Le Mille-Pattes, c’est le nom qu’a trouvé notre inventive Dominique pour notre groupe d’exploration. On a tous dit « SUPER ! Cela montre qu’on est bien équipé pour marcher ». Mais… on entend déjà dire : « regardez-les, ils sont bêtes comme leurs pieds ! »
« Ceux-là n’y connaissent rien », nous dit Louis qui a fait des études d’entomologie. « Chez les mille-pattes, l’intelligence ne réside pas tant dans leur tête – qu’ils ont toute petite, il est vrai – mais dans les neurones qui foisonnent dans leurs pattes et qui, des orteils à la plante des pieds, palpent, observent, analysent la multitude d’informations transmises par le terroir ». Julie a bien raison de dire qu’on apprend en marchant. Et chez les mille-pattes on dit : « malin comme ses pieds ! ».
Avec Hôtel du Nord on peut contribuer et participer à inventer et construire les balades à venir. Ça peut commencer par venir explorer avec Le Mille-pattes. Le Mille-pattes est un groupe informel d’habitants, ouvert, même aux visiteurs de passage, il suffit de le rejoindre l’esprit curieux et le corps en mouvement…
RÉCIT DE LA BALADE EXPLO #4 – 23 FÉVRIER 2023 (par Claire et Emmanuelle – Photos de Jeanne et Julie)
Notre objectif du jour, c’était d’arriver jusqu’à la mer autant qu’on peut y arriver. Et on y est arrivés mais on a mis du temps à descendre, parce qu’en route on a remonté le temps avec Daniel Quero.
De chez Jeanne rue Condorcet, on est partis à la recherche de la tuilerie Martin, en se posant comme d’habitude plein de questions en route. Comme sur cette « Ecole des sœurs » au 11 boulevard Jean Labro (ancien boulevard Martin), aujourd’hui Centre de ressources et d’information municipal de St André, où « Hôtel du Nord » a d’ailleurs un bureau. Qui étaient ces sœurs et quel était leur rôle dans le quartier ?
C’est là qu’Emmanuelle Di Nola a appelé son ex beau-père Daniel Quero, qui contrairement au reste de sa famille n’a jamais travaillé à la tuilerie Martin (il a préféré le raffinage chez Total) mais a toujours vécu boulevard Grawitz dans ce « quartier d’usine », comme il le nomme, et y vit encore. Daniel nous a donc rejoint avec son trousseau de clés : celles de chez lui et celles d’autres logements attenants inoccupés dont il est propriétaire ou a la gestion. Les sœurs il s’en souvient bien : c’étaient des sœurs infirmières. Elles étaient au moins 300 à habiter près de l’école, nous dit-il : quand on est dans la « Traverse des trois sœurs », on est donc littéralement loin du compte !
Les sœurs géraient aussi la crèche boulevard Grawitz, où Daniel a galopé. Aujourd’hui le bâtiment est muré mais doit être réhabilité pour y faire des logements. Ils côtoieront ceux de l’immeuble neuf presque fini à côté, qui donne lui-même sur les jardins familiaux heureusement préservés. Muré aussi un passage qui reliait l’école à l’arrière de la crèche, car au fur et à mesure que le clergé a vendu ses terrains par morceaux, les continuités de passage ont été supprimées. Les dernières sœurs sont parties en 1965 et le lieu connut comme dernier usage celui de dojo pour le judo.
En face, aux 63, 65 et 67 boulevard Grawitz, Daniel nous fait visiter là où lui et sa famille ont grandi et habité au fil des ans.
Deux pièces achetées 5 000 francs de l’époque pour les parents et leurs cinq enfants, mais heureusement une grande cour commune à plusieurs maisons pour se dégourdir les jambes, dite « cour des miracles ». Recommandé par un patron des mines de Carthagène, son père espagnol était arrivé en France en 1914 avec frère et mère alors qu’il avait 17 ans, sur un bateau affrété par l’industriel, pour travailler à la société minière Peñarroya de l’Estaque. Sa mère, espagnole elle aussi, avait débarqué d’Oran à 9 ans. Leur mariage sera un mariage arrangé par les grands-mères, nous dit Daniel.
Aujourd’hui certaines des cours ont-elles aussi été murées et séparées au fil des ventes. Daniel habite toujours au 67, seul depuis le décès de sa femme Berthe Quero qui fut notamment présidente du CIQ St Henri et de l’association « Femmes de Séon ».
En reprenant la descente à la recherche cette fois des traces de la famille également espagnole de Jeanne, on toque à la porte du 73, la « Maison Granon » où la propriétaire cultivait les semis dans la serre de la cour et faisait pousser les champignons dans la cave.
Nous atteignons la rue Louis Lanata puis faisons une petite pause sympathique chez Emmanuelle, au rez-de-chaussée de cette ancienne maison de pêcheurs joliment réaménagée. Enfin il est temps de finir nos crêpes pour nous remettre en marche une dernière fois afin d’essayer d’atteindre notre objectif avant la nuit…
En suivant la traverse Martin qu’on appellait aussi la traverse « va à la mer » nous n’arriverons pas jusqu’à la mer puisqu’avec la construction du port on ne peut plus y arriver, mais nous atteindrons les « poteaux » : comprenez les deux colonnes d’entrée de l’ancienne tuilerie Martin qui trônent encore (pas très fièrement) sur le « Rond-Point France Indochine » (nous dit Google). Le voyage est donc loin d’être fini ! Reste à essayer deviner dans quel pays nous nous rendrons la prochaine fois, mais nous n’en savons rien car on le découvrira chemin faisant, comme d’habitude.
La BALADE HARMONIQUE est une grande marche qui a eu lieu le 2 mai 2021, à l’orée du 3ème déconfinement.Réunissant des voisins, des habitant.esimpliqué.es dans leur quartier et dans cette étrange période, tout s’est inventé dans un mouvement sans cesse entravé et pourtant toujours renouvelé.
Le bicentenaire de la société musicale l’Harmonie de l’Estaque fut le point de départ de cette aventure.La pratique partagée de la musique a tissé pas à pas les histoires du passé et du présent. Deux ans pour imaginer ensemble une balade, vivre un grand élan collectif et finalement trouver Miramar, un terrain sauvé in extremis de l’abattage de ses arbres et sa transformation en zone de stockage portuaire…
Après cette vague d’Harmonie les habitants ont poursuivi leur mobilisation. Sous le cri rassembleur de Sauvons Miramar, ils.elles se sont donné.es les mois d’été pour mener des enquêtes urbanistiques, botaniques, patrimoniales… mais pour aussi partager des chants, de la poésie, des conversations, du bricolage, autant de manières de prendre soin et d’inventer en commun le devenir les lieux. Le potager d’Hamid, bêché à l’occasion d’un des grands pic-nics de printemps s’est vigoureusement déployé, les Chats libres sont devenus une association pour prendre soin et réguler la présence des chats, un jeu des Lois Défends ton terrain s’imagine à partir de l’expérience… Début septembre le groupe a pu rédiger sa demande de modification auprès du Plan Local d’Urbanisme intercommunal pour que les parcelles de Miramar soient classées en zone naturelle protégée.
Le fantôme de Jules Cantini pourra peut-être bientôt venir chanter avec le petit duc et sauter dans les arbres, mais ça sera une prochaine histoire…
avec Agnès, Henri, Willy, Jean, Dominique, Jean-Marie, Loïc, Chloé, Julie, M’louka, Christine, Antoine, les Daniel.e s, Jean-Pierre, Léa, Marie, Mathilde, Gérard, Nathan, Emilie, Aldo, Bernard, Jean-François, les habitant.es du pont, les habitant.es de la Monjarde et de Bizet, l’Harmonie de l’Estaque, la Fanfare des Familles et les habitants chanteurs de nos quartiers, le collectif Grand8, Afrimayé, Vacarme Orchestra, l’assemblée Foresta, l’association 3.2.1, les Baguettes magiques et les enfants de la Castellane, les écoles Rabelais-St Henri et Estaque-Gare, et la complicité de l’Alhambra. Une aventure très collective coordonnée par la coopérative HÔTEL DU NORD / le 1000 pattes, groupe ouvert de fabrication de balades. Réalisation Loic Larrouzé, images additionnelles de Charlie Fox.
On vous raconte les aventures du 1000 pattes, groupe d’explorateurs de grande proximité, des voisins qui marchent pour transmettre, comprendre, se rencontrer, créer et finalement mieux prendre soin de nos quartiers… Nous cheminons cette année le long de la pente qui du Massif de la Nerthe finira par nous conduire à la mer…
Lundi 3 février, 13h30, Château de l’Air, Hameau de la Galline, Marseille, ciel dégagé
NOUS SOMMES UN GROUPE QUI CHERCHE
Des rencontres avec les habitants ancrés depuis longtemps : André Turc, sa sœur Denise et Mr Soprano son mari, Daniel Simoni le neveu adopté par Sirio Simoni le frère de Denise → Bicou, Georges, Philippe, Anne
Des rencontres avec des nouveaux arrivants : Charlotte → Claire, Julie, Aldo
Le sens des mots, la toponymie, des cartes, des poèmes, des chansons, des collections de noms → Danièle, Josyane
Des matériaux à « cueillir » dans les collines, dans les lieux interdits, dans le lac → Louise, Agnès, Pascal, Ana
Des histoires des puits, de la construction du tunnel ferroviaire et de ses apports de population d’ouvriers italiens → Mathilde, Jean
Des grottes, celle où aurait vécu la famille Puget, celles qui ont abrité les troupeaux, celles où on a prié, celles où l’on a trouvé refuge, au fil des besoins de se réfugier → Jean, Sabine
Des usages, des mémoires mais aussi des sensations, des perceptions, des ambiances → Morgane, Jonathan, Françoise
Le début d’une histoire…
Un détective privé, engagé par une grande collectionneuse, est chargé de retrouver la vierge de La Galline. Ce bijou inestimable du moyen-âge a été sauvé des saccages de la révolution française par les habitants du hameau. La vierge aurait été enterrée en 1789 dans un endroit devenu un parking souterrain en 1992. A l’aide des recherches d’une jeune céramiste sur les matériaux des environs, le détective apprend que la vierge serait maintenant ensevelie au cœur du centre de stockage de déchets inertes de la Nerthe, dont la rumeur dit qu’il serait en passe d’être racheté par des turcs, ou des grecs.
Le détective, la collectionneuse et la céramiste arriveront-ils à faire forer le gigantesque remblaiement au bon endroit ?
Et pourront-ils obtenir le soutien des habitants sans réveiller les convoitises locales ni se faire démasquer par ceux qui règnent tels des Seigneurs sur ce territoire, les frères Lafarge ?
Mais est-ce vraiment le début ou la fin ?
C’est le récit d’un homme …
… « parti ailleurs »…
… en phase avec l’histoire d’une famille rurale sans paysan…
… « en conflits », coupé des siens et peu à peu de son sol…
Pierre Turc le grand-père d’André, mort à 40 ans ; il possédait toutes les boulangeries du bassin de Séon qu’il alimentait en coupant le bois sur le massif ; avec cet argent, la famille peut racheter la ferme de l’Hermitage.
André en 2001, suite à l’incendie sur le massif de la Nerthe, coupe du bois et le vend ; avec cet argent il refait les studios.
Propriétaire d’une partie de la route il la loue à Lafarge.
André Turc décrète qu’il est le dernier, qu’après lui, plus rien ne restera de la famille Turc.
Alors tournons-nous vers demain, vers ce que nous pouvons dans notre imaginaire collectif rêver, réinventer.
Tournons-nous vers ces nouveaux habitants de la Galline qui sont les acteurs de ce qui se fera demain.
Remontons à la ferme et traversons les champs en attente.
Tout en poursuivant notre descente vers la mer et l’Estaque, refaisons ces allers et retours jusqu’à Cossimont pour repenser l’entrée de la Ville, faire revivre ces arbres et y cueillir les fruits tant qu’ils en portent.
En attendant que les poètes reconstruisent ces sites, que les peintres cultivent ses collines et que les marcheurs y fassent paître les chèvres du Rove.
Contrastes…
Jonathan : Nous passons d’un état de calme et sérénité dans ce paysage bucolique et de campagne à un état d’alerte et de tension quand un avion passe au-dessus de nos têtes. En effet, cette proximité de sentiments est très étrange, car nous avons l’envie de vivre ici, dans cet environnement particulièrement accueillant par sa qualité de nature sauvage, du confort qu’offre le hameau et de son calme apparent alors que nous sommes régulièrement mis en alerte lorsqu’un avion ou camion passe à toute vitesse. Entre la lenteur et l’hyper activité, l’hospitalité et l’inhumanité.
Morgane : Premières sensations – En contrehaut de l’église, le soleil frappe nos joues. Entre mer et collines, on se rappelle à Marseille lointaine. Au-dessus de nous, une ronde de gabians par centaines ; elle laisse vite place à un avion assez proche pour qu’on en distingue bien la silhouette et les couleurs. Son bruit arrête la discussion. Un couloir aérien emprunté par différents volatiles. Au village, interdiction de klaxonner – sur un panneau jamais-vu. Un autre avion au-dessus de nous, et son bruit qui déborde nos mots.
Jonathan: D’autres sentiments vont et viennent régulièrement entre l’introspection et l’exhibition. Dans certains endroits (comme le lac par exemple) nous perdons tout repère ; l’eau nous rappelle le niveau 0 de la mer alors que nous sommes en altitude et le paysage, délimité par les crêtes des collines avoisinantes, nous amène dans une posture de solitude, puis de sérénité voire d’intimité. Ces sentiments sont très vite rattrapés par celui de dévoilement ; quand nous sommes en haut de ces mêmes collines où nous pouvons voir loin et où nous pouvons être exposés à tous les regards et coups de mistral. Nous nous rattachons à nos repères bien ancrés.
Morgane : Toujours à Marseille oui, puisque les panneaux électriques arrachés dévoilent leurs coulisses, que les bennes à ordures dégueulent à côté du ruisseau.
Jonathan : Encore le même contraste entre les moments de déambulation dans la garrigue en toute liberté stoppée net par des grilles infranchissables avec des panneaux d’avertissement comme seul moyen de communication.
Morgane : Quelques indices d’un ailleurs… Peut-on parler d’un habiter ici ? Entre villa pimpante et barrières rouillées. C’est un village presque fantôme. Des traces du passé s’inscrivent dans les carrés de paysage abandonnés. Les roseaux y reprennent leur droit. Sur un mur, le vent et la pluie effacent les ayants-droits : la mention d’un « jardin » passé se devine dans la pierre, à côté d’un panneau délavé portant l’inscription « CIMENTS LAFARGE – ENTRÉE INTERDITE – DANGERS – TIRS DE MINES ».
Jonathan : Ce morceau de territoire est comme un palimpseste, il est construit sur plusieurs couches dans le temps long de son histoire, mais aussi de couches d’usages qui n’ont rien à voir les uns avec les autres.
Je me demande dans quel autre endroit du monde on pourrait entendre d’une même voix un chœur si éclectique : camion, coq, avion, gabian, train et vent.
Etpendant ce temps, promenade d’une cheminée à l’autre (trous d’aération de la ligne de chemin de fer sous nos pieds) avec Charlotte, habitante du hameau depuis 2007.
CHEMINÉE N°19
CHEMINÉE N°18
On voit aujourd’hui que la cheminée n°18 a été récemment incluse dans un enclos privé qui ressemble à un petit ranch improvisé avec un cheval.
A côté, une entreprise de terrassement, de nombreux camions, des barrières encore et encore et une drôle de confusion des noms puisque ces nouveaux habitants sont… des turcs…
La solidarité d’un groupe d’habitants a existé dans la lutte contre les multiples décharges, à propos du lac où on pouvait avant se baigner, pour la préservation du massif, mais le découragement prend parfois le dessus.
La difficulté du quartier : chacun fait fait fait c’qui lui plaît plaît plaît, et les petits arrangements (entre voisins) comme les grands (avec les industriels) ne vont malheureusement pas souvent dans le sens du commun.
La loi du plus fort?
D’autres lois dans tout ça ?
NOUS SOMMES UN GROUPE QUI SE RETROUVE ET SE RACONTE SES SENS DE LA PENTE (à suivre…)
Dimanche 13 octobre après-midi, soleil, peu de vent.
Comme souvent au démarrage d’une création de balade collective il y a une sorte d’hésitation et de trouble. Nous ne nous connaissons pas tous, nous ne sommes pas sûrs d’avoir bien compris ce qu’on va faire et pourquoi on va le faire…, mais nous sommes là.
Le LÀ de ce dimanche après-midi s’appelle Thalassanté, un hameau de conteneurs qui tient plus de l’art de vivre au cabanon que de la mondialisation du transport maritime. Une histoire commencée il y a une vingtaine d’années autour de la mer et réinventée en outil commun très polymorphe par des plus jeunes depuis 4 ans. Dans le NOUS il y a ceux qui s’activent à donner cette nouvelle vie à cet endroit, ceux qui habitent pas loin depuis longtemps, ceux qui résident depuis plus récemment au travers de l’implantation d’une aventure artistique joliment nommée la Déviation, ceux qui viennent d’un peu plus loin et qui ont pris goût à explorer avec leurs pieds le quartier d’à côté… On en vient alors au QUOI FAIRE? Si tout le monde est d’accord sur cette idée simple de marcher ensemble en version « exploration », on commence par mettre chacun sur la table ce qui nous plaît, nous parle, quelle est notre relation à ce fragment de l’Estaque.
D’habitude l’un de nous prend des photos, ou dessine pendant nos rencontres. Mais ce dimanche après-midi réunis autour d’une table, personne n’y pense. Alors un petit remix temporel image les propos glanés avec des photos de Dominique, prises lors de nos précédentes balades.
L’histoire de Vincent est celle d’un habitant qui découvre il y a une vingtaine d’années par un discours assez musclé du directeur de l’école élémentaire qu’il vit dans une zone Seveso et que la colline sauvage où il aime se promener est toujours une colline industrielle, même si les usines ont cessé leur activité. De cette prise de conscience émergera une série d’actions avec d’autres autour des déchets, jusqu’au réaménagement de la petite zone de pique-nique juste avant La Galline qui n’était à l’époque qu’une décharge ravinée. Vincent a revisité ces histoires en les mêlant à la plus contemporaine aventure de la « dépollution » des sites de l’industrie chimique, dans un “toxic tour » portant le nom d’une plante aux grandes capacités d’adaptation aux terrains dégradés: l’Asphodèle.
François, voisin de table aujourd’hui et voisin de vie à l’Estaque, a réalisé pas mal d’entretiens sonores lors de cette construction de balade, qui racontent les enjeux urbains ou écologiques du massif de la Nerthe dans cette période de transition, mais aussi témoignent de la vie de ceux qui ont travaillé non pas dans les usines chimiques mais dans leurs cousines du BTP.
L’histoire du ciment c’est celle dans laquelle la Déviation s’est installée. Adrien nous raconte l’intérêt de ses jeunes habitants artistes à mieux connaître cette trame qui traverse toute la pente, de Lafarge tout en haut, au port où nous sommes tout en bas. L’axe de La Coloniale, la première cimenterie. Louise et Juliette, artistes installées à la Déviation ont d’ailleurs déjà bien démarré l’exploration en s’intéressant aux voitures carbonisées et aux matériaux résiduels de ces paysages marqués par la production chimique. Elles en travaillent des formes, notamment en les cuisant comme des céramiques.
Angélique habite quant à elle l’une des anciennes courées des usines Kuhlmann. Elle aime les sociabilités qui accompagnent cette organisation de l’habitat, a connu quelques anciens des usines et a très envie d’en savoir plus, d’autant plus que l’école Fenouil où elle enseigne a déjà accumulé beaucoup de matériaux sur « Le temps des usines » (nom du journal réalisé par les enfants sur ce thème).
Et il y a Agnès, l’habitante toujours motivée à relier, qui rêve d’atteindre la limite nord qu’est l’ancienne colonie Cossimont en venant… à cheval à partir de Martigues! Et les souvenirs de Georges d’une vieille danseuse de cabaret qui vivait au Vallon des Abandonnés. Et le désir de Nathalie que ces temps partagés à fouiller ensemble nous permettent de mieux nous saisir des enjeux actuels quant à l’accès à la mer, et de comprendre ce rapport toujours un peu mystérieux au Grand Port.
On se dit qu’il y a tous ces sujets et ces lieux qui nous attirent, mais qu’il y a aussi les manières de regarder qui dans notre groupe très diversifié donnent envie de jouer ensemble. Et puis à la fin, on constate le plaisir qu’on ressent de ne pas savoir où tout cela peut nous conduire, à quels parcours, quelles formes, quelles interventions.
Nous savons en revanche que ce mélange de structures artistiques, de lieux, d’habitants va forcément nous conduire cette année à apprendre, faire des rencontres, mais aussi tester et inventer des manières de se relier pour vivre un peu plus ensemble dans la pente, jusqu’à la mer…
Alors rendez-vous est pris pour une première balade d’exploration. Nous partirons de l’ancienne colonie Cossimont pour aller… on verra bien où…
Un nouvel épisode de l’une de nos explorations en cours, qui donnera lieu à une première balade publique le 24 mars prochain…
Il y a des jours où tout à l’air ordinaire, et où pourtant l’extra-ordinaire s’invite au coin de la rue.
Le 10 janvier 2019 fut un jour comme ça pour une grosse grappe de voisins qui allait vivre une petite aventure, une sorte de glissade tranquille hors de nos habitudes, en remontant du ruisseau des Aygalades jusqu’à Foresta. Le coin de la rue ce jour là c’est le 151 de l’avenue des Aygalades. Comme à l’ordinaire ça travaille dans cette petite zone d’activités nommée Marseille industries, installée entre terril (de boues rouges) et ruisseau. Avant, il y a longtemps, il y avait là une grande propriété rurale avec 3 fermes, des vignes, une bastide et des loges à cochons. Le dernier propriétaire Balthazar Rouvière vendit en 1870 à la PLM (Paris Lyon Méditerranée) de Talabot pour construire la Gare de Saint-Louis Les Aygalades. L’aventure cheminote dont on parlera plus tard démarre là. S’installera un peu plus tard dans le siècle une huilerie (société des huiles raffinées du midi) puis dans les années 20 une station d’épuration et une usine de gélatine qui fonctionne jusqu’à la guerre. C’est la famille propriétaire, les Ramonnaxto, de cette usine de gélatine, qui après pas mal de temps en friche transformeront peu à peu en zone d’entrepôts puis en zone d’activité ces terrains. Aujourd’hui il y 75 entreprises qui sont installées là, un peu de tout (du fret, des grossistes en matériel techniques, des informaticiens…). Mais tout ce petit monde qui tourne plutôt bien n’est pas habitué à voir un groupe de plus en plus important s’amasser à côté de ce que fut la maison du gardien, devant une mystérieuse et discrète petite poste. Mais où sont les arbres dans tout ça? Car c’est toujours sur la piste des arbres qu’on se retrouve là…
La bascule vers un autre monde qui se trouve pourtant bel et bien là prendra quelques minutes, le temps de faire connaissance de Jeannot, ancien cheminot, mais aussi pâtissier, qui au milieu de cette mini zone d’affaire semble aussi improbable que le Lapin blanc dans Alice au pays des Merveilles (sauf que Jeannot n’a pas du tout l’air de trouver qu’il est en retard…).
Côté marcheurs on est particulièrement nombreux, et une fois encore (chouette), nous sommes plein à ne pas nous connaître, à ne pas venir du même quartier, de la même « tribu », donc des rencontres en perspectives…
Bascule par la petite porte, nous passons de l’autre côté…
De l’autre côté les plantes sont les reines et chacune porte son histoire.
De l’autre côté le petit olivier a été planté là pour Marthe, parce que sa maman s’appelait Emilie Olivier, et que c’était une jolie manière qu’elle porte le nom de son père et pousse avec le nom de sa mère. Sous lui, se trouve une bouteille pleine de voeux qui seront un jour déterrés par la demoiselle, mais chut, c’est encore un secret…De l’autre côté tout semble un peu magique, il y a même des boules à facettes et des dames aux longs manteaux en fourrure qui portent des baguettes de pain et causent avec des garçons en sac à dos…
De l’autre côté, on apprend qu’il y a sur l’olivier des feuilles rondes et des feuilles allongées, et que c’est important pour les aider à grandir quand on les taille…
De l’autre côté tout semble un peu magique, il y a même des boules à facettes et des dames aux longs manteaux en fourrure qui portent des baguettes de pain et causent avec des garçons en sac à dos…
De l‘autre côté il y a des humains qui semblent d’organiser autour des arbres plutôt que l’inverse…
De l’autre côté c’est un bazar, un monde complexe d’espèces végétales, animales et d’usages humains qui nous rassure: on est vivants!…
Nous poursuivons dans le labyrinthe végétal des Jardins cheminots. Mais d’où vient cette apparition? Apparition ou au contraire relique, mirage d’un réel vivant mais évoluant dans une temporalité parallèle? Ecoutons les horloges…
1855, l’axe ferroviaire du PLM s’achève à ce niveau. L’axe du train et du ruisseau se croisent, et se trouve en deçà de la ligne fiscale de l’octroi, incitant l’installation des industries qui tentent d’éviter les charges fiscales.Sur les pentes du chemin de fer jusqu’au ruisseau, les talus se prêtent à la culture des radis et à la culture ouvrière… Jeannot nous raconte que ce serait le comte de Mirabeau qui aurait vendu pour l’Ecu symbolique les terrains à destination des ouvriers pour y jardiner. Une condition à cette vente nous dit-il: que le béal (ces dérivations qu’on a construit le long qui ruisseau pour capter la force motrice de l’eau) soit entretenu à vie par les jardiniers… Aujourd’hui ce n’est plus avec l’eau du ruisseau trop polluée qu’on arrose les jardins. Et si un jour ça redevenait possible? Chiche?
Nous arrivons dans le jardin de Anne. Elle n’est pas cheminote, elle témoigne du renouvellement qui peu à peu diversifie les histoires et les pratiques. Elle développe son jardin en permaculture, et surtout l’ouvre à l’apprentissage en proposant une école du jardinage avec un cycle complet de mise en pratique autour du jardinage urbain.
De nouveau le paysage est enchanteur et le récit instructif. Nous y apprenons l’histoire de l’association Jardinot (contraction de Jardin et Cheminot) qui s’est recomposée autour des multiples jardins ouvriers liés à l’histoire cheminote et à la SNCF.
Nous continuons pour rejoindre la parcelle de Jeannot. La ligne d’horizon nous rappelle que ce territoire est bien industriel et qu’en ces temps de déprise c’est l’immobilier qui se charge de requalifier…
Jeannot cultive dans ces jardins depuis plus de 60 ans, il a tout appris des aïeuls, de la pluie et de la lune. Il fut longtemps président des jardins cheminots, et aujourd’hui son grand plaisir est de transmettre. Il faudrait écrire un livre à partir de ce que raconte à chaque rencontre Jeannot. Christine qui marche aussi avec nous aujourd’hui a commencé, on espère qu’elle poursuivra, c’est important.
Pour l’heure on découvre les lieux. Jeannot son truc c’est les agrumes. Alors dans les dizaines d’histoires qu’il nous raconte c’est celle de la main de Bouddha, un citronnier.
INTERLUDE BANQUET ET TARTE AU CITRON (confectionnée par Dalila en spéciale dédicace à notre hôte)
Les retrouvailles ne sont pas aisées, car le ruisseau a du non pas partager son lit, mais peu à peu se laisser oublier dans le florilège industriel qui borde ses rives. Dès la sortie des jardins c’est la valse des déchets qui donne le rythme, le là, le sol?
Déchets, déchoir, déchu. Borderline…
Toute la filière du déchet se traverse en quelques centaines de mètres, avec de très vielles histoires (l’extraction des corps gras des animaux au moyen d’hydrocarbures) et des plus récentes (centres de tri, déchetterie ou recyclage de métaux…).
Et les arbres dans tout ça, arrivent-ils encore à raconter quelque chose? D’abord ils nous disent tout simplement par leur présence. La ripisylve est vaillante, on se sent paradoxalement vraiment explorateurs dans cette zone là…
Dalila nous pointe une forêt de figuiers qui l’interroge côté reproduction, et nous fait remarquer la “bataille” en cours entre les fresnes habitués des bords de l’eau et les muriers à papier qui s’adaptent bien aux retournements de la terre. Plus qu’une bataille entre les « typiques » et les « opportunistes », elle nous raconte la dynamique d’un milieu qui nous invite à nous questionner sur ce que pourrait être les divers modes d’entretien ou d’accompagnement de ces berges autogérées, ça discute…
Nous arrivons à la star, l’Etoile du Nord, la Cascade!
La journée n’étant pas dédiée (pour une fois) à l’état de l’eau mais à regarder à partir des berges, on part à l’aventure de l’allée de platanes repérée dans les images anciennes.
Sur le chemin deux demoiselles nous regardent…
Petite exploration avec Jean-François, artiste-jardinier des lieux…
En revenant on voit des arbres partout, dans tout…
Nous quittons la cascade et la Cité des arts de la rue pour prendre un peu de hauteur…
Il est bien connu que dans les forêts vivent parfois des lutins. Nous ne sommes pas loin du bois sacré contre qui a combattu César (voir le récit précédent), il n’y a plus de forêt mais il reste un lutin, ou un esprit, ou… qui sait. Ce qui est sur c’est qu’il s’appelle Pierre-Louis, qu’on se demande ce qu’il fait là, qu’il n’est pas sur lui non plus, mais nous dit qu’on est à l’heure (le retour du lapin blanc??)! Pour nous récompenser il nous raconte l’histoire du Château Bovis, en réponse aux divers châteaux qui trainaient par là. On se souvient d’une histoire de vaches mais à ce stade de la balade plus rien n’est sur…
Mais la rencontre hasardeuse nous amène à parler de où nous sommes, l’ancienne cité des créneaux, détruite dans les années 2010. Petite cité-village, sa douloureuse trajectoire nous amène à parler de l’attachement que nous portons aux lieux, aux sols, quelqu’ils soient quand ils ont vu et su nous y faire grandir. Nous sommes des arbres… Et quelques minutes plus tard…!!
Les mains des enfants dans les feuilles, les troncs-immeubles ou les immeubles-troncs, le tout dans le faux tuf et la vraie rocaille. Histoire d’histoires… Fin de balade un peu sur le fil, on n’est plus trop sur de la part de fiction et de réalité dans ce qu’on rencontre et raconte… Ce qui est sur c’est qu’on arrive au Parc Brégante, et que là, sur le petit pont de rocaille et dans le beau jardin très arboré de cette ancienne bastide convertie une fois n’est pas coutume en parc public municipal, 3 d’entre nous ont joué petits de manière transgressive (passer la palissade) et 3 d’entre nous se sont mariés (c’est the spot pour les photos de mariage). Delà à dire que le mariage est transgressif, on ne le dira pas…
Nous sommes après cet épisode près à nous perdre un peu et à trouver un trou dans le grillage. Bizarrement cette désorientation (on s’est vraiment perdus) est balisée par le GR2013. Allez comprendre…
Nous rentrons dans le territoire Foresta… Nous saluons la forêt comestible et le figuier Câlin (il est tout doux à force qu’on le carresse), on salue le grand paysage et là on se dit qu’il est temps de se dire au revoir.
Et bien non, la rencontre encore nous appelle puisque Ahmed et Hakim nous font signe. Jardiniers « pionniers » pour ne pas dire « clandos », « sauvages », des terrains Foresta, mais aussi « sentinelles », gardiens », “soigneurs », ils prennent soins de lieux depuis des années, cultivant dans les ruines de l’ancien Château Bel air leurs jardins à la mode kabyle.
Et là, surprise, il se sont attaqués à la pente! L’escalier! On en rêvait, ils l’ont fait!
Euh, non, ils en rêvaient, ils le font… et ils ont tellement raison, ils ouvrent l’horizon! Merci à tous!!
Photos Dominique Poulain et Didier Brevet.
Prochaine exploration “Restons branchés!” en avril, “Balade des arbres, épisode 1” le 24 mars.