discussion sur le site tel qu’il était autrefois, les habitudes des dames en robes à crinoline, du fonctionnement de la cascade.
Et puis bien sûr cette grande question

« Mais alors, la rivière est-elle vivante ? »

Chacun a donné son avis sur ce « qu’être vivant » signifiait, mais il était certain que la réponse était Oui.

Puis les enfants sont repartis par le chemin que désormais ils connaissent bien.

Leur aventure est visible ici

Merci à toute l’équipe Mytridate et Gammares

Chloé

Charlie

Melville

Arlette

Agnès J.

Claire

Agnès de la Colline

Christiane

Merci au centre social del Rio, à Charlotte et Coline

MADE IN THE RIVER – Nouvelles du printemps

Où en sommes nous actuellement? 2 mois après le lancement de la Gazette du Ruisseau ?

Nous avons écouté le fleuve, en l’observant, en le touchant et en entrant dans sa vie hybride fluide. Cela prend du temps : passer des heures à ses côtés, chercher, explorer et enfin récolter des matériaux le long du lit du ruisseau.

Ainsi, nous pouvons commencer à transmettre et à transformer la façon dont les autres voient et ressentent la rivière, sa vitalité – entendre sa voix : Prendre soin de la rivière en l’écoutant – comme une entité vivante – et en étant en présence sympathique avec cet autre être vivant.

Nous avons enfin nettoyé, rassemblé, tamisé et digéré les divers matériaux trouvés dans ses eaux, incrustés dans les berges, flottant ou noyés, les détritus et déchets humains que le ruisseau tente d’accueillir, de transformer et de revêtir de sa beauté et de son charme.

Maintenant, nous sommes engagés dans la fabrication d’ateliers, nous pouvons commencer à créer un nouveau panthéon de créatures fluviales, d’esprits et de dieux/desses, en co-construisant et re-présentant l’ingéniosité et la créativité du fleuve – avec une haute couture, à travers la délicatesse et l’unicité , mêlant cette nouvelle sensibilité aux charmes et vêtements du quotidien. Nous réalisons ensemble :

Des incarnations des aspects de la rivière : le Dragon/Hydre (source de la rivière) ; La Tête de galets (lit de la rivière) ; Le Sangsue (la symbiose interne à la rivière); la Créature de la Caravelle (créatures de la rivière); La Cascade (Rivière qui coule de l’énergie – eau); Algues/Végétal (Végétation fluviale), Le Digesteur (eau/pluie/soleil/rayonnement/dégradation/à hybridation).

Illusions, mirages : l’eau nous crée le trouble entre rochers et polyesters

D’autres apparitions auront peut être lieu ?

Affirmer cette étrangeté : “je ne suis pas naturelle et pourtant je suis toujours sauvage”, transformer le rebus en préciosité, entendre la beauté cachée.

Cet imaginaire de l’eau, véhiculé à travers la création des costumes, est partagé au cours d’ateliers avec les habitants de Marseille Nord :

Depuis février, l’équipe de Made in The River a partagé des explorations du ruisseau et des ramassages avec les enfants de la cité de la Viste, voisine du ruisseau.

Un chemin relie la cité à la rivière en quelques minutes à peine, à travers les herbes hautes, le silence du cimetière et le brouhaha incessant de l’autoroute. Un chemin qui, si on bifurque à gauche, est aussi celui qui mène à la chapelle de Marie-Madeleine, aux grottes des chrétiens anachorètes du XIIIe siècle qui venaient chercher dans ce havre de paix à l’aplomb de la rivière, calme et fraicheur pour méditer.
S’aventurer sur cette piste caillouteuse, c’est un peu comme remonter le temps, faire un pas de côté pour se reconnecter à un ailleurs temporel, à une époque où le mysticisme de la rivière était une évidence.

Afin de faire ressurgir cette voie.x de l’ancien temps, nous fabriquons des signes, des traces composées à partir de la rivière elle-même, qui témoigne de sa présence cachée un peu plus bas et invite à suivre le chemin pour la retrouver.
Pendant les vacances de printemps, les enfants viennent à la rivière et confectionnent ces mobiles, sortilèges et grigri qu’ils accrocheront le long des grillages et des arbres afin d’affirmer “C’est par ici, l’eau coule tout près de nous”.

Tous les mercredi d’avril, et les deux premières semaines de mai (3 et 10 mai) les ateliers sont menés au pied de la cascade, de 14h à 16h, à la Cité des Arts de la Rue. Bienvenue!

Les 3 et 4 juin, à l’occasion des “Rendez-vous au jardin” les costumes seront mis en scène afin d’évoquer le réveil des Esprits du Ruisseau.

Créations du mercredi 5 avril

Avez-vous ajusté vos scaphandres ?

Dimanche 5 février, Christine Breton, est venue au pied de la cascade des Aygalades, à l’occasion de la conférence Voix d’Eau qui a lieu chaque premier dimanche du mois sur une thématique reliée au ruisseau Caravelle-Aygalades.

[pour en savoir plus sur les Voix d’Eau, rendez-vous sur le site du Bureau des Guides : https://bureaudesguides-gr2013.fr/voix-d-eau/]

Historienne de l’art, conservateur du patrimoine chargée de la mission expérimentale européenne sur les 15 et 16e arrondissements de Marseille de 1995 à 2010, Christine Breton est une figure tutélaire des expériences menées par la communauté Hôtel du Nord.
Ce dimanche, elle intervenait à l’occasion des 10 ans du GR13 et faisait le rapprochement, à sa manière docte et poétique, entre la mémoire sédimentaire contenue dans les roches de tuf, et celle, plus fibreuse, des data centers qui fleurissent à l’embouchure de la rivière, formant ainsi un nouveau delta de flux.

https://reporterre.net/A-Marseille-la-demesure-des-data-centers
Sur les data center, lire https://reporterre.net/A-Marseille-la-demesure-des-data-centers

La conférence a commencé comme ceci :

Avez vous ajusté vos scaphandres ?

(DEBOUT et mimes)

Scaphandre, forme balourde de la modernité

Pou-toum, pou-toum, c’est le son de sa bande dessinée.

Scaphandre, vieux déchet re-trouvé dans le bassin du Cap Pinède

quand Nadar inventait là, juste dessous, les premières photos sous-marines.

Nadar frère de Gamar,

Gammares nom d’une crevette oubliée dans cette eau douce .

Scaphandre, appelé aussi Squoi-fendre

pour fendre

fendre l’au-tour

le tour de l’eau

Pour en faire inventaire

Pour inventer la terre

Pour y venir

sans être une re-venante ou échappée de l’Epad

Pour être en jeu

sans me taire…

Immersion donc dans le jeu de J.E., un engagement qui est préféré à un nous gnangnan et inclusif, pour le moment, dans ce lieu humide et froid.

(ASSISE et italique pour l’explicite 🙂

  • Facil ! se dit une personne assise là, si elle continue avec ces jeux de mots à la noix, je rentre à la maison…
  • Et vous auriez raison ! Alors je vous promet de faire trois pauses explicites le long de cette demi heure et puis les jeunes personnes qui m’ont invité me l’on demandé aussi !

EXPLICITE 1 :

Je vous propose ce moment comme une marche que vous faites en pensée. Je vous propose mes squoi-fendres isolants, comme une métaphore du J.E. Je vous propose de vous fendre vous-même et de fendre ce qui fait semblant d’être vrai alentour, vos vus rondes dans vos hublots et je commence par ma propre expérience.

Je vous livre les résultats de mon dispositif et je m’oblige à le faire en forme de récit. C’est le philosophe Walter Benjamin qui m’a initié à la forme du récit que je ne quitte plus depuis 2010. Le récit, cette forme orale qui danse avec l’écrit. Cette forme joyeuse liée au feu du soir, à l’éclat des étoiles et des voix.

Le récit permet la fiction et fait vivre, négocie le rapport entre le rétrospectif (mon métier de Conservateur du Patrimoine avec majuscules car c’est le titre d’une fonction publique) et le prospectif les métiers de la ville en projet ou en GPU (grand projet urbain puis de ville) que j’ai accompagné de 1995 à 2010 là dans le cadre de la mission expérimentale ville-état-Europe qui concernait la découpe mairie de secteur des 15 et 16 ème arrondissements de Marseille.

Je vous retrouverai donc à l’explicite 2 dans un autre moment du récit –

(DEBOUT et mimes)

Je suis là dans une matière. Dans mon hublot je vois. C’est presque une roche avec des bulles de vides dedans, des traces de disparitions ?

Où suis je ? Qu’est ce ?

Érosions des rochers arrondis usés en surface, j’y vois des bouteilles en plastiques déjà pétrifiées et en-dessous, en-dessus des épaisseurs de tufs, de l’eau douce fossilisée, arrêtée dans un moment du temps et… entassées jusqu’au ciel.

Je connais le mot tuf parce-que je suis historienne d’art. L’histoire religieuse m’a mise en face de ces roches végétales, de ces grottes en chapelet, de ces laures pour ermites en Provence et en Palestine.

Je re-connais la roche facile à travailler, décors intérieurs, tours de fenêtres, tours de portes, salles grotesques, collages de coquillages ramassés alentour pour faire joli et pour terrasser les peurs :

– Habiter la terre au mot à mot –

les ermites semblent l’avoir entre-pris.

Je vois aussi ailleurs, un décor coquillés mieux conservé, dans le secret nuité des tufs au « vallon, cascade, turbine, usines urbaine et grottes des Carmes » à Barjols dans le Var, comme ici les mêmes mots, le même contexte, alentour de l’eau et des pentes. Hommage à Virginie.

(Explicite ponctuel qui ne fait sourire que moi : Virginie Despentes, française féministe auteure de KINGKONG théorie que je ne peux oublier coincée dans mon squoi-fendre. )

Je suis toujours là coincée dans cette roche et derrière mon hublot ; j’appelle vite ma copine Nadine Gomez, l’inventrice du Musée Gassendi de Digne et des « refuges d’art » dans la montagne.

Gassendi, le philosophe empirique et son ambulo ergo sum (je marche donc je suis) qui fait face au cogito ergo sum (je pense donc je suis) du philosophe Descartes ; j’avais oublié que dans cette bataille du 17ème siècle gît une petite phrase du philosophe décèdè Bruno Latour, «  nous n’avons jamais été modernes » et moi non plus ici !

Bon ! Nadine arrive, elle est fille d’ouvriers de St Louis, juste au-dessus, elle a passé son enfance dans ces tufs. Fille des quartiers nord on ne la lui fait pas ! elle fait sa thèse en géologie sur ses tufs à elle et elle rigole : « tu es dans le spot international le plus célèbre, le plus visité par les géologues du monde entier ! Un musée de tufs, un site incontournable. »… Ah bon !

Et je vois par mon hublot le conservatoire de végétaux, de graines, de bacilles, de virus, d’humains et tous leurs arte-facts. Un zoo d’animaux aussi, « une brèche osseuse » dessinée en 1891 sur la carte du tout jeune Eugène Fournier. Animaux pétrifiés ensemble dans une zone humide tropicale et un fleuve énorme de 2Ma ( 2 millions d’années ) des cascades avant la mer et juste avant le mammouth laineux et la couverture de glace.

Un data center comme disent les moderne de maintenant.

Le plus grand musée de déchets vivants qui se métamorphosent, se calcifient lentement.

Des strates de régimes climatiques qui se renouvellent à terre ouverte.

Un grand livre feuilleté, bref un TRESOR commun.

Alors là, silence dans vos squoi-fendres.

J’en profite pour glisser vers l’embouchure en delta de ce fleuve côtier, millionaire, plus exactement dans ce filet d’eau douce qui est son reste, sa trace, son fossile raccorni, devenu égout.

Je débouche alors sur ce que je cherche, intuition fulgurante mise en forme.

La pensée électrique du trésor de la terre a mis en contact TUFS et TRUC moderne…

J’arrive entre les pattes de la tour de Zaha Hadid. Cette architecte en connait un rayon sur les flux croisés, les intersections choisis pour ses sites d’implantation partout où elle fut

Ici un ruisseau, un port, des bassins, une digue pour nous protégé de Pontos le dieu des flots furieux, une autoroute et sous les jupes de CMA-CGM, une flotte de bateaux portes-containers qui s’intersectionnent, en temps réel depuis la Chine.

Autant de data aquatiques, autant de données et pas le temps pour un trésor commun.

Il me faut donc atterrir pour pouvoir appeller ma copine, déjà morte, Françoise d’Eaubonne.

il me faut au moins son rire ravageur et ingérable, ses fictions féministes et écologiques.

Elle rigole aussi, c’est une manie chez mes mamies !

– sur le port un peu plus au nord, dit elle, il y a depuis 1943 l’ancienne base des sous marins, des uboot de l’armée allemande.

– oui je connais ; lui dis-je irritée ! les grottes de l’état major et ses couloirs et ses réseaux souterrains qui montent de la base jusqu’aux cités de Campagne l’Evêque et de La Viste.

– Fais pas ta gueule de phoque car là, dans la base sous-marine tu vas trouver un trésor bien plus grand qu’une flotte libanaise de containers et plus grand que tes tufs.

Là, dans ce coffre fort qui restait un déchet militaire indestructible, se rassemblent maintenant toutes les données de l’Europe.

Pas de panique, c’est l’effet péninsule ; bout d’Europe, bout de fibre !

Ce rassemblement file d’ici et revient des grands océans Indien et Atlantique via Suez et Gibraltar.

– Un flux réflexif, aller-retour donc ?

– Mieux, il y a là le plus grand musée du monde en connaissances stockées, en bout de fibre.

Vas y mets face à face le musée des tufs en haut et celui des fibres en bas ;

et voilà la nouvelle échelle de l’être là, dans ce territoire du 2023. Va falloir vous adaptez à ce rapport de temps.

  • comme quoi faire l’inventaire au pas à pas localisé, ça paye …
  • Reste à équiper ce tourisme du déchet, sourit-elle.
dessin de Dalila Ladjal, croqué sur le vif

(ASSISE )

Explicite 2 : Derrière mon hublot, je dois vous rassurer.

Il n’y a pas de coquetterie de ma part dans ce récit. J’ai juste trouvé la bonne échelle, c’est à dire trouvé le plaisir de déployer mon âme, mes mots, mon corps de poussières d’étoiles dans ma ville bien aimée, ramener le tout vers vous et je sais que c’est juste ! Jubilant n’est ce pas ?

  • Plaisir de vous montrer ces deux musées monstres de tufs et de fibres reliés par le fleuve côtier Caravelle, la bien nommée, celle qui joint les Europes et les Amériques au 15ème siècle. La Caravelle des quartiers laissés au ban, celle du trésor du dragon colonial.

– Plaisir de vous dessiner ce contexte, ces tapis de temps plus ou moins troués, accumulés par strates pour votre anniversaire, mes amis du GR2013 !

Que vous soyez Gammares, GR2013, Hotel du Nord, marcheuses ou habitants là, il y a 10 ans vous avez été situés.es . Quand Marseille fut capitale européenne de la culture vous fûtes la Balise Omega des possibles et vous l’êtes encore en 2023. Cette balise Omega qui marque en mer l’entrée du Rhône.

  • Plaisir de vous offrir ce cadeau comme vous continuez d’en offrir depuis 2000 aux marcheuses et marcheurs à l’issue des balades patrimoniales dans les 15 et 16èmes arrondissements de Marseille. Continuer de restaurer le don.
  • Plaisir de la générosité de l’hospitalité apprise ici depuis 1995 ; « nous avons tout, besoin de rien » et certainement pas besoin de lieux et de catégories pour habiter ici.
  • Bref, plaisir de raconter le renversement du temps qui ne laisse plus dos à dos en ennemis les métiers du rétrospectif et du pros-prospectif (c’est l’histoire du fémur de César qu’il ne faut surtout pas trouver disait le précédent maire car il arrêterait les projet des aménageurs).

11H30 MI_TEMPS du récit DEBOUT

Pause tisane, je peux et nous pouvons enlever les squoi-fendres, vous avez remarqué que nous sommes arrivés dans un NOUS respirable.

Comme nous le savons, grâce à la vie des communautés patrimoniales générées dans les quartiers sur la base : « pas de patrimoine, c’est à dire pas de communs, sans communautés », pour faire un nous il convient de l’engendrer et de l’incarner. Un peu plus abstrait mais nécessaire de passer par là.

Bien, ça c’est facile, ça fait 2023 ans de christianisme que ça dure ! Je reconnais ces restes emprisonnés dans ma spirale Adn avec Néandertal. C’est pareil pour vous aussi à re-chercher, re-trouver donc. Je vous y abandonne pour passer maintenant au récit économique décalé. Car voilà que sonne l’heure du phoque.

Le phoque représenté sur les monnaies de Foça, (prononcez Photcha).

Foça la ville d’Asie, en Turquie aujourd’hui.

Phokaia la ville éponyme de phoque, la ville-port colonisée par les perses au moment du départ de ces phocéens, marins rêveurs et déesse en partance vers leur future colonie ici, Marseille.

Marseille, sa monnaie, donc son portrait, circulant partout de mains en mains, sa monnaie est celle de Foça : le phoque.

(EXPLICITE 3 / ASSISE)

_ Comment va t elle faire avec le nous ici ? Impossible chemin pour trouver des ailleurs ?

– Vous avez raison sauf à passer par un autre passé encore plus vieux que nos 2023 ans de christianisme. Dans l’histoire coloniale ici vieille de 2700 ans ( pas la petite république coloniale française de 270 ans ) nous avons eu la chance d’engendrer un père, dans ce quartier. Un ancêtre étranger.

Un père que nous avons cherché, reconnu, « engendré, non pas créé «  comme dit le credo catholique car c’est un processus vital que ce père là, un envers de généalogie morte. Il dessine notre méthode.

Le long du fleuve côtier, celui-ci, roule la rue de Lyon et sur cette rue marche Walter Benjamin.

Il vient de Paris il est à l’hôtel du midi là bas et ici il loge à l’hôtel de Paris et toujours dans son lit il y a Ernst Bloch. Depuis la Suisse ils partagent le même lit, la même quête philosophique, ils n’ont pas un sou et trafiquent un peu les lits et le poker pour Walter Benjamin, surtout ils partagent leurs vies avec des femmes et celles-ci sont artistes, créatrices ou traductrices des premières revues féministes et féminines ( Uhu des années 20 s’invente et marie-claire, elle, etc, suivent…) .

En septembre 1926 ils sont à Marseille car Walter Benjamin y a vécu l’heure du phoque et il a eu peur ! Il y entraine Kracauer et Bloch et tous les trois renouvellent le dispositif et expérimentent la même situation et ils ont eu peur !

Peur quand ils ont vu le temps se décomposer, ruine totale de la ville première, ses déchets servant à recomposer des mentir-vrai de continuité. Pour que vous entendiez bien la peur et la force de l’expérience marseillaise sachez que

-Bloch en a écrit un mini récit, « l’angoisse de l’ingénieur ».

– Kracauer en a écrit son roman autobiographique, « Genet ».

– Walter Benjamin en a écrit, systématiquement géographiques, 10 « images de pensée », fulgurantes, dont on perd les traces dans différentes revues et journaux. Il nous a transmis la Marseille d’ici et nous n’avons pas fini de comprendre les double fonds de ces 10 images dialectiques.

  • Dénoncé pas à pas le vieux port, la bassine d’eau puante, la gueule du phoque entartrée dévorant les corps ouvriers.
  • Dénoncé le quartiers de la prostitution exploitant tous les corps dans les restes aristocratiques des palais clos, déchets de ce que fut le corps de la ville.
  • Dénoncé la balafre qui va d’un port à l’autre en y installant le corps du vieil homme déchu qui vend sa bibliothèque, sa ville historique perdue.
  • Dénoncé la cathédrale désorientée, tournée au nord, devenue gare de religions, le long des bassins de la modernité.
  • Dénoncé en marchant vers le nord les industries émergeant « des nappes de brouillards dans des couloirs puants » et “des perrons asthmatiques » qui » poussent les puissantes collines » et le paysage provençal.

– et il a marché encore plus au nord jusqu’à l’arène d’Aix en Provence pour plonger le jeune homme dans le sang du taureau.

Walter Benjamin dessine exactement notre nous, notre première carte urbaine.

Il est exactement notre père, celui qui nous enseigne l’histoire à rebrousse poils, celui par qui nous effaçons nos traces.

Et voici mon adresse en forme de gâteau d’un anniversaire aquatique :

Voilà chères crevettes du fleuve côtier Caravelle quelques métamorphoses auxquelles j’ai assisté, auxquelles j’ai participé avant que vous n’existiez et que vous continuez d’engendrer y compris en vous appelant gammares du Caravelle ou bien marcheurs, marcheuses du GR2013 ou dormeuses, dormeurs de Hotel du Nord.

Vous aussi vous fabriquez des ailleurs jamais vu des crevettes qui marchent ! De belles mutantes !

Depuis l’an 2013 qui vous a rendues célèbres vous, marcheurs et marcheuses ou dormeuses du GR2013, Hôtel du Nord vous ne cessez de tourner le brouet dans des chaudrons de sorcières.

Vous voici vous qui marchez, dormez ou vous qui êtes là aujourd’hui, vous aussi êtes entré.es dans l’anniversaire.

Depuis 10 ans vous n’avez cesser de partager ou accompagner des marches dans cette immense oeil de cyclone-cyclope, ce géant qui vit là dans la grotte au dessus de vous et qui va se réveiller un jour. Vous le savez.

Je vous souhaite un bel anniversaire de 10 ANS. Parlez, riez, racontez, chantez encore votre nous.

Et surtout invitez, inventez des ailleurs comme le bassin versant de la rivière Doux.

Tirez lui le Tarot car voilà un bassin ardéchois qui veut connaitre son avenir.

Depuis 30 ans, depuis le Centre d’Initiative Rurale généré par des paysans riverains, le processus intégré au territoire continue de se décliner dans une association Terroir, une filière bois, un espace naturel sensible, des Nymphes, un Dragon, des non-humains et même des journées européennes du patrimoine.

C’est un début d’inventaire au bord du Doux et de ses affluents, ses bois, ses eaux.

Tirez le portrait des écrevisses à pattes blanches qui déjà disparaissent comme vous mes chères Gammares, crevettes débris de vie devenues marqueuses du vivant.

Youpee !”

Christine Breton

Février 2023.