Des ordres touristiques

Texte de présentation de la thèse « Tourisme social, économie collaborative et droits culturels : ethnographie d’une coopération complexe » en Doctorat Lettres et Sciences Humaines, label Européen, soutenue le 30 novembre 2022 à l’Université de Nanterre par Prosper Wanner, salarié doctorant au sein de la SCIC Les oiseaux de passage, sous la direction de la sociologue Saskia Cousin.

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les membres du jury, Merci tout d’abord pour l’attention que vous avez porté à ma recherche et pour votre présence ce matin. Merci à ma directrice de thèse, à mon comité de thèse, aux collègues universitaires et à mon tuteur qui m’ont accompagné, aux hôtes et aux professionnels du tourisme qui m’ont accordé du temps, aux contribuables qui ont financé ma thèse et à mes proches qui m’ont soutenu. La thèse que j’ai le plaisir de soutenir aujourd’hui devant vous a été réalisée dans le cadre d’une convention industrielle de formation par la recherche au sein de la coopérative Les oiseaux de passage et sous la direction de Saskia Cousin à l’université de Paris Nanterre. Son titre « Tourisme social, économie collaborative et droits culturels : ethnographie d’une coopération complexe » résume à lui seul l’objet initial de cette thèse : observer, documenter et analyser le développement d’une plateforme internet d’hospitalité Les oiseaux de passage par des personnes promouvant le tourisme social et les droits culturels. Avec le recul, l’objet central de cette thèse pourrait se résumer à savoir si les cadrages du dispositif touristique n’amèneraient pas à ignorer la part de poésie d’une relation d’hospitalité, c’est à dire sa part incalculable, sensible, humaine, singulière et imprévisible. Mon hypothèse est que le dispositif touristique ignore de plus en plus cette part incalculable parce qu’il s’inscrit dans un ordre du monde où la liberté de circulation est indexée sur la capacité à consommer des personnes.

Je m’intéresse au dispositif touristique depuis 2009, lorsqu’avec des personnes des quartiers nord de Marseille nous avons décidé de proposer l’hospitalité marchande chez l’habitant aux personnes de passage. A priori, cela paraissait simple. Pour ouvrir une chambre d’hôte, il suffisait d’une simple déclaration en mairie et de s’inscrire sur une plateforme touristique pour accueillir chez soi des personnes de passage et générer de l’économie. Ces deux conditions se sont avérées bien insuffisantes. Dans les faits, pour exercer cette activité et espérer en tirer un revenu, il faut noter ses hôtes et se faire noter, collecter la taxe de séjour, conserver les fiches de police six mois, confirmer des réservations sans pouvoir dialoguer au préalable, pratiquer une tarification dynamique, s’équiper sans cesse, verser des commissions à des intermédiaires, se conformer aux standards du confort touristique et accepter d’être en compétition avec les autres personnes du quartier qui accueillent.  Pour garder une part de poésie dans cette relation d’hospitalité, c’est à dire d’humanité et de singulier, il nous a fallu ruser, faire jurisprudence, se résigner, se tenir à l’écart et inventer sans cesse. Je le raconte dans cette thèse et c’est ce qui m’a amené à chercher à comprendre l’écart entre les discours sur le tourisme et ses conditions d’exercice. Et ce alors que les discours institutionnels sur le tourisme portés depuis plus de cinquante ans au niveau des Nations Unies vantent le tourisme comme un facteur d’humanité, de dialogue interculturel et de paix.

Les oiseaux de passage est une plateforme numérique qui permet à des personnes sur un même lieu de partager leurs hospitalités et leurs récits. Ce sont à titre d’exemple des accueils paysans, des auberges de jeunesse, des territoires en transition, des parcs naturels régionaux et des associations d’écotourisme. Le premier design de la plateforme Les oiseaux de passage s’ouvrait sur un poème de Pablo Neruda dont les lettres arrivaient comme des oiseaux puis s’envolaient en nuées. Le slogan était « d’humain à humains », pour affirmer la part d’humanité du voyage, loin du C to C, de consommateur à consommateur. Le projet convergeait plutôt bien avec les discours et valeurs de l’organisation mondiale du tourisme. Deux ans après, en 2019, pour la première version mise en ligne, la poésie volante avait disparu et plus d’un million de lignes de code servaient à calculer, cadrer et automatiser la mise en relation des personnes de passage avec celles qui accueillent. Au fur et à mesure des développements, les modes de calcul de la plateforme se sont alignés sur ceux du dispositif touristique pour être interopérables avec ses moteurs de recherche, ses systèmes de paiement et notation, ses standards, ses gestionnaires de réservation et ses comparateurs. J’ai pu observer et participer à ce passage d’une intention dite « d’humain à humains » vers sa traduction en un outil de calcul numérique où la poésie avait disparu. J’en ai été pleinement partie prenante.

Le sujet de ma thèse est d’analyser ce que le dispositif touristique fait et fait faire, c’est à dire ses algorithmes, ses logiques tarifaires, ses standards, sa fiscalité, sa législation, ses discours et l’ensemble des techniques d’intermédiation touristiques qui interviennent une relation touristique. Contrairement aux travaux universitaires existants en sciences humaines, je ne me suis pas intéressé au tourisme comme un art de voyager, une pratique culturelle, une industrie ou un loisir, mais comme le dispositif qui permet leur exercice. J’ai pu constater comme d’autres chercheurs avant moi le peu de porosité entre les travaux en sciences humaines qui s’intéressent à l’hospitalité, l’accueil du chez soi, et celles en sciences de gestion qui s’intéressent à l’hospitality, terme anglais qui désigne le secteur touristique.

Pour analyser ce dispositif touristique, je me suis appuyé sur la sociologie des agencements marchands de Michel Callon. Il propose d’analyser comment des personnes s’agencent entre elles, et avec quels outils de calcul, pour faire aboutir collectivement une transaction marchande. Par exemple, comment calculent et agissent collectivement sur une même destination un office du tourisme, un hôtelier, une plateforme de réservation en ligne et un aéroport, alors qu’ils ont des intérêts différents, parfois conflictuels. Il s’agit d’analyser comment des personnes différentes, qui ne se connaissent pas forcément, agissent collectivement, chacun y trouvant son compte. Michel Callon propose d’analyser les agencements marchands à travers cinq cadrages interdépendants qui sont, de manière très synthétique, la transformation d’une offre en marchandise, sa qualification, l’organisation de sa rencontre puis de son attachement avec un acquéreur pour conclure sur la fixation du tarif. Plusieurs de ses exemples en sociologie des agencements marchands sont empruntés au dispositif touristique. Michel Callon invite à analyser les cinq cadrages, notamment lorsque qu’ils débordent du cadre et que leurs modes de calculs sont recadrés. Pour cela il propose de suivre les entités depuis leur conception jusqu’à leur vente. J’ai réalisé plusieurs biographies d’activités devenues touristiques comme le menu touristique, le mini train, les visites guidées. J’ai observé puis fait la biographie d’un clapier de ferme qui va devenir un gîte touristique et dont la qualification puis sa commercialisation et son exploitation vont nécessiter des transformations physiques, juridiques, fiscales et commerciales. Ces cadrages successifs vont susciter des débordements révélateurs de ce que fait et fait faire le dispositif touristique aux personnes qui accueillent, parfois avec une certaine violence.

J’ai ajouté à cette grille d’analyse l’approche pharmacologique des techniques proposées par Bernard Stiegler. Il considère qu’une technique peut être à la fois un poison et un remède, ce qui est particulièrement vrai pour le tourisme, mais aussi et surtout qu’un un bouc-émissaire peut être parfois désigné quand la technique est mal gérée. J’ai pu le constater et l’analyser dans le cas du tourisme de masse à Venise. J’ai complété cette grille d’observation par l’approche des agencements polyphoniques proposés par Anna Tsing. Ces agencements arrivent lorsque des personnes s’agencent non pas de manières calculées, mais imprévisibles avec d’autres personnes hors cadre, dans ce qu’elle appelle un événement. J’ai pu observer que ces événements étaient parfois inhérents aux modes d’hospitalité présents sur Les oiseaux de passage comme à Hôtel du Nord. À travers ces grilles d’analyse, je me suis intéressé à ce que le dispositif touristique fait et fait faire aux personnes, aux intérêts spécifiques de chacune des personnes – intermédiaires, professionnels, institutions et touristes – et aux cadrages qu’ils instaurent entre eux pour agir collectivement et répondre aux débordements. Le code du tourisme, par exemple, répond à la fois au souci du touriste de voyager confortablement grâce au système de classement, au souci d’une collectivité de pouvoir financer son marketing territorial en instaurant une taxe de séjour, au souci d’un hôtelier d’augmenter sa rentabilité via sa montée en gamme et au souci d’un intermédiaire d’avoir l’exclusivité de la relation grâce à son immatriculation comme agence de voyage.Pour analyser les cinq cadrages et leurs modes de calcul, je me suis appuyé sur les travaux de l’anthropologue Jeanne Guyer sur la manière dont on nomme les choses, puis on les ordonne pour enfin les calculer. Par exemple, un hébergement est nommé comme touristique à partir de l’analyse de 240 critères de confort permettant de lui attribuer un score sur 700 points et un nombre d’étoiles. In fine c’est son niveau de confort moderne qui permet de qualifier et nommer un hébergement comme touristique, loin des discours humaniste de l’Organisation mondiale du tourisme. Je me suis particulièrement intéressé à ce que ces modes de calcul prennent en compte comme données, aux données qu’ils choisissent d’externaliser comme par exemple les conditions de travail, aux données qu’ils négligent parce qu’elles sont incalculables comme les données dites sensibles et enfin aux données qu’ils ignorent de par leur caractère imprévisible.

La construction d’une plateforme numérique de voyage a été particulièrement instructive sur l’usage des données. Une centaine de communautés d’hospitalité ont fait remonter du terrain leurs pratiques d’hospitalité et leurs données. J’ai pu compléter ces observations au sein de la coopérative Les oiseaux de passage par d’autres observations participatives dans trois autres milieux professionnels où je suis impliqué par ailleurs. Le premier à Marseille, où j’accompagne depuis douze ans en qualité de gérant d’Hôtel du Nord des hébergeurs, des producteurs, des artistes et des guides urbains dans la commercialisation de leur activité dans le cadre du dispositif touristique. J’ai proposé le concept de « communauté d’hospitalité » pour nommer cette organisation collective et démocratique de l’hospitalité qui peut être à la fois marchande, non marchande et non monétaire. Par exemple avec un hôte qui accueille chez lui, une autre personne qui accompagne à la visite du quartier et une troisième qui propose une carte sensible du quartier. Ensuite à Venise, où j’ai travaillé pour la ville et habité, je documente en particulier depuis 2018 l’instauration d’une taxe d’entrée dans la ville qui suscite de nombreux débats et questionnements tant pratiques que politiques. J’ai pu observer sur place les cent premiers jours du confinement et l’arrêt complet du dispositif touristique. Venise me permet d’observer plus particulièrement le point de vue institutionnel. Enfin à l’échelle européenne, j’anime depuis 2013 pour le Conseil de l’Europe le réseau de la Convention de Faro qui réunit une trentaine d’initiatives sur le droit au patrimoine culturel. Plus de la moitié de ces initiatives ont à faire avec le dispositif touristique, de manière subie ou désirée. Je peux observer ce que le dispositif touristique suscite comme débordements et recadrages dans des contextes très différents au sein des 47 États membres.

J’ai pu ainsi multiplier les contextes d’observation et les postures d’observation participative, comme gérant, consultant, militant et habitant. J’ai complété ces observations par des lectures scientifiques et des recherches dans les archives d’acteurs du tourisme, en particulier celles du Touring-club de France, cet acteur majeur dans la construction du dispositif touristique. J’ai choisi d’observer le tourisme dit industriel en suivant des formations en location courte durée et en suivant un couple de gestionnaires d’une quinzaine d’appartements touristiques à Venise. Je suis devenu Genius plus niveau deux sur la plateforme Booking.com et niveau Platinium chez Air France. J’ai complété ces observations participatives par des entretiens ciblés avec des professionnels du tourisme comme l’ancien responsable des statistiques au ministère du tourisme et des consultants en tourisme. J’ai élargi mes observations et analyses à des organisations d’hospitalité non touristiques comme les foyers de jeunes travailleurs et les associations d’aide aux réfugiés. Pour mener à bien mon analyse j’ai proposé cinq nouveaux concepts sur lesquels je vais revenir : la chambre blanche, l’homo turisticus, l’interface, la communauté d’hospitalité et l’ordre touristique.

Mon premier constat porte sur le cadrage de l’accueil touristique, c’est à dire des hébergements, activités, menus et transports qualifiés de touristiques. J’ai pu observer que le dispositif touristique ignore ce qu’ils proposent de commun, de contributif, de sobre, de mixité et de promiscuité avec le vivant. Ces données sont ignorées. A contrario, ce qui compte et est compté par le dispositif touristique est le confort moderne, c’est à dire le privatif, le serviable, l’hygiénique et l’équipement moderne. J’ai proposé le concept de chambre blanche pour symboliser ce cadrage central au dispositif touristique. La chambre blanche a été exposée pour la première fois en 1900 à l’exposition universelle par le Touring-club de France comme le modèle de ce que devait être l’accueil touristique. Elle est aujourd’hui présente dans l’ensemble du dispositif touristique que ce soit par exemple dans les 240 critères d’Atout France pour classer les hébergements touristiques ou les 100 items de Booking.com pour trier les offres. Il suffit d’ouvrir un site de réservation touristique pour voir l’omniprésence de la chambre blanche. Ce modèle centenaire est néanmoins de plus en plus source de préoccupation au niveau écologique et social avec la montée en gamme continue qu’il fait faire.

Le second constat porte sur les nombreuses personnes de passage qu’accueillent les personnes présentes sur Les oiseaux de passage et qui ne comptent pas comme touristes. Ce sont les travailleurs saisonniers, les stagiaires, les aidants, les mises à l’abri, les étudiants ou encore les accueils non monétaires. Ils ne sont pas pris en compte par le dispositif touristique au double sens du terme et relèvent parfois d’autres dispositifs d’accueil. La catégorie touriste a été adoptée pour la première fois au niveau statistique après la crise de 1929 puis à l’échelle internationale par l’ONU en 1963. Cette définition a été reprise ensuite pour les visas, les comptes satellites du tourisme, le ciblage marketing, le code du tourisme, les algorithmes prescriptifs et les logiques tarifaires. J’ai proposé le concept d’homo turisticus afin de désigner cette personne de passage bénéficiaire du dispositif touristique, celle qui est accueillie, ciblée, taxée, assurée, profilée et comptée dans le cadre du dispositif touristique. C’est aussi celle qui est désirée, attendue et accueillie confortablement. Je pose l’hypothèse que l’une des spécificités du dispositif touristique est d’avoir créé une nouvelle catégorie statistique, fiscale, légale, algorithmique et commerciale de voyageurs, basée sur sa capacité à consommer, c’est à dire son panier moyen. Ce cadrage lui aussi centenaire, est source de préoccupation sociale et économique, avec la montée de l’anti tourisme face aux difficultés d’accès au logement des habitants comme des autres voyageurs.

Le troisième constat porte sur les intermédiaires touristiques qui mettent en relation des personnes de passage et celles qui accueillent, notamment via internet. Une part importante des données concernant les personnes présentes sur Les oiseaux de passage ne sont pas prises en compte par ces intermédiaires. L’informatisation du tourisme a été réalisée avec succès dès l’après guerre par les compagnies aériennes pour créer des systèmes de réservation centralisée, des systèmes de distribution globalisée et gérer leurs fichiers clients. Ce qui fait dire à des universitaires que le tourisme a été le porte-drapeau de l’économie numérique. De manière générale, 80% des données numériques ne sont pas calculées par les algorithmes car elles sont dites non structurées. En tourisme, seules sont retenues les données qui servent aux comparateurs. Une offre touristique est calculée, triée, classée, qualifiée et prescrite par rapport à sa note de confort, sa géolocalisation et son tarif. Les données ignorées sont celles qui permettent de se singulariser et de se raconter. L’extrait d’un livre d’or, le dessin d’un lieu, un remerciement manuscrit, la voix d’un hôte, une langue locale ou une création artistique n’ont pas la place dans un comparateur car elles empêchent le calcul et rendent singulière chacune des offres d’hospitalité. J’ai proposé le concept d’interface pour nommer ces intermédiaires qui au delà de la gestion de la relation ont aussi un rôle de régulation et de traduction. Cette intermédiation touristique n’est pas sans créer des sujets de préoccupation au niveau écologique, fiscal et des libertés individuelles.

livre d’or Micèle Rauzier, Hôtel du Nord.

Mon hypothèse plus générale, est que ces calculs du dispositif touristique qui visent à rendre comparable et prévisible l’accueil, les personnes de passage et leur relation nous empêchent doublement de raisonner, c’est à dire d’entrer en résonance avec le monde au sens du sociologue Rosa Hartmunt et de faire appel à notre raison au sens de Bernard Stiegler. C’est pour reprendre des termes de Michel Callon, une relation sans relation. J’ai proposé pour conclure un nouveau concept « d’ordre touristique » afin de nommer ce que j’ai observé et analysé, c’est-à-dire ce qui met en ordre au sens de hiérarchise, donne des ordres au sens de « fait faire » et fait rentrer dans un ordre. Pour reprendre un concept proposé par Bruno Latour, le dispositif touristique est comme une boite noire, une science déjà faite qui n’est plus discutée et discutable. Si cet ordre des choses est de plus en plus une source de préoccupation pour la société, pour autant, seul ses effets sont discutés. Les touristes sont pointés du doigt comme responsables de ses effets négatifs car ils seraient trop nombreux, trop concentrés au même endroit, pas assez responsables et trop peu dépensiers. Les propositions sont de fixer des quotas, de les taxer ou de mieux les responsabiliser. Ce sont des bouc-émissaires commodes dont parle Bernard Stiegler qui amènent à s’intéresser aux seuls effets du dispositif touristique sans en questionner les causes, c’est à dire l’ordre touristique.

Ma thèse est que l’ordre touristique ne peut pas se résumer à un effet collatéral des progrès en terme de mobilité ou de l’élargissement des droits aux congés payés. Il est en soi un ordre du monde. J’ai repris le terme d’ordre touristique dans un des derniers discours de l’organisation mondiale du tourisme qui parle aussi du droit des touristes. Le touriste est devenu l’ayant droit à la mobilité de par son panier moyen. L’instauration d’un droit d’entrée à Venise couplée à un système de surveillance, le « grande fratello », au nom du tourisme durable, est le symbole de cet ordre touristique mondial qui trouve sa légitimation dans le discours touristique. Cet ordre n’est pas nouveau et existe depuis l’instauration des visas tourisme. Ce qui change est que cet ordre touristique s’inscrit maintenant dans un contexte où un milliard de personnes vont selon l’ONU être amenées à migrer de manière contrainte ou choisie à cause du changement climatique. Un rapport onusien sur les droits de l’homme publié en 2019 alerte sur le risque d’un « apartheid du climat ». L’ordre touristique porte en lui le risque de cet apartheid du climat. Le tourisme se révèle de mon point de vue, après plusieurs années d’observation participative, un angle d’analyse de la société particulièrement intéressant, et à mon avis trop négligé, notamment sur la capacité à être précurseur ou à l’avant garde comme pour le e-commerce. Il anticipe ce que pourrait être l’avenir du droit à la mobilité dans un monde bouleversé par le changement climatique.

Pour conclure, cet ordre touristique invite à lire le monde en deux dimensions, sans sa part d’incalculable. En choisissant l’approche ethnographique, j’ai justement essayé de sortir d’une lecture trop carrée et cadrée du réel. Je suis ingénieur de formation, cartésien, et j’ai pu constater dans mes engagements coopératifs la difficulté à penser ainsi la réalité en deux dimensions pour mener à bien des projets collectifs. Dans la sociologie des agencements marchands de Michel Callon, qui est lui même ingénieur, j’ai retrouvé cette logique et la limite de penser en deux dimensions. Il fait souvent référence au terrain de rugby, à la notion de cadrage tout comme Bruno Latour avec la table de calcul. C’est ce qui m’a amené à dialoguer aussi avec notamment Rosa Hartmunt et Anna Tsing pour à mon tour ne pas ignorer la part d’incalculable et d’incalculé. Plutôt que d’innover, au sens de renouveler l’existant – in-novare -, la suite de ce travaux porte sur les possibilités d’inventer l’à venir comme militant, chercheur et coopérateur à partir de ces incalculés et incalculables, sources de réconfort, d’hospitalité et de poésie.

Respirer tue

la coopérative d’habitants Hôtel du Nord est associée à la pétitionA Marseille, respirer tue” et à la manifestation du 21.10.2021 qui se tiendra à l’entrée de l’Estaque au rond point des pompiers, 

A Marseille, respirer tue 2500 personnes par an, 7 personnes par jour.

L’activité maritime et croisiériste en est en grande partie responsable … alors que des solutions existent : en finir avec le fuel très polluant par le remplacement par du Gaz Naturel Liquide (GNL) et surtout mettre en place le branchement électrique à quai.

Ces deux moyens sont actés par le port mais à des échéances trop lointaines : électrification en 2022 pour les quais à La Joliette (c’est-à-dire pour Euromed 2) après 2026 pour la forme 10 (les quartiers Nord peuvent bien attendre).

A cette pollution aérienne s’ajoute la pollution sonore créée par les moteurs qui tournent et la pollution de la rade de Marseille avec tous les effluents liquides du port qui s’écoulent directement à la mer sans dispositif ni de traitement ni de rétention.

Pour accélérer vers une activité portuaire propre, pour électrifier en priorité la forme 10 et le quai Léon Gourret (les croisiéristes), à l’initiative du collectif Respire tue et à l’appel des associations signataires, signez la pétition et venez au rassemblement jeudi 21 octobre sur l’esplanade devant Servaux  face à la Forme 10:

A partir du rapport d’AtmoSud (l’organisme chargé de la surveillance de la pollution aérienne) sur la situation factuelle de la pollution dans nos quartiers, un capitaine au long cours et le médecin président de l’association santé environnement France (ASEM), cardiologue spécialiste de ces questions, expliqueront les enjeux du problème. Des réseaux de capteurs citoyens seront également présentés.

La fédération des CIQ du 16ème et les associations du 16ème : Cap au Nord, Association Estaque Environnement, Thalasanté, Hôtel du Nord et FNE 13.

Les fours à chaux du Vallon des Tuves

La coopérative Hôtel du Nord a été créée il y a dix ans par des personnes issues de sept communautés patrimoniales des quartiers nord de Marseille. Ces communautés patrimoniales, au sens de la Convention de Faro, réunissent des personnes qui attachent de la valeur à des aspects spécifiques du patrimoine culturel qu’elles souhaitent, dans le cadre de l’action publique, maintenir et transmettre aux générations futures.

Hôtel du Nord a été depuis un outil coopératif pour de nombreuses communautés patrimoniales de la métropole marseillaise. C’est pourquoi aujourd’hui Hôtel du Nord soutient l’initiative du Comité d’Intérêt de Quartier (CIQ) des Trois Vallons concernant les fours à chaux du Vallon des Tuves. Ces fours sont un des témoignages du passé industriel de nos quartiers. Ensemble nous avons réussi à réunir des acteurs d’horizons très différents : M. Fourès de la fondation du patrimoine, Mme D’Ovidio, archéologue de la ville de Marseille, M. Delpalillo, conservateur restaurateur, Mme Van Bost, chercheur patrimoine industriel Région Sud, Kheira Miloud, maison du projet, M. Narcante, chargé d’opération de la Métropole, M. Olmos, chef de projet MRU de la Métropole, Mme Giraud de la DRAC, monuments historiques, Mme Baussan, service inventaire du patrimoine de la Région, M. Esposito de la SOLEAM, ainsi que 11 étudiants en architecture avec leurs enseignants du MAP-GAMSAU /ENSA Marseille.

L’archéologue a commenté les visites des fours à chaux, en exposant les documents d’archives regroupés, le contexte économique et local – nouvelle gare des Aygalades, canal – expliquant le fonctionnement théorique du four, son approvisionnement, les matières premières, le processus de fabrication de la chaux, invitant à la restitution du four dans son état originel, pointant les affaiblissements structurels, les transformations post activité. Des échanges ont pu ainsi avoir lieu entre les différents participants. Les rencontres successives ont ainsi permis de rencontrer des personnes en responsabilité.

Le CIQ et Hôtel du Nord continuent à rassembler les documents utiles aux informations relatives au Four à chaux, à ses propriétaires, aux utilisateurs ainsi qu’à son environnement au cours du temps. Une autre visite publique était prévue dans le cadre des Journées Européennes du Patrimoine, malheureusement annulées. Quatre étudiants travailleront sur le long terme sur ce site sur les ébauches de sujets suivantes : Julien sur le relevé du four, Charaf sur le mode de construction du four à chaux, Clothilde sur l’insertion dans le site et modélisation du four à chaux et Miruna sur le patrimoine industriel face aux enjeux de la restauration.

Pour notre part, le CIQ et Hôtel du Nord, attendons beaucoup des personnes et institutions présentes. Le nombre conséquent de participants – vingt sept – prouve l’intérêt suscité par ces fours. Nous souhaitons donc que le travail entrepris, sous des angles différents, puisse permettre aux « décideurs » de tout mettre en œuvre pour les préserver et les mettre en valeur. Ils pourraient servir à illustrer l’évolution du monde du travail pour les plus jeunes.

Nous avons été souvent choqués par la promptitude des pouvoir publics, notamment de la ville de Marseille, à détruire les traces du passé de notre ville. Ainsi en a-t-il été de l’hôpital Hôtel-Dieu transformé en hôtel de luxe, du projet de la bastide Valmer et de son parc promis au même destin et, bien sûr, la carrières antique sacrifiée aux promoteurs. Aussi sommes-nous très attentifs aux décisions de la nouvelle municipalité en matière de préservation du patrimoine.

Pour le moment ces actions n’ont pas fait bouger les positions des décideurs. En mars 2020, Hôtel du Nord avait interpellé l’ensemble des candidats à l’élection municipale sur leur responsabilité en matière de droits culturels suite à la Loi NOTRe d’août 2015, et plus particulièrement sur le patrimoine culturel au regard de la Convention de Faro (voir l’article à ce sujet). Le printemps marseillais a répondu à cette lettre en mars 2020.

Dans sa réponse, Michèle Rubirola, pour Le Printemps Marseillais, dit son attachement aux récits partagés et aux patrimoines cachés et s’engage à respecter la Convention de Faro (voir la lettre de réponse). Nous avions fait des propositions dans cette lettre qui n’ont pas eu pour le moment de suite. La situation des fours à chaux remet à l’ordre du jour ces propositions comme celle de reprendre la Mission européenne de patrimoine intégrée qui a pris fin en 2013 ou la création de commissions patrimoines qui associeraient de nouveaux les communautés patrimoniales aux choix d’urbanisme, de développement économique ou d’actions culturelles en lien avec les communautés patrimoniales concernées.

La Convention de Faro, à peine ratifiée par l’Italie, sera en juin 2021 entrée en vigueur en Europe depuis dix ans. Marseille qui a accueilli en 2013 le premier forum européen sur Faro pourrait s’associer à cet anniversaire aux côté d’autres villes. La prise en compte des fours à chaux est une occasion d’avancer dans cette voie.

Les fours à chaux du Vallon des Tuves aujourd’hui

Ce texte a été élaboré avec Patricia Gristi, présidente du CIQ et Agnès Maillard, sociétaire de la coopérative Hôtel du Nord.

L’église Saint-Louis de Marseille, une Mémoire en devenir – Parution

Nous sommes heureux d’annoncer la parution de l’ouvrage “L’église Saint-Louis de Marseille, une Mémoire en devenir” aux Éditions Maltae.

Cette aventure éditoriale commencée en 2012 a réuni autour de Jean-Claude Gautier une équipe d’historiens.nes et d’historiens.nes de l’art pour raconter les histoires de ce chef-d’œuvre de l’architecture religieuse du XXe siècle érigé en 1935 dans un quartier populaire du 15e arrondissement de Marseille. Sous la direction de Jean-Claude Gautier, sociétaire de la coopérative Hôtel du Nord, une équipe pluridisciplinaire a entrepris la réalisation d’un ouvrage centré sur la période d’avant-guerre pour mettre en lumière les richesses de cette église en n’omettant pas le contexte religieux et économique de cette époque .

Sous l’épiscopat de Mgr Dubourg (1928-1936), l’abbé Gabriel Pourtal initie le projet qui   remplace l’ancienne église. Il sollicite l’architecte Jean-Louis Sourdeau (1889-1976), auteur de l’église Notre Dame de rocquigny (1929-1932) pour concevoir ce chef d’œuvre du patrimoine architectural marseillais encore méconnu dont la structure et la voûte sont réalisées en béton armé selon les procédés Hennebique.

Cette église, réalisée entre 1933 et 1935, s’inscrit dans un projet de rechristianisation d’un quartier fortement industrialisé à la population étrangère importante. Cette volonté de reconquête des fidèles passe par cette imposante réalisation architecturale où prend un ensemble iconographique extérieur et intérieur conséquent : un Christ crucifié, des anges adorateurs et un archange Gabriel monumentaux de Carlo Sarrabezolles, un bas-relief de Sainte-Fortunée de Louis Botinelly, un Chemin de croix de   Jac Martin-Ferrières, des pavés de verre comme vitraux autour du roi Saint Louis et un luminaire en forme de couronne d’épines. L’association la Fraternité Saint-Louis a été créée en 2004 pour la défense et la sauvegarde de l’église et de ce patrimoine.

Après-guerre, deux affiches monumentales ont été installées de part et d’autre du chœur et entre 2000 et 2013, les deux seules œuvres religieuses de Vasarely et de son fils Yvaral (le Christ et Saint-Pierre) y ont séjourné de 2000 à 2013 et plus près de nous une peinture de la Sainte Trinité de Maria del Carmen Villaveces.

Textes : Claude Massu, Christine Breton, Samia Chabani, Anaëlle Chauvet, Marina Sanchez,(Association Ancrages) Sophie Audibert, Robert Maumet, Eve Roy, Laurent Noet, Christine Blanchet, Georges Tortel, Jean-Claude Gautier, Laure Van Ysendyck.

Photos :  Patrick Box, Léopold Farfantoli, Pierre-Michel Gautier, Xavier de Jauréguiberry, Olivier Liardet, Florence Portemer

Format : 128 pages, plus de 110 illustrations dont certaines inédites, format 21×28 cm. 25 euros TTC

L’ouvrage est disponible dans le réseau de chambres patrimoniales de la coopérative d’habitants Hôtel du Nord.

Présentation de l’ouvrage par Jean Claude Gautier.

Les cheminées des collines, entre pastoralisme et toxic tour

Réalisation par Guillaume Baudoin / Production Hôtel du Nord et l’association environnement Septèmes-les-Vallons et environs – AESE.

Chaque année la coopérative Hôtel du Nord propose de construire à plusieurs, sous le nom collectif du Mille pattes, de nouvelles balades avec ceux qui en ont envie, voisins d’à côté ou d’un peu plus loin.

Ce film restitue de manière sensible une balade construite collectivement à Septèmes-les-Vallons autour des enjeux écologiques d’un territoire partagé entre activités industrielles, péri-urbanisation de Marseille et préservation des milieux naturels.

Textes écrits par les habitants, balade filmée le 16 novembre 2019. Avec Pierre de l’association Septèmes-les-Vallons patrimoine, Isabelle, Anne-Marie, Henri et Bernard de l’AESE, Malika, Agnès, Carole, Georges, Julie, Dominique, Stéphanie, Claire, Agnès, Louis, Virginie, Nathalie et Eric de la Ferme communale de Septèmes-les-Vallons. Merci à Sylvie pour les Fantaisies tricotées de Tata Patchouli, au Bureau des guides du GR2013 et à tous ceux qui sont venus participer ou contribuer à nos recherches. Merci à Guillaume pour ce film. Merci aux cheminées, aux chèvres, au ruisseau, aux pierres et aux herbes folles des collines.

Cher.e.s candidat.e.s

Cher.e.s candidat.e.s

Le programme Archives Invisibles de la biennale Manifesta propose d’ici novembre huit expositions autour d’archives collectées et issues de la collaboration entre artistes et structures citoyennes de quartiers de Marseille afin de refléter la richesse et la multiplicité des récits non-officiels qui construisent la ville. Notre coopérative d’habitants Hôtel du Nord partage jusqu’au 21 mars ses archives invisibles, collectées et racontées en lien étroit avec l’artiste marocain Mohamed Fariji. 

Depuis le 8 août 2015, la Loi NOTRe (Nouvelle Organisation des Territoires de la République) veut que sur chaque territoire, les droits culturels des citoyens soient garantis par l’exercice conjoint de la compétence en matière de culture par l’État et les collectivités territoriales. La “Convention de Faro” du Conseil de l’Europe précise ces droits en matière de patrimoine culturel. Cette responsabilité sera peut être bientôt la vôtre.

Nos demandes sont simples. Comment allez-vous assumer cette nouvelle responsabilité en matière de droit au patrimoine? Connaissez-vous le texte de la Convention de Faro?

Si vous venez visiter nos archives d’ici le 21 mars, vous pourrez découvrir comment ces droits sont interprétés et appliqués à  Marseille. Concernant votre programme, allez-vous reprendre la Mission européenne de patrimoine intégrée (Ville-Etat-Conseil de l’Europe)qui a pris fin en 2013? Allez-vous adopter les principes de la Convention de Faro comme d’autres maires ici avant vous? Allez-vous faire vôtres les recommandations de la Région Nouvelle Aquitaine en matière de droits culturels? 

Au delà de l’aspect légal, ne pensez-vous pas qu’il est temps que Marseille retrace les généalogies et les mémoires non institutionnelles d’initiatives d’habitants, d’histoires de résilience et de synergies collectives ? Des généalogies qui remettent en question les discours « traditionnels » de la ville et appellent à leur reconnaissance, ce patrimoine commun, aujourd’hui souvent invisible et inaperçu des institutions.

Nous vous adressons ces demandes comme à d’autres candidats. Votre réponse sera publiée sur notre site et entrera dans nos archives, visibles jusqu’au 21 mars au Tiers QG. Nous nous tenons à votre disposition si vous souhaitiez vous y rendre.

Dans l’attente d’une réponse de votre part, nous vous prions d’agréer l’expression de nos salutations coopératives.

Pour la coopérative Hôtel du Nord, Prosper Wanner (sociétaire, gérant), membre et animateur du Réseau européen de la Convention de Faro.

Réponses arrivées :

  • Lettre Printemps Marseillais (10 mars)

Documents à télécharger :

Value of the invisible archives for society

For the third edition of the #InvisibleArchives of the Manifesta Biennal, Moroccan artist Mohamed Fariji (b. 1966, MA) is collaborating with our cooperative of inhabitants from the northern districts of Marseille Hôtel du Nord.

Involved in the exploration of urban myths and collective memory, Mohamed Fariji, develops participatory artistic projects over a long period of time. After a three-week residency hosted by Hôtel du Nord, the artist will present his collaboration and work on the collective’s archives at Tiers QG, for Invisible Archive # 3. This collaboration happens during upcoming local elections and reflects upon “Oh Bonne Maire”, the political story project of Christine Breton, heritage curator and retired Professor of History.

#InvisibleArchives represent selected genealogies and non-institutional memories of various civil initiatives, histories of resilience and community synergies originated and located in particular areas of Marseille. Challenging the city’s “mainstream” discourses, these genealogies re-narrated by an invited artist or a collective, inhabit the space of Tiers QG in a year-long sequence of  exhibitions and public programmes. Selected archives are used as departure points for artists and exhibitions. The public programme takes place in the ecosystem of Marseille, as well as in relation to foreign initiatives and practices. 

Hôtel du Nord invite four initiatives from the european Faro convention network to share their experiences about #InvisibleArchives: Patrimoni in Psain, Cabbage Field in Lituania, Almašani in Serbia and Machkhaani en Gorgia.

The Faro convention of the Council of Europe on the value of cultural heritage for society is about people, places and stories and to make invisible visible (Faro moto). The Faro convention network members try to implement human rights, rules of law and democracy in sometimes difficult circumstances (clientelism, corruption, rural emigration, gentrification, speculation). To manage these situations, in addition to judicial procedures, manifestations and petitions, they choose to use heritage and archives. What is the value of invisible archives for the society? For heritage communities, education, quality of life, social dialogue, regeneration of communities? They will share their experiences during an Aogora on Saturday 22th of Febbruary from 2 pm to 5 pm a the Tiers QG.

De la valeur des archives invisibles pour la société.

A l’occasion du programme du Tiers QG #Archives invisibles de la biennale Manifesta13, Hôtel du Nord est invité à partager ses archives invisibles, collectées et racontées avec Mohamed Fariji, artiste et porteur d’un projet de Musée collectif à Casablanca. 

Les #ArchivesInvisibles retracent les généalogies et les mémoires non institutionnelles d’initiatives d’habitants, d’histoires de résilience et de synergies collectives originaires et situées dans des zones particulières de Marseille. Ces généalogies qui remettent en question les discours « traditionnels » de la ville, sont racontées par un artiste invité ou un collectif. À travers cette mise en valeur artistique, les #ArchivesInvisibles réactivent ces histoires et récits en dialogue les unes avec les autres et appellent à leur reconnaissance comme patrimoine commun, souvent invisible et inaperçu des institutions.

Hôtel du Nord a invité d’autres initiatives d’habitants en Europe pour qui le patrimoine culturel est un moyen d’action politique pour la défense de leur cadre de vie, la lutte contre l’exode rural, le dialogue post conflit, le renforcement de la société civile : Patrimoni en Espagne, Cabbage Field en Lituanie, Almašani en Serbie, Machkhaani en Géorgie. Ces initiatives font partie du Réseau européen de la Convention de Faro animé par le Conseil de l’Europe sur de la valeur du patrimoine culturel pour la société.

Elles cherchent à rendre visible l’invisible, les personnes, les lieux et leurs histoires (Faro moto). Dans des contextes souvent difficiles – clientélisme, corruption, exode rurale, gentrification, spéculation foncière -, elles contribuent à renforcer le respect des droits humains, l’État de droit et la démocratie. Face à ces situations, au coté d’actions en justice, de manifestations et de pétitions, elles s’appuient sur les patrimoines culturels et naturels pour agir collectivement. La question qui leur est posée est de savoir pourquoi le patrimoine. Quelle est la valeur de ces archives invisibles pour la société? Pourquoi choisissent ils ce mode d’action? Que permet-il? Ces question leurs seront posées comme à Hôtel du Nord, Manifesta et le Musée collectif lors d’une Agora samedi 22 février de 14h à 18h– Au Tiers QG (57 rue Bernard Dubois) : traces et récits visibles et invisibles des communautés.

Pour préparer ce débat, voici une présentation brève du Conseil de l’Europe, de la Convention de Faro et des initiatives qui seront présentes.

Le Conseil de l’Europe et la Convention de Faro

La Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société, dite Convention de Faro, est avant tout une convention sur la société et pour la société. Elle s’inscrit dans le dispositif du Conseil de l’Europe visant à aider les 47 États membres à relever les enjeux sociétaux auxquels ils font face : une crise de la représentativité politique, une crise des modèles économiques et une crise culturelle ou identitaire.

Le Réseau européen de la Convention de Faro réunit une vingtaine de personnes – élus locaux, coopératives, associations, artistes, institutions publiques, …  – qui comme nous sont engagées sur la reconnaissance du droit au patrimoine culturel comme droit humain, c’est à dire pour chaque personne, seule ou en commun, du droit de bénéficier du patrimoine culturel et de contribuer à son enrichissement.

Les travaux du Réseau  portent notamment sur le respect de la diversité des interprétations, la mise en valeur du patrimoine culturel comme  ressource de coexistence pacifique, de développement humain et de qualité de la vie et le  développement de pratiques innovantes de coopération des autorités publiques avec les communautés patrimoniales. Hôtel du Nord est membre de ce réseau et participe activement à ce processus continue de recherche action coordonné par le Conseil de l’Europe.

Le Conseil de l’Europe

La Convention de Faro

Le Plan d’Action Faro

Cabagge field, Kaunas, Lituanie

Kaunas est la seconde ville de Lituanie avec environ 300 000 habitants. Comme l’ensemble du pays, elle a connu depuis les années 90 un important déclin démographique, stabilisé depuis quelques années. Marquée par les multiples occupations et annexions du pays, Kaunas garde aussi en mémoire son passé de capitale de la Lituanie indépendante entre 1920 et 1940 et de première ville juive du pays avant la guerre. Ville étudiante, riche de ce patrimoine XXème mais ayant des difficultés à fixer sa jeunesse au-delà du temps des études ainsi qu’à attirer un tourisme aimanté par la Capitale Vilnius, la ville tente une redynamisation de la ville par la culture, notamment via sa biennale et son titre de capitale européenne de la culture en 2022.

Du côté de la société civile, une tension existe entre une posture plutôt passive issue des années de fort contrôle social, et une évolution des aspirations citoyennes vers des postures plus actives et une meilleure prise en compte de la population notamment dans les décisions liées au développement urbain. Le processus autours du Cabagge field (champs de choux) porté par deux artistes et s’inspirant du community art anglo-saxon, fait émerger une communauté patrimoniale via des actions artistiques comme la co création d’un opéra patrimonial, prélude à un réveil des consciences et à l’engagement d’actions politiques collectives sur la défense de leur cadre de vie. Invités : Vita Geluniene et Ed Caroll, artistes.

Laboratoire patrimoni en zone rurale, Castillan, Espagne

Le programme Patrimoni de l’Université Jaume concerne un territoire rural de 100.000 habitants et 126 villages de moins de 5.000 habitants situés dans l’arrière pays. L’économie y est essentiellement tertiaire (retraités, zones résidentielles) et le tourisme, très présent sur la côte, y est peu développé tout comme l’agriculture. Quelques industries persistent comme la céramique.  Depuis 1992, Patrimoni fait partie d’une réponse plus globale de l’université à sa « dette » envers le monde rural auquel elle enlève une population jeune et qualifiée.

Patrimoni accompagne des initiatives patrimoniales « à la demande » des villageois pour lutter contre l’exode rural en valorisant leurs patrimoines naturels et culturels : l’eau (fontaines, circuits, etc), la laine (industrie, tradition, …), l’art rupestre (patrimoine mondial de l’humanité), la guerre civile (bataille de Levante), l’art contemporain (musée, itinéraire), la céramique (Real fabrica), la musique (festivals, pratiques), la Cartuja de Valldecrist, les oliviers (millénaires), la pédagogie (musée), la faune et la flore (parc naturel), les hippies, … Invité : Ángel Portolés, animateur du programme Patrimoni.

Café citoyen, Machkhaani, Georgie

L’ONG Civic initiative fait émerger une communauté patrimoniale en Géorgie autour du théâtre de Machkhaani et l’animation d’un café de la connaissance. Machkhaani, village de 400 habitants, peu accessible et où le quotidien des habitants reste difficile (absence d’eau potable), possède un théâtre à l’italienne construit il y a deux cents ans par les villageois. La rénovation de ce théâtre, sa symbolique sur la capacité des citoyens à se mobiliser et sa réactivation à travers notamment un festival national mobilise une communauté qui dépasse le seul village et réunie plus de 20.000 personnes aujourd’hui. Cette communauté patrimoniale, face au peu d’intérêt des institutions publiques, s’organise, finance et faire revivre ce récit collectif. Invitée : Nana Bagalishvili, coordinatrice de Civic initiative.

Novi Sad, Serbie

Novi Sad, seconde ville de Serbie, future capitale européenne de la Culture en 2021, compte 400.000 habitants, vingt et une communautés, quatre langues officielles, deux alphabets officiels et neuf religions pratiquées. En 2005, les habitants du quartier central de Almašani ont mené collectivement une bataille contre à un projet de création de boulevard venant couper en deux leur quartier “villageois”. Pour se protéger à l’avenir de ce type de risque, ils mettent depuis en valeur les patrimoines de leur quartier. Cet engagement leur a permis d’être le principal interlocuteur de l’équipe de la Capital Européenne de la culture. Le quartier est au centre des enjeux européens de « migrations, conflits et réconciliation, chômage des jeunes, discrimination des rom et égalité homme-femme » identifiés pour 2021. Les défis à relever par la communauté locale sont nombreux : exode des jeunes face au chômage, discriminations de la communauté rom, présence de “logements sociaux horizontaux” issus de la période socialiste, risque de gentrification accentué par 2021, manque de confiance dans la classe politique, ….   La communauté mène de nombreuses actions pour inclure davantage d’habitants comme le festival « Découvrez les arrières jardins de Almaš » et depuis un an la gestion d’une station culturelle installée dans une ancienne fabrique du quartier.

Invités : Violetta Đerković et Filip Vlatkovic de la communauté.

Le Musée Collectif, Casablanca

Le Musée Collectif résulte d’un travail de recherche, de collecte, de réflexion et de création mené par des groupes composés d’artistes, d’activistes, d’étudiants, d’enfants et d’habitants qui engagent des actions dans leurs quartiers visant à faire émerger des récits peu connus. Dans un processus partagé d’écriture d’une histoire de la ville par ses citoyens, le Musée Collectif accueille des objets, documents, archives et témoignages des habitants sur la mémoire de leurs quartiers en valorisant la macro-histoire, l’intime, l’oublié et les marges. (extrait site internet du musée).

Du droit au patrimoine aux droits culturels des personnes

Le 24 novembre 2020, notre coopérative aura 10 ans. Dix années d’expérimentation sur l’interprétation et l’application du droit au patrimoine culturel, comme droit humain, dans le cadre coopératif et dans le cadre de l’action publique. Les élections municipales sont l’occasion de constater que en dix ans la question des droits culturels a grandement évoluée au niveau législatif et timidement au niveau des institutions.

Il y a dix ans, leur prise en compte relevait d’une expérimentation patrimoniale dans les quartiers nord de Marseille et de la volonté politique avec une demi douzaine de maires qui ont adhéré à Marseille, Vitrolles et Septèmes les Vallons aux principes de la  convention du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société, dite convention de Faro. Une initiative reprise par d’autres élus en Italie et en Espagne.

Aujourd’hui, les droits culturels sont inscrits dans la Loi (NOTRe, CAP) et relèvent de la responsabilité des collectivités locales comme de l’État. Hôtel du Nord fait partie du réseau européen de Faro sur ces droits, créé dans la foulée du séminaire Faro organisé dans les quartiers nord de Marseille en 2013 et auquel ont participé une trentaine de pays. Ce réseau s’est réuni dernièrement à Saint-Denis avec des chercheurs européens autours des enjeux des pratiques d’hospitalité au regard de l’économie de l’altérité.

Au niveau de l’application, Hôtel du nord a co fondé en 2016 la coopérative Les oiseaux de passage qui promeut la prise en compte au niveau européen de ces droits dans les activités d’hospitalité, dont le tourisme. Cette plateforme coopérative du « droit au voyage »  est reconnue jeune entreprise innovante sur ces enjeux et accueil un doctorant en anthropologie. Elle a participé activement au programme de prise en compte des droits culturels par la Région Nouvelle Aquitaine.

La Loi ne suffit pas pour autant à ce que les droits culturels soient pleinement pris en compte. La convention de Faro n’a toujours pas été signée par la France alors que la Loi NOTRe est entrée en vigueur et que leur base juridique et leur intention sont les mêmes. L’importance du travail réalisé en région nouvelle Aquitaine pour définir ne serait ce que la terminologie confirme qu’il s’agit bien d’une « révolution copernicienne » pour les institutions comme pour les initiatives. Il aura fallu 18 mois pour s’entendre sur le sens des termes au regard des droits culturels : publics, offre culturelle, besoin culturel, création, démocratisation de la culture, culture, médiation culturelle et transversalité.

A l’occasion de notre collaboration avec Manifesta13 et l’artiste Mohamed Fariji, archives invisibles #3  Hôtel du Nord (Marseille-Casablanca), cinq initiatives du réseau européen de Faro d’Espagne, Géorgie, Lituanie, Italie et Serbie seront présentes à Marseille pour débattre avec Hôtel du Nord, Mohamed Fariji et Ancrages des “archives invisibles” et remettre une note au Conseil de l’Europe sur cet enjeu.

L’occasion de partir en balade avec Hôtel du Nord et de découvrir le dernier ouvrage de Christine Breton Oh Bonne Maire! aux Éditions Communes, une mise en perspective, dans le présent le plus urgent d’une élection, des racines les plus anciennes de la coopérative quand elle était en gestation dans le programme européen de patrimoine intégré.

Nous vous invitons à venir marcher et penser avec nous les droits culturels des personnes.

Sur les traces de nos pas ….

«Sur les traces de nos pas. Mémoire du quartier né entre Saint André et Saint-Louis» est le titre du livre écrit par Lucienne Brun en 2008 à partir de portraits, parcours, images d’une culture ouvrière fondée sur l’immigration : un livre comme un miroir où les habitants aient envie de se regarder.

Ce livre fait partie de la bibliothèque d’Hôtel du Nord avec le livre «L’église Saint-Louis. L’art et la foi rencontrent le monde ouvrier», première coédition d’Hôtel du Nord en 2010 avec la Fraternité Saint-Louis. Ce livre coécrit avec Christine Breton est le reflet d’une histoire tressée d’espoir, de luttes sociales et de foi chrétienne.

Lucienne a réalisé de nombreuses visites et balades autours de l’histoire de cette église, premier monument historique protégé des quartiers nord de Marseille. Hôtel du Nord obtiendra de la part de l’Archevêché l’autorisation d’organiser ses visites où Lucienne déroulait sur quatre-vingt ans les relations complexes que l’église catholique a entretenu avec le monde ouvrier, de la croisade des années trente à l’aventure des prêtres-ouvriers.

Elle fait partie des sept personnes qui ont co fondé la coopérative Hôtel du Nord le 24 novembre 2010. Elle a contribué à imaginer l’aventure coopérative Hôtel du Nord et à la rendre possible notamment de manière moins visible dans la mise en place de son organisation et dans l’écriture de ses statuts et principes fondateurs.

Les vénitiens, venues en délégation lors des journées européennes du patrimoine à Marseille en septembre 2009, se rappellent la nuit passée à chanter sous l’orage dans sa maison les chants révolutionnaires italiens et à évoquer l’enchevêtrement des liens qui unissent Marseille à Venise où elle se rendra à leur invitation en 2011 pour les journées européennes du patrimoine. Son intervention enregistrée à cette occasion est l’occasion de revenir avec elle sur les traces de nos pas… et sur ses luttes et questionnements, toujours d’actualité.

Lucienne nous a laissé le 6 janvier 2020. Un hommage lui sera rendu samedi 11 janvier – en l’église St-Louis – à 10h30 –  suivi de l’inhumation au cimetière de St Henri.

Nos pensées vont à sa compagne et à ses proches. O bella, ciao.

Voir l’interview vidéo de Lucienne réalisée par Images et Paroles engagées, sociétaire de la coopérative en 2008 pour la sortie de son livre Sur les taces de nos pas … et le texte Lucienne Brun écrit par Nathalie Cazals, sociétaire d’Hôtel du Nord.