Le 19 janvier 2016, Hôtel du Nord fêtera ses 5 années d’existence en qualité de « coopérative d’habitants ».
Notre processus coopératif est né bien avant, avec la mission européenne de patrimoine intégré entre 1995 et 2013, la commission patrimoine 15/16 active dès 2009 et un premier prototype pilote de séjour lancé en 2010 avant d’adopter le statut de coopérative.
Cinq ans après, notre coopérative compte plus de 60 hôtes sociétaires et a contribué à l’accueil d’environs 10.000 passagers venus découvrir Marseille par son nord. Un bilan détaillé sera publié comme chaque année suite à notre assemblée générale d’avril 2015.
Au niveau économique, Hôtel du Nord doit faire face comme tant d’autres à la nouvelle concurrence redoutable des plateformes de l’économie collaborative, dans notre cas AirBnB pour ne nommer que la plus visible avec déjà un millier de lits disponibles dans les quartiers Nord de Marseille (7ème et 8ème secteurs). Hôtel du Nord s’est lancée avec d’autres depuis une année dans un processus de création d’une plateforme coopérative d’hospitalité à l’échelle internationale dénommée pour le moment « H2H » : d’humain à humains, d’histoire à histoires, d’hôte à hôtes.
Pourquoi se lancer dans la création d’une nouvelle plateforme coopérative à l’échelle internationale ? Qu’aurait elle de si innovant qui vaudrait le coup de tenter l’aventure ? N’est ce pas une fuite en avant doublée d’une fascination pour l’outil internet ? Le débat est ouvert au sein de notre coopérative et avec nos partenaires.
Le positionnement de ces plateformes est toujours le même : un échange direct de personne à personne C2C, l’accès à une offre à bas tarif (argument central), un système de réputation des hôtes (notation, avis, certification, etc) sans oublier un discours marketing centré sur la promesse d’une rencontre d’un « habitant ».
Un tour des nombreuses plateformes internet « alternatives » à AirBnB permet de comprendre qu’elles cherchent essentiellement à se différencier en se spécialisant sur une typologie d’usagers : professionnels, gay, familles avec enfants, riches, etc, et dans une moindre mesure sur un élargissement timide des services annexes proposés : bonnes adresses à proximité, offres de formation ou visites avec son hôte, etc
In fine, la plus value principale est celle de gagner de l’agent facilement pour l’hôte qui accueille (« changez de vie, gagner de l’argent en accueillant ») et du tarif le moins cher pour le voyageur (« deux fois moins cher qu’un hôtel »). Les services d’hébergement proposés via les plateformes C2C semblent les plus concurrentiels, comme sur les plateformes C2C positionnées sur le transport, les visites, la restauration à domicile, etc.
Ce tarif concurrentiel est obtenu par une mise en concurrence optimisée entre hôtes grâce à une individualisation des hôtes qui accentue la libre concurrence ; une réduction a minima de leurs contributions de solidarité et de leurs droits : réduction à minima des droits communs (code du travail, etc), des contributions sociales (fiscalité, charges sociales, etc), des organisations collectives (syndicats, etc) avec in fine une majorité d’hôtes sans statut ou en auto entrepreneur. Ensuite un élargissement exponentiel de l’offre grâce à la possibilité offerte à tous d’exercer sans être professionnel : il suffirait d’avoir un canapé pour héberger, une cuisine pour cuisiner, une voiture pour transporter, etc (la fin des métiers). In fine une mise en concurrence optimisée grâce au web avec une comparaison instantanée et efficace des tarifs, de la localisation, de la réputation et de la prestation.
Seules les plateformes elles-mêmes s’excluent de cette mise en concurrence via l’acquisition d’une position de quasi monopole pour imposer de fortes marges (et susciter l’intérêt des fonds de pension), pouvoir exclure leurs membres indésirables (critique de la plateforme, mauvaise réputation), créer un rapport de force favorable avec les pouvoirs publics, optimiser leur fiscalité et faire évoluer les réglementations en leur faveur (lobbying).
Cette logique rencontre ses propres limites avec aujourd’hui par exemple 20% des hébergements parisiens d’AirBnB qui sont l’offre de professionnels allant jusqu’à proposer une centaine d’appartements, voir des hôteliers comme en Suisse. Ces informations, non fournies par AirBnB, voir contredites, sont le fruit d’activistes de plus en plus nombreux à mettre en place des systèmes de vigilance et d’information vis à vis de ces plateformes.
A Barcelone, où la nouvelle maire a fait campagne contre le tourisme de masse dans sa ville, la ville vient de lancer en décembre des procédures disciplinaires contre les deux plates-formes AirBnB et HomeAway pour avoir proposé des « appartements touristiques non inscrits » et « ne pas avoir répondu aux demandes de l’administration ». AirBnB a déjà annoncé son intention de faire appel.
Pour autant, AirBnB arrive à imposer ses choix en dépensant par exemple 8 millions de dollars l’année passée dans la seule ville de San Francisco pour faire échouer, avec succès, un référendum qui proposait aux habitants d’encadrer beaucoup plus strictement son activité face à l’augmentation des loyers et des expulsions qu’elle engendrait. Son ambition est de devenir le premier acteur mondial du tourisme dès 2017 et elle s’en donne les moyens.
Aux Etats Unies où ces plateformes sont plus actives et implantées, le débat devient très vif. Les start up de la Silicon Valley sont appelées les « plateforme étoile de la mort » tant elles sont redoutables à tous les niveaux allant jusqu’à déclarer l’Etat hors jeu (seul les usagers comptent) et qu’aucun secteur économique ne sera épargné! « L’Alliance » face à la « sharing economy » s’organise avec fin 2015 un millier de personnes qui se sont réunies à New York pour lancer les bases d’une alternative crédible via les « cooperatives plateformes« .
Au niveau européen, le Comité Européen des Régions a remis à la Commission européenne et soumet à chaque Etat membre un rapport daté du 5 décembre 2015 sur « La dimension locale et régionale de l’économie du partage ». Ce rapport riche par son analyse du contexte, ses constats et ses propositions encourage notamment la Commission européenne et les États membres à mettre en place des mesures incitatives en faveur de l’économie collaborative afin de soutenir et d’appliquer les principes de l’économie sociale (en particulier s’agissant des principes de solidarité, de démocratie et de participation, ainsi que de la coopération avec la communauté locale). L’Europe semble vouloir ne pas se laisser à nouveau prendre de vitesse par les géants du Web.
Suite à ces constats et dans ce contexte, est il possible de développer une alternative coopérative crédible ? En quoi notre proposition H2H serait elle différente et plus pertinente que les plateformes existantes ? Cela vaut il la peine d’investir du temps et de l’argent dans une telle aventure ? Faut il seulement mieux encadrer ces géants et faire avec ? Est il possible d’exister économiquement face à la logique économique du bas prix imposé par ces plateformes ? Sommes nous condamnés à une stratégie de niche ?
Face à cette redoutable logique économique et son efficacité avérée, nous avons décidé de faire de ce qui serait a priori nos faiblesses, nos points forts !
Là où elles mettent l’individu seul à seul, nous mettons le commun au pluriel et au centre de notre activité.
Nous sommes une offre d’hospitalités. Ce sont les « communautés patrimoniales » au sens de Faro, qui accueillent. Des communautés qui prennent soin des communs, d’elles mêmes et des autres.
Nous ne proposons pas du C2C – consommateur à consommateur – mais H2H – d’hôte à hôteS, d’humain à humainS, d’histoire à histoireS. Nous confirmons notre attachement aux droits de l’Homme comme à la Démocratie et l’Etat de droit ainsi qu’aux principes coopératifs. La déclaration de l’Alliance coopérative internationale reste notre référence économique et la Convention de Faro sur le droit au patrimoine culturel notre cadre européen.
Qui sont ces communautés au sein d’H2H?
Elles sont plurielles, petites et grandes, auto organisées et auto instituées, productrices d’intérêt général et composée d’hôtes. Ce sont aujourd’hui un réseau d’hôtels en milieu rural qui prennent soin de villages et de leurs communautés, une coopérative d’habitants hôtes qui défend son environnement patrimonial dans une métropole en mutation, un réseau d’auberges de jeunesse, une coopérative d’artisans soucieux du travail bien fait et de transmettre ses savoir-faire, une agence de voyage qui défend les « vacances pour tous » et un réseau national d’entrepreneurs « producteurs d’intérêt général ». Sans parler des autres communautés en Europe, en méditerranée et depuis peu en Amérique qui nous suivent et nous rejoindront certainement si nous passons le cap national.
Pourquoi un passager utiliserait il cette plateforme? Sera-t-elle confidentielle et réservée aux seuls avertis ?
La plateforme que nous voulons mettre en place vise en premier lieu à offrir la même qualité d’usage que celles actuelles, voir meilleure comme le permet l’internet.
Nous proposons de passer d’un accueil « one to one » avec un hôte qui ne partage avec sa communauté que la même plateforme à un accueil par une « communauté » locale existant bien avant la plateforme et propriétaire de celle-ci.
La question de la « réputation » de l’hôte et ses logiques de « notation » de plus en plus détournées n’a plus lieu d’être. Celui qui accueille est un hôte partie prenante d’une communauté qui reconnaît la qualité de son engagement et de son offre d’hospitalité comme des savoir-faire communs (métiers). Cela n’empêchera pas de maintenir comme sur Hôtel du Nord le recueil et la publication de l’avis des passagers.
L’hôte, seul ou en groupe, a des intérêts en communs à partager avec ses passagers comme leur histoire commune, leurs savoirs et savoir-faire, etc. Dès 2016, Hôtel du Nord va mettre en place sur sa plateforme pilote une expérience de taguage de ces offres d’hospitalité et contenus culturels pour que par exemple une personne partageant notre intérêt pour l’histoire industrielle du nord de Marseille puisse identifier rapidement comment partager cet intérêt à travers la rencontre d’hôtes, de lieux, d’ouvrages, de produits, d’images, d’archives, de créations artistiques.
Certaines communautés d’hôtes portent une attention commune à des passagers particuliers comme des travailleurs en déplacement, des migrants, des étudiants, des familles, etc et leur proposent des offres d’hospitalité spécifiques comme le fait déjà Hôtel du Nord en coopération avec l’Hôpital Nord (hébergement des proches de personnes hospitalisées), les entreprises et les randonneurs du GR2013.
La communauté est aussi l’occasion de bénéficier d’une offre plurielle d’hospitalité et de découverte des patrimoines en terme d’hébergement, de balades, de produits locaux et d’ouvrages comme c’est déjà le cas avec Hôtel du Nord mais qui via les fondateurs d’H2H s’élargit déjà aux savoir-faire (appris avec) et au partage des données culturelles.
Enfin elles mettent en commun ce qui fait leur qualité de vie et leur cadre de vie que ce soit à travers le partage des « bonnes adresses » où va la communauté, des activités culturelles qu’elle recommande ou des espaces qu’elle fréquente.
En mettant le commun au centre du projet H2H, nous revenons sur ce qui fonde nos démarches respectives tout en se démarquant positivement pour nos passagers des offres classiques C2C. C’est le pari économique que nous voulons prendre en lançant H2H.
La lecture des médias montre aussi que pour certains le statut coopératif de par sa nature démocratique et non lucrative (rémunération modérée du capital) ne serait pas compatible avec le développement d’une plateforme C2C qui nécessite une levée importante de fonds financiers, sauf peut être à confier la tache à des « entrepreneurs sociaux » faisant fi des principes coopératifs.
C’est d’abord faire peu de cas des « géants coopératifs » présents dans tous les secteurs économiques et qui ont été mis en avant lors de l’année internationale des coopératives. C’est aussi oublier la plasticité des principes coopératif qui leurs ont permis sans cesse d’adapter ce statut aux défis sociaux (coopératives de pécheurs, d’activités, etc).
Le paradoxe nous semble davantage du côté des plateformes C2C qui pensent pouvoir dans la durée conjuguer collaboration et individualisme, partage et refus des communs, hospitalité et surveillance, réciprocité et concurrence (nous sommes à la fois producteur et consommateur).
Après avoir lancé un premier prototype de plateforme à Marseille en 2010 avec hoteldunord.coop, avoir contribué à l’émergence d’un deuxième prototype avec l’application « hidden city » à Pilsen en 2015, nous lançons notre troisième prototype cette année avec la version Poitou Charente d’HôtelduNord.coop et créons dès janvier la structure coopérative qui portera H2H. Notre objectif est de lancer la plateforme coopérative nationale en 2017 et celle internationale en 2018.
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