Le processus coopératif H2H en récit

Chapitre 1 : Les premiers pas.

L’histoire que nous vous racontons nous emmène dans les quartiers Nord de Marseille au milieu des années 80 où nous retrouvons Christine Breton, Conservatrice du Patrimoine fraichement affectée à ce secteur. À sa grande surprise, elle ne trouva à son arrivée aucun monument, site ou aspect culturel classé ou répertorié au patrimoine national. Difficile à concevoir pour cette conservatrice, elle choisit donc de lacer ses chaussures et d’arpenter les quartiers nord de Marseille à la recherche d’éléments patrimoniaux.

Les quartiers Nord de Marseille sont situés en front de mer sans en avoir l’accès. L’immense port-industriel de Marseille se dresse telle une muraille et empêche quiconque d’atteindre la mer par la voie terrestre. Depuis presque 200 ans ce secteur de Marseille est consacré au commerce. De ce fait de nombreuses activités économiques s’y sont succédé, et qui dit activités économiques dit travailleurs et qui dit travailleurs dit populations d’habitant. Des populations diverses qui se sont succédé, empilées et mélangées au gré de l’histoire.

Mais revenons à notre conservatrice du patrimoine : en classant et en répertoriant le patrimoine de ce secteur, elle s’est retrouvée confrontée à des problèmes nouveaux pour elle. Elle a repéré du patrimoine dont personne ne voulait parler, dont les gens avaient honte. Elle a également découvert du patrimoine que les différentes populations interprétaient différemment. Des problématiques qui l’ont questionnée sur son travail et sur la notion même de ce qui est patrimoine pour un peuple, pour une communauté. C’est à ce moment là de l’histoire qu’elle se tourna vers le Conseil de l’Europe pour trouver de l’aide.

Chapitre 2 : Un cadre commun.

Le deuxième chapitre de cette histoire nous fait changer d’échelle et de temps. Nous nous retrouvons à l’après guerre, dans une Europe partiellement en ruine. La guerre a fait des dégâts colossaux, si bien que les femmes et les hommes encore présents ressentent le besoin de s’unir autour de principes humanistes. Nous sommes aux prémices de la communauté européenne.

En 1949, est créé le Conseil de l’Europe. Ce conseil est une organisation intergouvernementale qui regroupe aujourd’hui 47 pays, soit au-delà des 28 États membres de l’Union. À eux tous ils représentent plus de 800 millions de ressortissants dans ce regroupement indépendant de l’Union Européenne. Le Conseil de l’Europe est la principale organisation de défense des droits de l’homme, de la démocratie et de l’état de droit. Elle s’attache à défendre ces droits et à donner un cadre commun facilitant leur application.

Le Conseil de l’Europe est, par exemple, intervenu au moment de l’éclatement de la Yougoslavie. À cette époque les différentes communautés se sont disputées la propriété de sites, de monuments ou d’aspect culturels ; chacun les revendiquant comme faisant partie de son patrimoine. Le Conseil de l’Europe a permis de rassembler des représentants de ces communautés autour d’une même table et à donc à a permis le dialogue entre ces peuples. Lors de ces réunions, chacun a pu mesurer la légitimité de l’autre à revendiquer un lien avec cet aspect patrimonial. Lors de ces réunions, chacun à a surtout pu se rendre compte qu’à travers cet aspect patrimonial, tous avaient un bout d’histoire commune et qu’ils n’étaient pas si opposés les uns aux autres. À partir de ce travail, certaines tensions ont réussi à être apaisées. Ces aspects patrimoniaux ont pu être préservés, valorisés et transmis aux générations futures. Ils ont également pu être utilisés comme une ressource permettant le développement économique et social des régions concernées.

Tout ce travail du Conseil de l’Europe autour des questions du patrimoine et des aspects culturels a abouti en 2005 à la rédaction de la Convention de Faro.

Cette Convention part de l’idée que la connaissance et la pratique du patrimoine relèvent du droit du citoyen de participer à la vie culturelle tel que défini dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Ce texte présente le patrimoine culturel comme une ressource servant aussi bien au développement humain, à la valorisation des diversités culturelles et à la promotion du dialogue interculturel, qu’à un modèle de développement économique suivant les principes d’usage durable des ressources.

La Convention de Faro est le premier des deux piliers de cette histoire qui a pour objectif d’en faire appliquer les principes le plus largement possible.

Chapitre 3 : Et la forêt poussa.

Le troisième chapitre de ce livre nous fait revenir dans les quartiers Nord de Marseille à une époque plus contemporaine. En arpentant chaussures aux pieds ces quartiers, la conservatrice du patrimoine Christine Breton y a fait des émules. Plusieurs collectifs formels ou informels se sont structurés et se sont emparés de la Convention de Faro comme un outil permettant le développement économique et le renforcement de la démocratie sur leur territoire. En 2009, la maire de secteur a adopté les principes de la Convention de Faro pour les quartiers nord de la ville et réuni ces personnes au sein d’une commission patrimoniale. En 2010, une grande partie de ces collectifs se sont regroupés en une coopérative d’habitants à activité économique nommée Hôtel du Nord. Cette coopérative a pour objectif de proposer des offres d’hospitalités marchandes ou non marchandes.

Ces offres sont déclinées en quatre marques. « Accueilli par » : de l’hébergement chez l’habitant en chambre d’hôte ou en gîte. « Découvert avec » : des balades construites collectivement par les habitants, par les acteurs économiques, institutionnels et associatifs du territoire pour en découvrir leurs visions et leurs pratiques. « Produit par » : des visites d’atelier d’artisans, d’artistes ou d’usine industrielle (comme les savons de Marseille traditionnels) et la valorisation de ces productions locales par leurs reventes auprès des passagers dans les hébergements. « Écrit par » : des ouvrages d’historiens ou des œuvres qui regroupent les contenus culturels, les recueils d’habitants et les archives mises en lumière grâce au travail de collecte et de recherche des acteurs de ce territoire notamment lors de la création des balades.

Hôtel du Nord propose ces offres d’hospitalité à tous les passagers du territoire. C’est un point important de cette histoire car un territoire ne se limite pas au seul passage des touristes ; de nombreuses personnes viennent pour d’autres motifs : accompagnement d’un proche hospitalisé, déplacement professionnel ou participation de chercheurs à un séminaire. Ils peuvent également venir pour leurs études, pour préparer leur future installation dans cette nouvelle ville et pour bien d’autres raisons. Pour cela, Hôtel du Nord a travaillé entre autres avec les hôpitaux, les entreprises et les universités pour construire des offres d’hospitalités adaptées à ces passagers. Au point que la coopérative n’accueille que 40% de ces passagers pour motif touristique, les 60% restant ont des motifs de visite autres. Ils répondent ainsi aux besoins réels du territoire en matière d’hospitalité.

Hôtel du Nord à a réussi son pari de faire venir des gens dans les quartiers Nord de Marseille alors que beaucoup leur promettait l’échec. Depuis leur création ils ont accueilli plus de 10 000 passagers en séjours et en balades. Ils génèrent 120 000 € de retombées économiques annuelles directes sur les quartiers Nord. Ils ont réussi à construire des formes d’organisation permettant que le travail collectif développe l’activité de chacun. Ils ont réussi à développer des projets « sociaux » qui s’appuient sur cette activité économique en faisant par exemple participer aux projets des jeunes issus de ces quartiers sensibles qui ont été formés au métier de guide accompagnateur par des professionnels du comité départemental de randonnée pédestre.

Chapitre 4 : L’intrigue.

L’histoire est belle mais la vie n’est jamais sans mauvaise surprise et le chapitre 4 vient projeter une ombre sur ce récit lui apportant son intrigue.

Depuis 2012, l’industrie du tourisme et de l’hébergement marchand opère un tournant majeur amorcé quelques années auparavant. Les plateformes de l’économie collaborative de propriété privée font suite aux sites de réservation en ligne et bouleversent les pratiques des usagers. Ils apportent une solution technique ultra-performante mais qui concentrent la plupart des réservations sur quelques places de marché et qui exacerbent la mise en concurrence entre les acteurs d’un même territoire. Les sociétaires d’Hôtel du Nord qui vendent leurs offres via ces canaux sont bien obligés de céder 15-20% de leur prix de vente aux sites qui leur apportent ce service de commercialisation au lieu de les reverser à la coopérative et permettre à Hôtel du Nord de contribuer au développement et à l’animation de leur territoire.

En quête de solution, Hôtel du Nord s’est tourné vers l’extérieur et a cherché des partenaires avec lesquels s’associer afin de donner une autre échelle à leur projet. Car l’échelle marseillaise n’était pas suffisante pour générer suffisamment de flux sur leur site de réservation et donc des retombées économiques suffisantes à la coopérative pour développer davantage d’activités.

C’est à ce moment là de l’histoire que l’association Ekitour entre dans la danse. Cette association basée à Poitiers à a une activité de voyagiste dans le tourisme social et solidaire. La rencontre de ces deux organismes s’est faite lors d’une assemblée générale de l’association Minga qui elle-même est une fédération d’acteurs professionnels et de citoyens engagés dans la production d’une économie de proximité et de qualité, au niveau local comme international.

Bien conscient des évolutions dans le domaine du tourisme, Ekitour a accueilli cette initiative avec un grand intérêt. Il en est de même pour Minga qui voit ses adhérents artisans, indépendants et citoyens souffrir face à la force de frappe de ces grandes places de marchés et qui éloignent les adhérents de la propriété de leur outil de travail. Les questions de l’État de droit, de la protection de l’outil de travail et de l’accès aux vacances, aux loisirs et à la culture pour tous étaient au centre des débats. Pour y parvenir, ces trois structures ont décidé de créer une plateforme à l’échelle euro-méditerranéenne permettant d’accéder à des offres d’hospitalités défendant l’intérêt général et les biens communs.

Ekitour, Hôtel du Nord et Minga ont donc choisi de coopérer afin de créer cette plateforme et c’est là le deuxième pilier de cette histoire : le cadre coopératif.

À quoi bon créer une plateforme de plus dans le marché ? Il faut en créer une différente, pas contre, ni alternative, juste une nouvelle forme de plateforme numérique. Motivé par d’autres motifs et porteuse d’autres objectifs que celles qui existent. Ces acteurs souhaitent créer un outil technique qui sera propriété d’une coopérative. Dans celle-ci les producteurs d’offres d’hospitalité aussi bien que leurs usagers, les personnes morales ou les institutions publiques pourront y être sociétaires. S’ils le souhaitent, ils deviendront  propriétaires de leur outil de travail, de la place de marché qui les commercialise et ainsi participer selon les principes coopératifs, donc démocratiques, à sa gouvernance.

Chapitre 5 : L’espoir.

Fort de ces deux piliers, Ekitour, Hôtel du Nord et Minga ont pris leurs bâtons de pèlerins et ont présenté ce projet ambitieux à des communautés d’acteurs économiques, citoyens et institutionnels qui produisent ou encadrent des offres d’hospitalité. Partout ils ont rencontré un réel intérêt et partout ils ont trouvé des personnes qui sont venues enrichir cette réflexion qui n’est désormais plus la leur mais qui est celle d’un regroupement d’acteurs de la société.

Plusieurs temps d’échanges collectifs ont été organisés durant lesquels une large diversité d’acteurs a été invitée, par souci d’être au plus proche de la réalité et d’intégrer les particularités, les besoins de chacun. Après cette année de travail et de riches échanges, la coopérative H2H à a vu le jour en janvier 2016. Cette coopérative est dotée d’un plan d’action qui est le fruit des réunions et des rencontres réalisées durant l’année précédente. Ce plan d’action sera réalisé avec la participation de 9 communautés de producteurs d’offres d’hospitalité volontaires :

  • Tout d’abord les structures à l’origine du projet ; Ekitour, Hôtel du Nord et Minga. Leurs salariés, sociétaires, adhérents et administrateurs sont volontaires pour contribuer à la réalisation de ce plan d’action.
  • Mais également le Bureau des guides GR2013
  • Ethic Etapes, un réseau de 43 hébergements collectifs en France
  • Le réseau des Auberges de jeunesse de Charente-Maritime
  • Le réseau des hébergements collectifs des Deux-Sèvres
  • La coopérative Point Carré, tiers lieu coopératif à Saint-Denis
  • Le réseau d’artisans Artefact à Plaine-Commune
  • L’Assemblée Virtuelle et l’écosystème d’acteurs de la filière du numérique avec lesquels ils travaillent à construire des protocoles permettant de décentraliser l’organisation d’internet.
  • Libre Informatique, coopérative des métiers du numérique spécialisée dans le développement de solution open source.
  • D’autres communautés sont intéressées et souhaitent participer également à ce projet, les modalités de leurs participations sont en construction.

Chapitre 6 : L’intelligence collective.

Après avoir passé plus d’un an à rassembler des acteurs et à construire collectivement un plan d’action, le chapitre 6 vous présente comment ces communautés envisagent une articulation efficiente de leurs compétences respectives.

Le plan d’action se divise en 2 grandes parties menées en parallèle.

Un travail en interne, avec les membres fondateurs de la coopérative et l’appui de personnes-ressources, qui visera à rédiger le dossier de création d’entreprises divisé en 6 workshops :

  • Définir le Business modèle.
  • Construire la politique média.
  • Rédiger le cahier des charges de la future plateforme.
  • Travailler la création d’une identité et d’une marque qui permettront de fédérer autour de ce projet.
  • Définir les modalités de gouvernance de la coopérative qui permettront une juste répartition des pouvoirs. Et réaliser le plan de financement pour l’investissement dans l’outil et dans les ressources humaines.
  • Mener le chantier normes et aspects législatifs à respecter dans le cadre des activités qui seront exercées.

Puis un travail en externe sera axé autour de 4 prototypes et de 10 ateliers pour lesquels les communautés associées seront parties prenantes :

Le premier prototype est celui d’Hôtel du Nord, c’est le site qu’ils ont créé en 2010 et qui ne cesse d’évoluer par processus itératif. Ils vont travailler sur l’intégration des datas culturelles au site. L’objectif étant de pouvoir classer et archiver tous les contenus culturels et patrimoniaux que les producteurs d’offres d’hospitalité génèrent. Ainsi ces contenus seront accessibles à tous en format libre de droit, contribuant ainsi à renforcer les biens communs.

Le deuxième prototype est celui de Pilsen, ville de République Tchèque située à 1h de Prague. Ce territoire a créé une application regroupant des offres d’hospitalité suivant les principes de la Convention de Faro. Pour que l’usager accède facilement au contenu qu’il souhaite, ils ont développé une entrée par typologie de passager. Mais contrairement à ce qui se fait habituellement sur internet où ce sont les sites qui vous affichent du contenu en fonction du profil qu’ils ont établi de vous, là c’est l’usager qui choisi quel profil il souhaite avoir ; permettant ainsi de sortir de son profil privilégié et de découvrir d’autres contenus qui ne lui auraient pas été proposés, favorisant ainsi l’ouverture culturelle, la découverte de l’autre et limitant le communautarisme.

Le troisième prototype va se développer sur l’aire géographique de l’ancienne région Poitou-Charentes. Il aura comme premier objectif de travailler l’intégration des hébergements collectifs, particularité pour laquelle le prototype d’Hôtel du Nord n’est pas encore adapté. Le second objectif sera de trouver l’organisation adéquate pour des producteurs d’offres d’hospitalité sur un territoire composé de milieux ruraux et de villes de taille moyenne. Car les mécanismes développés sur le territoire marseillais ne seront pas forcément transposables en Poitou-Charentes, les réalités des acteurs n’étant pas les mêmes.

Ces trois prototypes seront travaillés jusqu’à une date butoir à laquelle une restitution des travaux sera effectuée. Cette restitution permettra de synthétiser les avancées techniques et organisationnelles de chacun des prototypes et de lancer la construction d’une première plateforme à l’échelle nationale. En parallèle de cette construction les prototypes locaux poursuivront leurs travaux afin de ne jamais arrêter la démarche itérative entreprise. La première version nationale devra, en plus des synthèses locales, intégrer les offres des artisans, être compatible avec les places de marchés de l’ESS existantes, permettre l’interopérabilité entre les sites existants et la plateforme nationale H2H (chacun reste propriétaire de ses données et décide lesquelles partager), proposer une offre assurantielle afin de couvrir les producteurs et les usagers, intégrer une « monnaie interne » permettant de valoriser les dons et le bénévolat, et enfin se projeter vers l’international et en premier lieu sur tous les territoires du bassin euro-méditerranéen ayant repris la convention de Faro.

Ces workshops et ces ateliers seront réalisés grâce à la participation des communautés d’hospitalité et des partenaires. Sans eux personne ne saurait vraiment quelles fonctionnalités développer tout simplement car personne n’est omniscient.

La démarche consiste à systématiquement associer les parties prenantes en tant que partenaire, proposant à chacun de trouver un intérêt qui lui permettrait de développer son activité. Ainsi que ce soit des partenariats techniques ou financiers, que ce soit des indépendants ou des grandes entreprises, il est systématiquement proposé une association sur l’un des ateliers qui permettra d’apporter quelque chose au partenaire.

Travailler ensemble pour développer l’activité de chacun.

L’écriture de cette histoire n’est pas terminée. L’encrier reste ouvert et tout un chacun est libre de venir y tremper sa propre plume afin d’exprimer ses idées, mais le rédacteur a le devoir d’écrire au nom de l’intérêt général et des biens communs. Car c’est bien là le sens de cette histoire : travailler ensemble pour renforcer l’intérêt général et ainsi essayer d’améliorer la vie de toutes et de tous dans nos sociétés.

À vos plumes !

Clément Simonneau, agence de tourisme social Ekitour et co gérant de la coopérative H2H.

Texte écrit à l’occasion du débat d’orientation en l’assemblée générale ordinaire de l’association Ekitour, février 2016.

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