MADE IN THE RIVER : relier la rivière

Située sur un promontoire, battu par le vent (le site abritait autrefois des moulins) et baigné de soleil, la cité de la Viste domine le paysage du haut de ses tours élancées. Dans ce terroir purement marseillais, la fraîcheur de la mer semble bien lointaine.

Et pourtant, en contrebas du vallon qui sépare la Viste de la cité des Aygalades, postée en miroir sur la falaise d’en face, se love un coin de verdure, irriguée par le ruisseau du même nom : les Aygalades. Vallon et falaise sont d’ailleurs l’œuvre de ce même cours d’eau qui a patiemment érodé le massif calcaire, au point de creuser un passage suffisamment large et profond pour que l’Autoroute A7 puisse s’incruster dans le lit de ce petit fleuve côtier. Peut-être est-ce à cause du flux incessant des voitures que « les Aygalades » évoquent aux riverains le nom d’un quartier, mais pas celui d’une rivière, et encore moins d’une rivière qui coulerait au pied de chez eux. Les « Eaux Abondantes » ont en effet souffert des travaux de l’autoroute : les débris de la construction ont été évacués dans son lit, au point de l’obstruer, et le tracé jugule le cours naturel de l’eau dans un coffrage de béton au point de lui donner l’apparence d’une annexe du canal de Marseille.

Malgré une ripisylve bien fournie, le ruisseau est invisibilisé.

Le chemin qui longe la colline, effleure le passage menant aux grottes carmélites et à la chapelle de Saint Marie Madeleine (signes d’une époque où les pèlerins venaient chercher la quiétude et la contemplation près de ces eaux bouillonnantes), et descend jusqu’au fond du vallon en passant par le cimetière, est peu fréquenté. En tout cas pas par celles et ceux qui rêvent d’une promenade au bord de l’eau. Or, en tendant l’oreille, au niveau des sépultures du carré musulman, on entend clairement murmurer une cascade. Et en écarquillant les yeux entre les anneaux du grillage, on peut même la voir.

Pour le marcheur moins attentif, pas facile de deviner la présence du ruisseau : bordant la Savonnerie du Midi (implantée autrefois précisément au bord de l’eau afin de pourvoir à ses besoins et d’utiliser la rivière comme…moyen d’évacuation de ses déchets), la rue Augustin Roux se caractérise par ses devantures de garages, ses tâches d’huile de moteur et par l’accumulation des déchets sur le bord de la route plus que par le doux glouglou de la rivière.

Pourtant une fois encore elles sont bien là, les Aygalades. Pour les voir dans leur plus bel habit de lumière, l’idéal est de franchir la porte de fer qui donne accès au jardin de la Cité des Arts de la Rue. A condition qu’elle soit ouverte, comme parfois le mercredi après-midi et lors d’événements liés au Jardin de la Cascade.

Avec ces immenses bâtiments de béton et de métal, la « Cité » porte bien son nom et semble se fondre dans le paysage. Mais son enceinte close et les activités qu’elle abrite (créations de décors pour des performances de rue, danse aérienne en baudrier, diffusion de musique expérimentale -parfois à haut volume jusque tard dans la nuit lors de soirées organisées par des collectifs d’artistes…) ne facilitent en réalité pas son intégration dans le 15e arrondissement de la ville, et les habitant.e.s du voisinage ne forment qu’une mince part du public amené à fréquenter les lieux.

La question du partage d’une certaine forme de culture, subventionnée et produite par une scène nationale dans le cas présent, est l’objet d’un vaste débat et n’a rien d’une évidence ni d’une obligation.

Ce qui fait plus l’unanimité, peut-être parce que cela obéit à des besoins plus primaires, c’est le plaisir des visiteurs à se promener dans le Jardin de la Cascade, mis en scène lui aussi par le personnel de la Cité des Arts de la Rue. Surprise de découvrir un espace de verdure en plein dans un quartier bétonné, plaisir de sentir la fraîcheur des arbres et de l’eau, ravissement face à la cascade… les réactions sont à la fois multiples et indifférenciées quelle que soit l’origine géographique des promeneurs, venus du quartier, du centre ville, ou de l’étranger.

L’évidence est là : au pied de la falaise de la Viste, battue par le soleil et le vent, il y a eu et il y a toujours de l’eau ! De l’eau dont on s’oserait n’abreuver, tant elle reflète le développement industriel et urbain de la ville, mais de l’eau qui continue de posséder de nombreuses vertus : celle de rafraîchir, de dépayser et de faire rêver.

Dans H20, les Eaux de l’oubli (Paris, Lieu commun, 1988), Ivan Illich écrit que la propriété première de l’eau sauvage est de provoquer le rêve, par opposition à l’eau domestique qui est réduite à une matière. En poursuivant le syllogisme, on peut alors se permettre d’affirmer que, puisqu’elles parviennent à faire rêver, alors les eaux du fleuve urbain, pollué, oublié des Aygalades sont bien des eaux sauvages.

Le rêve et l’évasion sont donc à portée de main, à 15 minutes à pieds le long d’un chemin qui sent bon l’aventure, avec les cailloux qui roulent sous les pieds et le trou dans le grillage, les cascades cachées sous les frondaisons, le frisson de la traversée du territoire des morts, la porte de métal dont il faut négocier l’ouverture. Le chemin existe mais il faut l’ancrer, le tracer dans les mémoires, le pratiquer suffisamment pour qu’il devienne une habitude, le baliser d’une manière à la fois discrète et éloquente.

VACANCES DE FEVRIER 2023

Rencontre avec les enfants du Centre social del Rio à la Viste.

Première question : savez-vous qu’une rivière coule en bas de la cité ? Qui est déjà allé au bord de la rivière des Aygalades ?

Peu de main se lève, les enfants sont surpris. On leur annonce qu’on va partir marcher, partir à la fois très loin et tout près.

Sur le chemin on se pose des questions sur le paysage, sur les plantes, on cherche à s’orienter, à trouver les indices qui signalent la présence de l’eau. Pour la plupart des enfants l’existence du chemin est une découverte. Sur le terrain en pente, une petite fille crie de peur de perdre l’équilibre, elle n’a pas l’habitude de marcher sur un terrain inégal, quelques cailloux qui roulent lui font se sentir au bord du précipice.

La traversée du trou dans le grillage marque définitivement l’esprit d’aventure. La traversée du cimetière est aussi l’occasion d’évoquer les morts, les grands parents qui parfois ont déjà disparu et qui sont pour certains enterrés ici même.

Ceux qui ne marchent pas trop vite entendent le flot de la cascade de la Savonnerie et cherche à la deviner à travers les branches. C’est l’hiver, il y a peu de feuilles et l’eau jaillissante apparaît.

A la sortie du cimetière, par dessus le petit mur le lit de la rivière est visible pour la première fois. En se penchant par un nouveau trou dans le grillage les enfants commentent l’état du ruisseau et les déchets qui le jonchent.

On traverse la rue Augustin Roux en faisant attention de ne pas se faire renverser par une voiture. Rien ne laisse présager ici que le ruisseau et son jardin sont tout près.

Une fois passée la grande porte de métal, on arrive dans la partie botanique du jardin. Malgré la saison, les plantes, méditerranéennes pour la plupart, sont vivaces. On propose aux enfants de se mettre par deux et de jouer au jeu de l’aveugle et de son guide, afin de découvrir le jardin d’abord avec son nez, ses oreilles et la sensation de ses pieds. Le jeu plaît, même si la proposition de marcher lentement et déployant son attention est nouvelle, il marquera l’entrée dans le jardin de pratiquement toutes les futures visites.

Les quatre drôles d’adultes qui accompagnent le groupe s’échinent à convaincre les enfants que dans l’eau se trouve des trésors, surprenants, déroutants plus que dégoûtants, puisque de toutes façons les objets collectés seront patiemment nettoyés : c’est comme ça qu’on enclenche la relation de soin, en prenant le temps de délicatement faire reluire un élément qui auparavant figuré sur la liste des déchets.

Les enfants rapportent leurs trouvailles jusqu’au centre social de la Viste : ce qui n’est pas une mince affaire lorsque l’objet choisi est..une bonbonne de gaz (vide) qu’il faut traîner dans toute la montée !

Le lendemain les enfants nettoient les objets trouvés et imaginent leur histoire, comme le ferait un archéologue après avoir déterré un fragment d’une civilisation passée : où a-t-il été trouvé, combien de temps a-t-il passé dans l’eau, quel est son nom et son super pouvoir.

Une première mise en forme, des totems (futures indicateurs de la ressource en eau?), est réalisée pendant une session..un peu chaotique même si le résultat final est en fin de compte joyeusement bariolé. Avec de simples morceaux de journaux déchirés on apprend aussi à faire vivre de petits personnages, tout en jambes, une autre manière de découvrir que décidément tout peut être support à histoires.

FEVRIER-MARS 2023

Rencontre avec les femmes de l’atelier couture

Initialement, il était prévu que les ateliers menés avec les enfants le soit aussi avec des adultes. Mais ces derniers n’étant pas « captifs » du centre social comme le sont les enfants, il a été moins facile de les mobiliser sur l’idée d’aller marcher jusqu’à la rivière. Une seule dame s’est présentée au rendez-vous : Aïcha. Elle ne s’est pas découragée et elle a accompagné l’équipe MYTRIDATE tout le long du chemin, faisant aussi sa part de collectage.
Ce jour là, on a découvert un tressage réalisé par la rivière particulièrement bluffant : métal, plastique et queue de renard (ou du moins un matière qui en a la forme) se mélange pour former des sorte de pompons. On les ramasse en se disant que si dans l’absolu on ne sait pas encore quoi en faire, cette forme nous plaît beaucoup tant elle symbolise la symbiose de la matière qui s’effectue dans l’eau.

Avec toutes nos trouvailles et celles des enfants, nous participons pendant 4 séances aux ateliers de couture du centre. En plus Arlette est un bonne couturière, ce qui ne gâche rien et nous permettra de nous rendre utiles en même temps que l’on partage avec enthousiasme nos idées avec les dames qui se réunissent chaque lundi.

La première séance est un peu timide, chacune bricole dans son coin, Arlette aide à faire fonctionner les machines à coudre qui déraillent souvent.
Puis peu à peu au fur et à mesure des séances on se rencontre, on discute, on se donne des coups de mains dans un sens comme dans l’autre.

Plusieurs personnes tissent avec de la laine un masque qui a été commencé par les enfants, on s’amuse de la faculté du caprisun a devenir un excellent tissu pour coudre un tablier.

AVRIL 2023

Les ateliers à l’atelier couture nous auront convaincu qu’il est difficile de parler de la rivière sans l’avoir rencontré physiquement. Sans cela, elle reste une inconnue, une abstraction, voire le sujet de plaisanterie

Mais c’est pas une rivière, c’est un égout ! s’exclame une animatrice que l’on aimerait bien réussir à faire descendre au pied de la cascade.

Alors on a décidé que les prochains ateliers auraient lieu au plus près de l’eau, afin de pouvoir vraiment être à l’écoute de la rivière et inspiré par elle.

Plusieurs personnes sont venues, certaines sur plusieurs séances, d’autres une fois seulement.
Pendant les vacances les enfants de la Viste sont revenus pour retrouver les créations qu’ils avaient entamé en février et réaliser les balises du chemin.

3 MAI 2023

Le jour du pique nique est arrivé !

Parmi les images des « Aygalades autrefois », l’une d’elle a marqué notre imaginaire :

On s’est donc amusé à rejouer cette scène de sortie champêtre au bord de l’eau, en se disant que le dépaysement serait en deux dimensions : voyage dans le temps et Partie de Campagne à deux pas de chez soi.

Nous sommes donc partis avec les enfants de la Viste, empruntant le chemin que désormais ils connaissent bien, le balisant de nos petits mobiles indicateurs de la présence de cette rivière hybride.

A l’arrivée nous avons été accueilli.e.s joyeusement par les grenouilles et les Gammares.

Nouvelle exploration de la rivière, scintillante au printemps, une première pour certains enfants pour qui le caractère magique de l’endroit a tout de suite sauté aux yeux.

Le pique nique s’est conclu par une grande discussion sur le site tel qu’il était autrefois, les habitudes des dames en robes à crinoline, du fonctionnement de la cascade.
Et puis bien sûr cette grande question

« Mais alors, la rivière est-elle vivante ? »

Chacun a donné son avis sur ce « qu’être vivant » signifiait, mais il était certain que la réponse était Oui.

Puis les enfants sont repartis par le chemin que désormais ils connaissent bien.

Leur aventure est visible ici

Merci à toute l’équipe Mytridate et Gammares

Chloé

Charlie

Melville

Arlette

Agnès J.

Claire

Agnès de la Colline

Christiane

Merci au centre social del Rio, à Charlotte et Coline

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2 réponses sur “MADE IN THE RIVER : relier la rivière”

  1. Bravo Chloé ma chère nièce.
    C’est magnifique ce que vous avez fait.
    Vous êtes une équipe formidable de courage et de détermination.
    Aidez les enfants à prendre conscience de la pollution avec ces belles découvertes et ces femmes couturières celà donne un espoir immense envers notre société capitaliste.
    Continuez ainsi je suis de tout coeur avec vous.
    Merci Namasté

  2. Merci pour ce bel article ! Je ne connaissais pas cette cascade ni le quartier d ailleurs mais chaque fois que je passe par l autoroute Nord, je suis toujours attirée par ces paysages et j imagine d aller y découvrir des promenades secrètes !!!

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