FAUT-IL AIMER NOS MONSTRES ?

La question des déchets paraît difficilement soluble, en tout cas dans une société comme la nôtre, fondée économiquement, socialement, philosophiquement sur la production continue et exponentielle de produits de consommation jetables issus de l’industrie pétrolière.
La remise en question de la production même de matière jetable fleurant un peu trop l’éco-terrorisme, la seule pédagogie en matière de traitement des déchets à destination des “publics” (soit des adultes et des enfants vivant, consommant, jetant en 2023) semble être de les convaincre -de manière plus ou moins culpabilisante- de l’absolue nécessité de mettre les cartons dans la poubelle jaune et de ne surtout pas jeter son mégot dans la bouche d’égout. Ce qu’il advient des matières une fois refermé le couvercle de la poubelle ? Cela ne relève pas de notre juridiction !

Malgré les trésors d’inventivité déployés par les pédagogues, les déchets continuent de s’amonceler en dehors des bacs prévus à cet effet. Signe que limiter le cycle de vie du détritus au trajet consommateur ir.responsable – poubelle ne suffit pas à changer en profondeur les comportements ? Il se peut.


Vaut-il mieux alors bombarder les sujets de l’expérience avec des images atroces de poissons étouffés dans des sacs plastiques, d’oiseaux pataugeant dans la marée noire et de continent de polymères flottant ?
Cela se fait.


Résultat :
-80% des personnes cliquent sur la vidéo suivante “Dead Children in Gaza Strip/Urkraine/Yemen”
-5% deviennent des écologistes chevronnés, adeptes du zéro déchet
-15% entrent en dépression et se nourrissent exclusivement de crème glacé en pot de 1L pendant 3 semaines.

p.s 1. les écologistes chevronnés sont aussi généralement atteints de dépression, mais ils prennent de la crème glacée Max Havelaar®

p.s 2 : ces chiffres ne proviennent d’aucune source fiable

Qu’est-ce qu’un comportement sinon un reflet de notre rapport au monde, de nos croyances, de nos valeurs? Si tel est le cas, alors il faudrait que le système de représentations tout entier de l’individu soit bouleversé, changé, questionné pour qu’ensuite des gestes puissent suivre et s’ancrer dans un nouveau quotidien.

A défaut de bouleverser irrémédiablement les systèmes de représentation des individus, Made In The River tente de formuler une proposition pour faire face à la question des déchets, une proposition non pas technique mais artistique, dans le sens où il s’agit de décaler la réalité, de déplacer le point de vue par la mobilisation de l’imaginaire, dans l’espoir de fabriquer de nouvelles capacités d’agir. Ou au moins de ne pas produire de nouvelles dépressions.

Pour cela partons de la réalité et poussons-la à son climax.
C’est l’apocalypse : les déchets de toutes sortes ont tout envahi. Le nettoyage n’est que réconfort temporaire, car quand bien même une partie des rejets peut être déplacée, son élimination totale et non résiduelle de la surface de la planète est impossible. L’anthropocène, arrivé à son acmé, cède à présent la place à une nouvelle force géologique à même de façonner les paysages : le detritocène.

Ce scénario paraît un peu radical ? C’est pourtant la réalité quotidienne de la rivière des Aygalades.
La découverte de ce paysage ruiné déclenche chez de nombreuses personnes des sentiments contrastés : joie de découvrir la ripisylve et de goûter à la fraîcheur les jours d’été, admiration face au jet inattendu de la cascade…mais aussi violence devant ses berges composées de bouteilles d’huile, de vieilles bâches et de pneus entassés, douleur de constater l’absence d’eau retenue dans les lacs artificiels des carrières Lafarge et d’observer quelques rares anguilles asphyxiées dans une eau contaminée par les rejets des garages avoisinants.

Peut-on trouver de la connexion et de la joie dans les ruines ? Nous faisons le pari que oui, à partir du moment où nous acceptons de changer de paradigme : de sortir d’un rapport utilitariste à notre environnement, à la “Nature” considérée uniquement comme ressource et dont la préservation ne se juge qu’à l’aune des services qu’elle est capable de nous rendre : approvisionnement en eau, régulation de température, satisfaction esthétique etc.
Faisons une expérience et considérons la rivière comme un parent, un être vivant qui bien que de forme différente de la nôtre aurait des droits intrinsèques au même titre que les autres individus qui forment notre entourage.

Popularisée par Philippe Descola, Vinciane Despret, Alessandro Pignocchi et de nombreux.se.s autres auteur.ices qui se sont intéressé.e.s aux relations entre êtres humains et autres vivants, cette vision dessine la possibilité d’un rapport de l’Homme à son environnement fondé sur la cohabitation plutôt que sur l’exploitation.

Alessandro Pignocchi, La recomposition des mondes, Editions du Seuil, 2019, pp 22-23

Cela se peut-il dans le cas d’une rivière aux apparences d’égout et pour laquelle le qualificatif “être vivant” ne vient pas spontanément à l’esprit ?
Nous faisons le pari que oui, et que c’est justement en s’intéressant à ce que la rivière contient de moins ragoûtant, de plus répulsif que nous pouvons recréer ce sentiment de vie et ainsi retisser le lien entre elle et nous.

En effet, l’observation fine des matières que charrie la rivière nous a appris qu’une transformation physique et potentiellement chimique 1 s’opérait durant leur séjour dans l’eau.

La Gazette du Ruisseau#4 représente la rivière sous les traits d’un tube digestive qui avale, digère et recrache les déchets sous une nouvelle forme.

La rivière effectue donc une action de transformation sur ces matières qu’elle modifie mais aussi réassemble jusqu’à former des compositions inattendues, mêlant plastique et métal, tissu et plantes. Le plastique ayant séjourné contre un rocher pendant une longue durée prend des plis nouveaux, semblables à la texture d’une peau de crocodile. Le métal sur lequel il s’est entrelacé l’a teinté de rouille et produit des nuances dignes d’un pelage.

“Peau” de Créature du ruisseau, fabriquée à partir d’assemblage de plastiques collectés dans la rivière
“galets” en polystyrène, difficilement différenciables de leurs cousins rocailleux

De ce point de vue, la rivière ne fait pas que subir les déchets de manière passive, elle est aussi active, assembleuse et créatrice de formes inédites qui introduisent du flou dans l’habituelle distinction “nature” et “culture”.
Reconnaître que la rivière est une force agissante mène à changer de posture, à passer du statut d’acteur principal (l’humain qui agit pour la rivière) à celui, plus humble, d’observateur. En collectant et en assemblant les matériaux, nous n’avons d’autres ambitions que de produire une pâle imitation du travail de la rivière.
L’observation, la sélection, le ramassage, le nettoyage forment un processus long qui requièrent du temps, de la patience et du soin, vertus qui finissent par accorder aux objets ramassés de la valeur et même une certaine préciosité, tant chacun finit par paraître unique, avec ses qualités visuelles ou tactiles.
Traiter avec délicatesse des rebuts, se permettre de les jauger à l’aune de critères esthétiques précis, s’autoriser à collecter ceux qui nous plaisent et à laisser ceux qui ne nous parlent pas, tout cela revient à créer de l’attachement pour ce qui est rejeté, à repeupler ce qui paraissait désertifié.

Dès lors, les “peaux” des Créatures et la mise en scène de celles-ci sont une manière de traduire et de partager ce qu’enseigne l’expérience de la rencontre avec la rivière : bien que discrète, la vitalité des Aygalades persiste.

@Bulat Sharipov, l’esprit de la sécheresse des Aygalades
@Georges Kammerlocher, Créature observée dans son habitat naturel pendant le ramassage du 30 septembre
@Bulat Sharipov
  1. à venir notre partenariat avec le CEREGE et l’utilisation du scanner MATRIX pour observer les nanoparticules présentes dans la rivière des Aygalades ↩︎

WALKING IN THE RAIN

Les aventures des Journées Européennes du Patrimoine sous la pluie

Cette carte du quartier a été distribuée pour la marche des JEP. Elle est accessible auprès de la bibliothèque de Saint -André, de la coopérative Hôtel du Nord et de l’association Momkin

C’était écrit noir sur blanc : “Samedi 16 septembre 2023 : pluie 80%”

Quelle nouvelle réjouissante pour la végétation, assoiffée par un mois d’août brûlant !
Les marcheur.euse.s que nous sommes se sont senties prises d’un élan de joie à l’annonce de toute cette eau, d’une envie de danser sous la pluie…depuis notre canapé.
Pourtant il en faut pour nous décontenancer à Hôtel du Nord !
Mais qui dit averse dit aversion à l’idée d’envoyer un groupe à l’aventure par monts et par vaux, avec pour tout guide une carte en papier (non imperméable!).
A peine avions- nous mis au point un plan de repli, une autre date fin octobre, somme toute plus pratique pour la plupart d’entre nous etc.. qu’Emmanuelle, de sa voix assurée de maîtresse d’école patentée, a déclaré :

“Cette balade je la ferai, même si je dois la faire toute seule !”

Emmanuelle, la veille de la balade

Il faut dire que cela faisait plusieurs mois qu’Emmanuelle et Agnès, les maîtresses de CP-CE1 de l’école Saint- André Barnier et leurs élèves planchent dur sur ce projet de fabriquer un jeu de piste patrimonial reliant les 3 écoles du quartiers, et par là- même le “haut” (la Castellane) et le “bas” (le noyau villageois).

La motivation étant chose contagieuse, nous sommes une bonne quarantaine au départ dans le parc de la Jougarelle, samedi 16 septembre à 10h, muni.e.s de parapluies colorés et prêt.e.s à partir explorer le quartier, carte au trésor en main.

Il y a des grands, désireux de découvrir ce quartier qu’ils ne connaissent pas ou alors qu’ils n’ont vraiment pas l’habitude d’arpenter à pied. Il y a aussi des plus petits : Hyacinthe, déjà rompu à l’expérience de cette chasse au trésor dont il avait été l’enfant-test quelques jours auparavant, et toute une bande joyeuse, élèves de l’école (ou apparentés) qu’Emmanuelle est parvenue à tirer du lit.

Profitant d’un rayon de soleil, apparu au moment du dévoilement de la carte au trésor, nous formons des petits groupes d’exploration : un premier groupe part à la recherche de l’indice n°1 : “le champ de palmier”, tandis que les prochains restent pour apprendre une chanson .

Une fois l’indice trouvé, il suffit de retourner la carte pour accéder à des explications, poétiques, techniques ou historiques, qui décrivent l’endroit. Ces quelques lignes ont été écrites en croisant les expériences de celles qui ont accompagné les enfants dans cette aventure, sur ce territoire qu’elles connaissent chacune à leur manière, de par leur pratique : Elsa et Francesca, de l’association Momkin et 3.2.1, par leur présence hebdomadaire lors des “ateliers buissonniers” à la Jougarelle, Emmanuelle, enseignante engagée auprès de ses élèves et habitante de Saint- André, et Chloé, Julie, Samanta et Agnès, membres de la coopérative Hôtel du Nord qui ont pris l’habitude de marcher sur les traces des anciens chemins à l’affût des indices.


Mais ce ne sont pas les seules à avoir des choses à dire, et les participant.e.s de ce jeu de piste ont chacun.e.s de l’expérience à revendre concernant le fonctionnement du Port Autonome qu’on aperçoit au loin, le désamiantage de l’école du haut, les “concombres d’âne” explosifs, l’ancien réseau de canaux (avec ses martellières et ses Aiguadiers) qui permettait que poussent les fleurs et les légumes là où aujourd’hui fleurissent les immeubles…

Le château de Gabrielle de Castellane enfin retrouvé, dans la
cour de l’école du haut !

Chaque petit groupe mène la balade à sa guise, au grès des personnes qui le composent. Certain.e.s ont ainsi droit à des surprises, comme la visite impromptue d’une belle maison par sa propriétaire, témoin de l’histoire agricole du quartier dont on s’efforce de débusquer les traces.

Au- dessus de la porte d’entrée, la vigne qui entoure les initiales des premiers habitants rappelle la tradition de la rocaille marseillaise et des cultures qui fleurissaient sur les bancaus de Saint- André

De son côté Emmanuelle est intarissable de détails et d’anecdotes, sa tablette à la main elle montre aux membres de son groupe de nombreux documents et archives qui racontent la richesse de l’histoire du quartier.

Alors qu’on se croyait tiré d’affaires, le ciel s’assombrit et la pluie se rappelle à nous. Les parapluies cessent d’être des bâtons de marche et reprennent leur place au -dessus de nos têtes.

On commence à être bien mouillé et quelques un.e.s font défection, alors ceux qui restent se serrent les coudes et les petits groupes finissent par se rejoindre afin de se donner du courage!

Même si aux yeux d’Arlette cette averse n’est tout juste bonne qu’à arroser les plantes bandes (sous entendu, il en faudra d’autres avant de réellement hydrater les sols), celle-ci suffit quand même à noyer la chaussée et à faire réapparaître le tracé du cours d’eau du Pradel ! Alors que celui-ci a été recouvert par la construction du boulevard Henri Barnier, il prend aujourd’hui sa revanche et nous rappelle que le chemin de l’eau ne peut réellement être contraint.

La marche continue le long de la Traverse de la Barre, où autrefois se croisaient les charrettes, cahotant entre les champs et les fermes qui étaient alors si nombreuses.
Sur ce chemin les éléments de la vie et les évolutions du quartier sautent aux yeux : cité de la Bricarde d’un côté, ancienne bastide de l’autre, murs en tuiles et en briques issues des tuileries, avec au débouché la Nouvelle Lorette.
Les bras croisés derrière une Glissière en Béton Armé qui sépare la résidence de la route, un monsieur regarde passer ces gens qui défilent, le poil humide et une carte détrempée à la main. Il est né dans le bidonville de la Lorette et connaît par cœur l’histoire du relogement, qui est avant tout la sienne et celle de sa famille, ainsi que celle des tuileries, du remblais de Foresta, de Grand Littoral. Nous lui taillons un brin de cosette, mais à peine les premiers l’ont-ils laisser souffler qu’un nouveau groupe arrive et relance la conversation.

La pluie semble derrière nous, nous pouvons nous lancer à la découverte de la friche où se trouvent les ruines de l’ancien gymnase du collège Henri Barnier, victime d’un glissement de terrain comme d’autres géants aux pieds d’argile avant lui.
Les semelles s’augmentent de couches de boue, les poches et les bouches se teintent du violet des mûres fraiches.

On vous avait promis l’aventure au coin de la rue ! On ne vous a pas menti.

L’heure du pique nique approche, les ventres crient famine. Chacun cherche un endroit où s’installer malgré le sol détrempé. On tend des bâches, on déplie des nattes en plastique immédiatement piétinées par des chaussures pleines de boue… pas facile de se mettre au sec. Heureusement Julie distribue allégrement des tartines de pesto de plantes qu’elle a cueillies et préparées la veille.

Au moment où on croyait être à l’abri..BADABOUM ! Les nuages éclatent à nouveau et la pluie ruisselle sur les pique niques..
Malgré l’averse personne ne bouge, le réflexe est plutôt de se serrer les un.e.s les autres et de chanter !

Nous sommes des enfants des quartiers nord
Et à pied ça fait loin jusqu’au vieux port
Il y avait des vaches et des cochons
À l’endroit où se trouvent nos maisons
Pierrette partait avec son bidon d’lait
Dans une ferme tout près de la forêt
Adieu vaches et cochons, ferme et forêts
Pierrette achèt’ son lait au supermarché

Sifflotée par plusieurs d’entre nous pendant la marche, la Chanson de Mehdi est entamée collectivement, à l’initiative de Jeanne. Ces paroles, écrites en 1982 par la classe de Daniel Beaume, professeur au collège Albert Camus dans le 14e, font toujours mouche et semblent avoir été écrites pour illustrer notre marche du jour.
Elle était un des hymnes de la Marche pour l’égalité partie de Marseille en 1983, dont le 40naire est fêté cette année. Les paroles résonnent encore aujourd’hui, signe que l’histoire tourne en rond ? Ou peut- être preuve que c’est en marchant qu’on avance, droit devant ou en pas de côté.

Le soleil finit par poindre et les sourires qui n’avaient jamais disparu continuent de resplendir.
On sort de la forêt pour rejoindre “la ville”. Avec sa pente herbue et ses sapins, la colline de Grand Littoral prend des airs de station de ski en été. Les enfants dévalent la piste rouge à toutes jambes.

Le ciel bleu revenu, les vaillant.e.s explorateur.ices achèvent de relier le haut du quartier à Saint-André village. L’arrivée est à la bibliothèque, qui a accueilli au printemps les ateliers buissonniers qui ont permis de rassembler tant de monde pour décorer les rues et préparer la Fête de la musique. Il se trouve que cette bibliothèque est .. une ancienne école ! Le chemin des écoliers est donc bien arrivé à bon port.

Cette marche, proposée à l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine, a permis de présenter le travail réalisé par le Mille Pattes des enfants de Saint-André Barnier pendant l’année 2023. Ces explorations et les créations qui en ont découlé sont rattachées au projet “Caminando Saint André”, porté par Hôtel du Nord, les associations Momkin, 3.2.1, Trait d’Union, l’Atelier sous le Platane, la bibliothèque de Saint-André et de nombreux autres complices.

La suite de ces aventures est pour bientôt .. 😉

Les Créatures émergent

Dimanche 4 juin

Il s’est produit quelque chose pour lequel vous n’avez pas encore de conceptualisation, d’analogie ou d’expérience, quelque chose auquel votre vision et votre ouïe, voire votre vocabulaire, ne sont pas adaptés.  Tout votre instrument est tourné vers la vue, l’ouïe ou le toucher. Mais vous êtes aveugle, mort, engourdi . Non écoutez, pour comprendre ce nouveau monde de sensations, l’humanité doit sortir de ses limites. AHHHHHHHHHHHHHHHHHHH HA HA Une nouvelle histoire des sentiments a commencé.

UMMMM – Forcé de digérer les détritus de votre ingéniosité humaine, le plastique, le métal, les déchets toxiques des industries, je vous enseignerai l’humilité et le sens de l’émerveillement pour les capacités cosmologiques des forces de vie – réparer, renouveler, refaire. Nous trouvons notre propre façon de vivre malgré l’humain. Voyez le grand digesteur travailler au microscope, dans l’enchevêtrement cosmique – un paysage blessé – la vitalité empoisonnée de cette belle vallée. OH Vous vous attendriez à ce que nous soyons continuellement en train de gémir et de pleurer, mais non, contrairement à l’humain, nous avons un sentiment et un rythme patient qui font honte à votre vanité humaine. Combien de pots de maquillage, de tubes de rouge à lèvres, de pots de stéroïdes, d’améliorations, de paillettes et de glamour en plastique se trouvent dans le lit de ma rivière ? Combien de détritus s’écoulent et étouffent mes grilles chaque fois que la pluie tombe fort ? Et combien de respiration, combien de vie et d’espace sont retirés de mon patient écosystème ? Dites-moi, dites-moi, une nouvelle ère de sentiments a commencé….

Retrouvez l’émergence des Créatures comme si vous y étiez en regardant la géniale captation de Bulat Sharipov : https://vimeo.com/852642194 @bulat_sharipov

MADE IN THE RIVER : relier la rivière

Située sur un promontoire, battu par le vent (le site abritait autrefois des moulins) et baigné de soleil, la cité de la Viste domine le paysage du haut de ses tours élancées. Dans ce terroir purement marseillais, la fraîcheur de la mer semble bien lointaine.

Et pourtant, en contrebas du vallon qui sépare la Viste de la cité des Aygalades, postée en miroir sur la falaise d’en face, se love un coin de verdure, irriguée par le ruisseau du même nom : les Aygalades. Vallon et falaise sont d’ailleurs l’œuvre de ce même cours d’eau qui a patiemment érodé le massif calcaire, au point de creuser un passage suffisamment large et profond pour que l’Autoroute A7 puisse s’incruster dans le lit de ce petit fleuve côtier. Peut-être est-ce à cause du flux incessant des voitures que « les Aygalades » évoquent aux riverains le nom d’un quartier, mais pas celui d’une rivière, et encore moins d’une rivière qui coulerait au pied de chez eux. Les « Eaux Abondantes » ont en effet souffert des travaux de l’autoroute : les débris de la construction ont été évacués dans son lit, au point de l’obstruer, et le tracé jugule le cours naturel de l’eau dans un coffrage de béton au point de lui donner l’apparence d’une annexe du canal de Marseille.

Malgré une ripisylve bien fournie, le ruisseau est invisibilisé.

Le chemin qui longe la colline, effleure le passage menant aux grottes carmélites et à la chapelle de Saint Marie Madeleine (signes d’une époque où les pèlerins venaient chercher la quiétude et la contemplation près de ces eaux bouillonnantes), et descend jusqu’au fond du vallon en passant par le cimetière, est peu fréquenté. En tout cas pas par celles et ceux qui rêvent d’une promenade au bord de l’eau. Or, en tendant l’oreille, au niveau des sépultures du carré musulman, on entend clairement murmurer une cascade. Et en écarquillant les yeux entre les anneaux du grillage, on peut même la voir.

Pour le marcheur moins attentif, pas facile de deviner la présence du ruisseau : bordant la Savonnerie du Midi (implantée autrefois précisément au bord de l’eau afin de pourvoir à ses besoins et d’utiliser la rivière comme…moyen d’évacuation de ses déchets), la rue Augustin Roux se caractérise par ses devantures de garages, ses tâches d’huile de moteur et par l’accumulation des déchets sur le bord de la route plus que par le doux glouglou de la rivière.

Pourtant une fois encore elles sont bien là, les Aygalades. Pour les voir dans leur plus bel habit de lumière, l’idéal est de franchir la porte de fer qui donne accès au jardin de la Cité des Arts de la Rue. A condition qu’elle soit ouverte, comme parfois le mercredi après-midi et lors d’événements liés au Jardin de la Cascade.

Avec ces immenses bâtiments de béton et de métal, la « Cité » porte bien son nom et semble se fondre dans le paysage. Mais son enceinte close et les activités qu’elle abrite (créations de décors pour des performances de rue, danse aérienne en baudrier, diffusion de musique expérimentale -parfois à haut volume jusque tard dans la nuit lors de soirées organisées par des collectifs d’artistes…) ne facilitent en réalité pas son intégration dans le 15e arrondissement de la ville, et les habitant.e.s du voisinage ne forment qu’une mince part du public amené à fréquenter les lieux.

La question du partage d’une certaine forme de culture, subventionnée et produite par une scène nationale dans le cas présent, est l’objet d’un vaste débat et n’a rien d’une évidence ni d’une obligation.

Ce qui fait plus l’unanimité, peut-être parce que cela obéit à des besoins plus primaires, c’est le plaisir des visiteurs à se promener dans le Jardin de la Cascade, mis en scène lui aussi par le personnel de la Cité des Arts de la Rue. Surprise de découvrir un espace de verdure en plein dans un quartier bétonné, plaisir de sentir la fraîcheur des arbres et de l’eau, ravissement face à la cascade… les réactions sont à la fois multiples et indifférenciées quelle que soit l’origine géographique des promeneurs, venus du quartier, du centre ville, ou de l’étranger.

L’évidence est là : au pied de la falaise de la Viste, battue par le soleil et le vent, il y a eu et il y a toujours de l’eau ! De l’eau dont on s’oserait n’abreuver, tant elle reflète le développement industriel et urbain de la ville, mais de l’eau qui continue de posséder de nombreuses vertus : celle de rafraîchir, de dépayser et de faire rêver.

Dans H20, les Eaux de l’oubli (Paris, Lieu commun, 1988), Ivan Illich écrit que la propriété première de l’eau sauvage est de provoquer le rêve, par opposition à l’eau domestique qui est réduite à une matière. En poursuivant le syllogisme, on peut alors se permettre d’affirmer que, puisqu’elles parviennent à faire rêver, alors les eaux du fleuve urbain, pollué, oublié des Aygalades sont bien des eaux sauvages.

Le rêve et l’évasion sont donc à portée de main, à 15 minutes à pieds le long d’un chemin qui sent bon l’aventure, avec les cailloux qui roulent sous les pieds et le trou dans le grillage, les cascades cachées sous les frondaisons, le frisson de la traversée du territoire des morts, la porte de métal dont il faut négocier l’ouverture. Le chemin existe mais il faut l’ancrer, le tracer dans les mémoires, le pratiquer suffisamment pour qu’il devienne une habitude, le baliser d’une manière à la fois discrète et éloquente.

VACANCES DE FEVRIER 2023

Rencontre avec les enfants du Centre social del Rio à la Viste.

Première question : savez-vous qu’une rivière coule en bas de la cité ? Qui est déjà allé au bord de la rivière des Aygalades ?

Peu de main se lève, les enfants sont surpris. On leur annonce qu’on va partir marcher, partir à la fois très loin et tout près.

Sur le chemin on se pose des questions sur le paysage, sur les plantes, on cherche à s’orienter, à trouver les indices qui signalent la présence de l’eau. Pour la plupart des enfants l’existence du chemin est une découverte. Sur le terrain en pente, une petite fille crie de peur de perdre l’équilibre, elle n’a pas l’habitude de marcher sur un terrain inégal, quelques cailloux qui roulent lui font se sentir au bord du précipice.

La traversée du trou dans le grillage marque définitivement l’esprit d’aventure. La traversée du cimetière est aussi l’occasion d’évoquer les morts, les grands parents qui parfois ont déjà disparu et qui sont pour certains enterrés ici même.

Ceux qui ne marchent pas trop vite entendent le flot de la cascade de la Savonnerie et cherche à la deviner à travers les branches. C’est l’hiver, il y a peu de feuilles et l’eau jaillissante apparaît.

A la sortie du cimetière, par dessus le petit mur le lit de la rivière est visible pour la première fois. En se penchant par un nouveau trou dans le grillage les enfants commentent l’état du ruisseau et les déchets qui le jonchent.

On traverse la rue Augustin Roux en faisant attention de ne pas se faire renverser par une voiture. Rien ne laisse présager ici que le ruisseau et son jardin sont tout près.

Une fois passée la grande porte de métal, on arrive dans la partie botanique du jardin. Malgré la saison, les plantes, méditerranéennes pour la plupart, sont vivaces. On propose aux enfants de se mettre par deux et de jouer au jeu de l’aveugle et de son guide, afin de découvrir le jardin d’abord avec son nez, ses oreilles et la sensation de ses pieds. Le jeu plaît, même si la proposition de marcher lentement et déployant son attention est nouvelle, il marquera l’entrée dans le jardin de pratiquement toutes les futures visites.

Les quatre drôles d’adultes qui accompagnent le groupe s’échinent à convaincre les enfants que dans l’eau se trouve des trésors, surprenants, déroutants plus que dégoûtants, puisque de toutes façons les objets collectés seront patiemment nettoyés : c’est comme ça qu’on enclenche la relation de soin, en prenant le temps de délicatement faire reluire un élément qui auparavant figuré sur la liste des déchets.

Les enfants rapportent leurs trouvailles jusqu’au centre social de la Viste : ce qui n’est pas une mince affaire lorsque l’objet choisi est..une bonbonne de gaz (vide) qu’il faut traîner dans toute la montée !

Le lendemain les enfants nettoient les objets trouvés et imaginent leur histoire, comme le ferait un archéologue après avoir déterré un fragment d’une civilisation passée : où a-t-il été trouvé, combien de temps a-t-il passé dans l’eau, quel est son nom et son super pouvoir.

Une première mise en forme, des totems (futures indicateurs de la ressource en eau?), est réalisée pendant une session..un peu chaotique même si le résultat final est en fin de compte joyeusement bariolé. Avec de simples morceaux de journaux déchirés on apprend aussi à faire vivre de petits personnages, tout en jambes, une autre manière de découvrir que décidément tout peut être support à histoires.

FEVRIER-MARS 2023

Rencontre avec les femmes de l’atelier couture

Initialement, il était prévu que les ateliers menés avec les enfants le soit aussi avec des adultes. Mais ces derniers n’étant pas « captifs » du centre social comme le sont les enfants, il a été moins facile de les mobiliser sur l’idée d’aller marcher jusqu’à la rivière. Une seule dame s’est présentée au rendez-vous : Aïcha. Elle ne s’est pas découragée et elle a accompagné l’équipe MYTRIDATE tout le long du chemin, faisant aussi sa part de collectage.
Ce jour là, on a découvert un tressage réalisé par la rivière particulièrement bluffant : métal, plastique et queue de renard (ou du moins un matière qui en a la forme) se mélange pour former des sorte de pompons. On les ramasse en se disant que si dans l’absolu on ne sait pas encore quoi en faire, cette forme nous plaît beaucoup tant elle symbolise la symbiose de la matière qui s’effectue dans l’eau.

Avec toutes nos trouvailles et celles des enfants, nous participons pendant 4 séances aux ateliers de couture du centre. En plus Arlette est un bonne couturière, ce qui ne gâche rien et nous permettra de nous rendre utiles en même temps que l’on partage avec enthousiasme nos idées avec les dames qui se réunissent chaque lundi.

La première séance est un peu timide, chacune bricole dans son coin, Arlette aide à faire fonctionner les machines à coudre qui déraillent souvent.
Puis peu à peu au fur et à mesure des séances on se rencontre, on discute, on se donne des coups de mains dans un sens comme dans l’autre.

Plusieurs personnes tissent avec de la laine un masque qui a été commencé par les enfants, on s’amuse de la faculté du caprisun a devenir un excellent tissu pour coudre un tablier.

AVRIL 2023

Les ateliers à l’atelier couture nous auront convaincu qu’il est difficile de parler de la rivière sans l’avoir rencontré physiquement. Sans cela, elle reste une inconnue, une abstraction, voire le sujet de plaisanterie

Mais c’est pas une rivière, c’est un égout ! s’exclame une animatrice que l’on aimerait bien réussir à faire descendre au pied de la cascade.

Alors on a décidé que les prochains ateliers auraient lieu au plus près de l’eau, afin de pouvoir vraiment être à l’écoute de la rivière et inspiré par elle.

Plusieurs personnes sont venues, certaines sur plusieurs séances, d’autres une fois seulement.
Pendant les vacances les enfants de la Viste sont revenus pour retrouver les créations qu’ils avaient entamé en février et réaliser les balises du chemin.

3 MAI 2023

Le jour du pique nique est arrivé !

Parmi les images des « Aygalades autrefois », l’une d’elle a marqué notre imaginaire :

On s’est donc amusé à rejouer cette scène de sortie champêtre au bord de l’eau, en se disant que le dépaysement serait en deux dimensions : voyage dans le temps et Partie de Campagne à deux pas de chez soi.

Nous sommes donc partis avec les enfants de la Viste, empruntant le chemin que désormais ils connaissent bien, le balisant de nos petits mobiles indicateurs de la présence de cette rivière hybride.

A l’arrivée nous avons été accueilli.e.s joyeusement par les grenouilles et les Gammares.

Nouvelle exploration de la rivière, scintillante au printemps, une première pour certains enfants pour qui le caractère magique de l’endroit a tout de suite sauté aux yeux.

Le pique nique s’est conclu par une grande discussion sur le site tel qu’il était autrefois, les habitudes des dames en robes à crinoline, du fonctionnement de la cascade.
Et puis bien sûr cette grande question

« Mais alors, la rivière est-elle vivante ? »

Chacun a donné son avis sur ce « qu’être vivant » signifiait, mais il était certain que la réponse était Oui.

Puis les enfants sont repartis par le chemin que désormais ils connaissent bien.

Leur aventure est visible ici

Merci à toute l’équipe Mytridate et Gammares

Chloé

Charlie

Melville

Arlette

Agnès J.

Claire

Agnès de la Colline

Christiane

Merci au centre social del Rio, à Charlotte et Coline

MADE IN THE RIVER – Nouvelles du printemps

Où en sommes nous actuellement? 2 mois après le lancement de la Gazette du Ruisseau ?

Nous avons écouté le fleuve, en l’observant, en le touchant et en entrant dans sa vie hybride fluide. Cela prend du temps : passer des heures à ses côtés, chercher, explorer et enfin récolter des matériaux le long du lit du ruisseau.

Ainsi, nous pouvons commencer à transmettre et à transformer la façon dont les autres voient et ressentent la rivière, sa vitalité – entendre sa voix : Prendre soin de la rivière en l’écoutant – comme une entité vivante – et en étant en présence sympathique avec cet autre être vivant.

Nous avons enfin nettoyé, rassemblé, tamisé et digéré les divers matériaux trouvés dans ses eaux, incrustés dans les berges, flottant ou noyés, les détritus et déchets humains que le ruisseau tente d’accueillir, de transformer et de revêtir de sa beauté et de son charme.

Maintenant, nous sommes engagés dans la fabrication d’ateliers, nous pouvons commencer à créer un nouveau panthéon de créatures fluviales, d’esprits et de dieux/desses, en co-construisant et re-présentant l’ingéniosité et la créativité du fleuve – avec une haute couture, à travers la délicatesse et l’unicité , mêlant cette nouvelle sensibilité aux charmes et vêtements du quotidien. Nous réalisons ensemble :

Des incarnations des aspects de la rivière : le Dragon/Hydre (source de la rivière) ; La Tête de galets (lit de la rivière) ; Le Sangsue (la symbiose interne à la rivière); la Créature de la Caravelle (créatures de la rivière); La Cascade (Rivière qui coule de l’énergie – eau); Algues/Végétal (Végétation fluviale), Le Digesteur (eau/pluie/soleil/rayonnement/dégradation/à hybridation).

Illusions, mirages : l’eau nous crée le trouble entre rochers et polyesters

D’autres apparitions auront peut être lieu ?

Affirmer cette étrangeté : “je ne suis pas naturelle et pourtant je suis toujours sauvage”, transformer le rebus en préciosité, entendre la beauté cachée.

Cet imaginaire de l’eau, véhiculé à travers la création des costumes, est partagé au cours d’ateliers avec les habitants de Marseille Nord :

Depuis février, l’équipe de Made in The River a partagé des explorations du ruisseau et des ramassages avec les enfants de la cité de la Viste, voisine du ruisseau.

Un chemin relie la cité à la rivière en quelques minutes à peine, à travers les herbes hautes, le silence du cimetière et le brouhaha incessant de l’autoroute. Un chemin qui, si on bifurque à gauche, est aussi celui qui mène à la chapelle de Marie-Madeleine, aux grottes des chrétiens anachorètes du XIIIe siècle qui venaient chercher dans ce havre de paix à l’aplomb de la rivière, calme et fraicheur pour méditer.
S’aventurer sur cette piste caillouteuse, c’est un peu comme remonter le temps, faire un pas de côté pour se reconnecter à un ailleurs temporel, à une époque où le mysticisme de la rivière était une évidence.

Afin de faire ressurgir cette voie.x de l’ancien temps, nous fabriquons des signes, des traces composées à partir de la rivière elle-même, qui témoigne de sa présence cachée un peu plus bas et invite à suivre le chemin pour la retrouver.
Pendant les vacances de printemps, les enfants viennent à la rivière et confectionnent ces mobiles, sortilèges et grigri qu’ils accrocheront le long des grillages et des arbres afin d’affirmer “C’est par ici, l’eau coule tout près de nous”.

Tous les mercredi d’avril, et les deux premières semaines de mai (3 et 10 mai) les ateliers sont menés au pied de la cascade, de 14h à 16h, à la Cité des Arts de la Rue. Bienvenue!

Les 3 et 4 juin, à l’occasion des “Rendez-vous au jardin” les costumes seront mis en scène afin d’évoquer le réveil des Esprits du Ruisseau.

Créations du mercredi 5 avril