La Coordination Patrimoines et Créations 2/3 et l’association En Italic reviennent sur la balade de Faro qu’ils ont pris en charge pour leForum de Marseille le jeudi 12 septembre 2013 : Le port de la Joliette ou la mise en récit du patrimoine portuaire et des quartiers qui le bordent.
Précisons en préambule que ce texte réunit les points de vue de plusieurs membres de la Coordination Patrimoines et Créations des 2e-3earrondissements de Marseille qui ont participé à l’animation de la balade du 12 septembre 2013, lors du « Forum de Marseille sur la valeur sociale du patrimoine et la valeur du patrimoine pour la société ». A la place d’un récit rédigé par un seul auteur, nous préférons proposer au lecteur, plusieurs regards et autant d’histoires sur notre itinéraire, tout simplement parce que ce sont aussi nos différences qui fondent les actions du groupe, d’habitants et de professionnels, que nous formons depuis 2011 et qui demeure autant préoccupé par l’histoire que par l’actualité de nos quartiers.
Cette balade intitulée initialement « A l’envers du temps, de la ville de demain à la cité antique » puis « Le port de la Joliette ou la mise en récit du patrimoine portuaire et des quartiers qui le bordent » a été pilotée par la Coordination Patrimoines et Créations 2e-3e et l’association En italique.
Laurent Cucurullo, association En italique (13002). www.enitalique.fr
Compte tenu du trajet effectué, depuis le parvis des Archives et bibliothèque départementales des Bouches-du-Rhône, jusqu’à la Mairie du 2e secteur, il est assez facile de remarquer les chantiers en cours, comme les nouvelles constructions. La multiplicité des acteurs impliqués est un signe manifeste des enjeux de la mutation urbaine qui s’exerce ici. Citons, entre autres, Euroméditerranée (EPA, établissement public d’aménagement), le Grand Port Maritime (EPIC, établissement public industriel et commercial), Marseille-Provence 2013 (association loi 1901 qui regroupe des collectivités et des partenaires privés dont le conseil d’administration est présidée par le président de la Chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence) ou encore de nombreux promoteurs immobiliers. Pour En italique cette balade est par conséquent placée d’emblée sous plusieurs signes. Il ne s’agit pas uniquement de nommer l’histoire longue de Marseille, même lorsqu’elle se répète (de Jules Mirès à Euroméditerranée), mais de signaler aussi l’évolution des relations entre la ville, le port et la mer puisque notre itinéraire qui ne s’éloigne jamais vraiment du rivage ne nous permet pas d’y accéder non plus. Bien plus qu’un simple paradoxe marseillais, cette confiscation de l’espace me semble révélatrice de ce qui faisait patrimoine commun ici. Cheminer entre le vieux et le « nouveau » port, qui est à l’origine de la création de ces quartiers, c’est nécessairement souligner cette valeur conflictuelle du patrimoine.
Précisons, en outre, puisque cela nous semble nécessaire, que cette balade était une construction de toutes pièces censée nous permettre de signaler ce qui fait patrimoine (selon nous) et de décrire comment nous agissons en tant que « patrimonialisateurs », dans un contexte de réalisation bien précis et à l’attention d’acteurs locaux, des représentants des 21 États membres du Conseil de l’Europe qui ont signé la Convention-cadre de Faro, des autres pays intéressés et des représentants des différentes directions du Conseil de l’Europe et de la Commission européenne.
Parce que nous pensons qu’une balade c’est aussi des rencontres, notre marche était rythmée par les pas et la sensibilité de plusieurs membres de la CPC. Elle commence sur le parvis de la Bibliothèque départementale de prêt, avec les mots de Brigitte Corbel, membre de la CPC et responsable de la Salle d’Actualité de la BDP. Son intervention est importante à nos yeux car elle démontre la qualité des passerelles que nous avons tissées avec l’institution départementale.
Au niveau de la place de la Joliette, nous avons parlé avec Yvette, habitante de la Villette (13003), de l’hôtel « Les gens de mer ». Une manière comme une autre de nous rapprocher du rivage (inaccessible) et pour dire l’impact de l’activité portuaire sur les usages de ce territoire.
« Les premiers foyers marins se sont créés dès 1900. Les deux derniers conflits mondiaux commenceront à détériorer puis finiront par détruire une grande partie de ces foyers. Après 1945, le secteur maritime évolue et il devient donc nécessaire, face aux besoins exprimés, de reconstruire des structures. En 1946 est créée l’A.G.I.S.M. (association pour la gestion des institutions sociales maritimes) qui va mettre en place « Les maisons des gens de mer » afin d’accueillir les personnes en relation avec le milieu maritime, c’est à dire les marins du commerce, de la pêche et leurs familles, celui de Marseille a été inauguré le 24 septembre 1953 par M. Ramacony secrétaire d’Etat à la marine marchande.
A partir de 1990 le secteur de l’exploitation maritime évolue fortement. Le nombre de marins et les durées d’escales diminuent rapidement. Les structures commerciales des maisons des gens de mer sont moins fréquentées et c’est ainsi qu’en 1999, il est décidé d’ouvrir ces établissements au grand public. Ces hôtels sont homologués en deux étoiles et appelés dorénavant « Hôtels les gens de la mer ». Ils ne sont pas excentrées mais situés au cœur des villes au près de leurs port. On y dort dans des grandes cabines de bateaux et l’on y déguste des produits de la mer… Au sein de l’hôtel, l’association d’accueil des Marins, le Seamen’s club. »
Alain, habitant du quartier de la Belle de Mai (13003) et Francis, habitant du quartier la Villette (13003).
« Nous avons évoqué, au cours de stations à hauteur des Docks de la Joliette et de la rue Mazenod, les grandes compagnies maritimes marseillaises qui ont prospéré au cours des XIXe et XXe siècles grâce à l’invention de la machine à vapeur et de l’hélice. Dans le périmètre du port de la Joliette, de nombreux bâtiments reconvertis (et souvent déjà oubliés) permettent d’évoquer cette période faste des activités portuaires à l’époque de l’empire colonial français. En 2012, nous avons créé « la balade en bonne compagnie maritime » pour évoquer cette période qui reste encore dans la mémoire des Marseillais, d’autant que beaucoup d’anciens du 2e arrondissement ont travaillé dans ces entreprises. Au cours de son élaboration, nous avons établi des liens avec la direction des Docks (anciennement appelé « le Grand entrepôt ») et surtout avec le personnel des ateliers de mécanique, électricité, soudure… de la Société Nationale Corse Méditerranée (SNCM) qui sont situés dans un ancien bâtiment de stockage des colis postaux de la Cie Générale Transatlantique, aujourd’hui disparue. C’est ainsi, en particulier, que le responsable du fret à la SNCM, a pris en charge, dans le cadre de notre balade patrimoniale, la visite du siège central de la SNCM, Bd des Dames, un magnifique bâtiment dont l’intérieur est dans le style art-déco. Il a également présenté l’histoire et les difficultés de la SNCM qui a pour fonction spécifique d’assurer la continuité territoriale entre le continent (à partir de Marseille) et la Corse. »
Fin de notre balade avec Dominique Cier, habitant du quartier de la Joliette (13002) et écrivain associé à l’Atelier d’EuroMéditerranée « Tabula Rasa – Le quartier du Panier : 1943-2013 ». quartierslibres23.blogspot.fr
Traces, mémoires et Histoire
Les balades sont toujours le prétexte pour mettre en partage nos rêves et nos fantasmes. Au lieu de nous précipiter vers le lieu de notre destination, nous prenons enfin le temps de lever le nez et de laisser vagabonder notre regard. Une étrange poésie de la désolation émane alors de ces friches qui portent en elles la mémoire ouvrière. Nous imaginons la fumée, les vapeurs et le fracas, le grouillement de la foule et le tumulte de la rue, les machines et l’odeur du gasoil, la chaleur et la fatigue, le rire des enfants dans la cour de l’école, tout un débordement d’activité. Et nous imaginons qu’un beau jour la vie n’a plus été rythmée par le hurlement des sirènes, que soudain le vacarme a cessé, que le silence a envahi les ateliers abandonnés et les rues désertes et qu’enfin les ouvriers, les employés, les artisans et les commerçants sont partis, laissant quelques rescapés se noyer dans leurs souvenirs. Nous devinons cette souffrance parce que nous voyons ces choses invisibles avec notre cœur. Nous pouvons imaginer que sous les passerelles d’autoroutes la nature va reprendre ses droits et revenir à l’état sauvage mais, au fond de nous-mêmes, nous savons bien que c’est impossible. Les murs des usines et les façades sont des espaces qui gardent des traces de vies vécues et ensevelies. Après le silence du deuil industriel, ces couches fragiles de mémoires s’effritent sous l’effet des pelleteuses et des grues qui bouleversent les paysages, mais il en reste toujours des bribes. Il suffit donc d’apprendre à lire ces lambeaux d’usure humaine. Les randonneurs se transforment en archéologues et observent en réalité un quartier qui change de peau. Cette conversion n’efface pas ce qui précède. Elle s’inscrit simplement dans une continuité. Nous pressentons pourtant un danger. Accrochées à un littoral magnifique, nous devinons que ces friches suscitent bien des convoitises et que les investisseurs préfèrent évidemment oublier que cette épaisseur historique est un point d’ancrage qui faciliterait l’intégration et les mutations sociales. Les citoyens doivent le leur rappeler.
C’est qu’avec ces balades, nous nous trouvons entre Histoire et mémoires. La mémoire installe le discours dans le sacré, expliquait Pierre Nora, l’Histoire l’en débusquerait. L’Histoire ne s’attache qu’aux continuités temporelles, aux évolutions et aux rapports des choses. La mémoire s’enracine dans le concret, dans l’espace, le geste, l’image et l’objet. La mémoire est un absolu et l’Histoire ne connait que le relatif. Toutes ces usines et ces bureaux sont des constructions où se sont forgées des identités, des modèles urbains, des circulations, mais aussi des manières de penser, d’habiter et de se distraire. Elles ont fait naître des solidarités et ce n’est pas un hasard si elles disparaissent aujourd’hui. La différence majeure entre Histoire et mémoire réside dans le type de questionnement adressé au passé. On ne parle plus d’un savoir historique à partir duquel on pourrait expertiser la mémoire. L’histoire est bien obligée de s’ouvrir à d’autres objets. Comme le souligne Ahmed Boubeker, le lien entre mémoire collective et mémoire nationale est justement remis en cause par des débordements dans l’espace public qui font que d’autres récits, relevant de mémoires clandestines, trouvent place sur la scène médiatique et culturelle. Et l’émergence de cette mémoire plurielle implique la nécessité d’une révision critique du grand récit national…
Qui sommes nous ?
Habitants, usagers et professionnels, tout simplement des acteurs des 2e et 3e arrondissements de la ville de Marseille qui considèrent les patrimoines naturels et culturels de ce territoire comme une ressource vivante et citoyenne fondatrice de tout processus de développement durable.
Nos balades, nos ateliers, nos discussions comme l’ensemble de nos rendez vous au fil de l’année, sont ouverts à tous !
Pour suivre notre actualité ou nous rejoindre, une seule adresse :patrimoinesetcreations23.blogspot.fr
Pour télécharger en PDF la fiche de la balade publiée à l’occasion du Forum de Marseille :http://hoteldunord.coop/wp-content/uploads/2013/09/balade-1-joliette.pdf