Communiqué : Moins de Locations de Courte Durée pour Plus d’Habitant.es à l’année !

Nous, Citoyens, associations, organismes, collectifs à travers la France qui œuvrons en partie ou en totalité pour la réduction des Locations de Courte Durée ( L.C.D ), souhaitons ensemble alerter sur cette activité aux impacts négatifs sur nos territoires et lieux de vie, en particulier sur le logement .

Le développement exponentiel des L.C.D a révélé, accentué, accéléré la difficulté désormais pour une majorité de personnes de conserver ou trouver un logement dans la commune où ils souhaitent vivre et dans un lieu d’habitation adapté a leurs besoins .

L’hospitalité qui prévalait dans nos quartiers de celles et ceux qui vivent, travaillent et séjournent se dégrade, l’urgence du logement pour toutes et tous émerge avec plus d’acuité.

Faute d’une offre suffisante et du fait d’une augmentation sans commune mesure du prix des loyers et à l’achat, cette crise du logement ne concerne plus seulement les personnes en situation de précarité et les classes populaires…mais touche désormais aussi la classe moyenne !  

Face à cela, différentes collectivités territoriales soutenues ou incitées par des citoyen.nes, associations, collectifs… ont mis en place ou tentent de le faire, différentes mesures pour réduire la concentration trop importante de L.C.D sur leurs territoires en particulier dans les zones touristiques.

En effet en attendant d’autres actions pour tenter de résoudre cette crise ( freiner voir arrêter l’augmentation régulière du nombre de résidences secondaires, diminuer les logements vacants …), les municipalités ou intercommunalités ont compris qu’agir en priorité dans ce domaine spécifique des L.C.D pouvait être un levier très rapide pour accueillir à court terme des habitant.es et remettre sur le marché du logement locatif permanent.

A titre d’exemple, Saint-Malo estime que l’application de son règlement municipal réduisant à moins de 2 000 le nombre de L.C.D, permettra de dégager une capacité d’accueil de 1 000 à 1 500 nouveaux habitant.es…et donc d’avoir plus de « volets ouverts » à l’année 🙂

Tout ceci sans dépenses financières et constructions nouvelles risquant de détruire des maisons dans les quartiers anciens ou résidentiels, sans disparition de terres agricoles ou espaces naturels … et ce dans un temps record (2 / 3 ans ) qu’aucun programme de constructions ne pourrait tenir ou permettre !

Si des collectivités territoriales diverses géographiquement et politiquement  ont réussi à trouver “des outils” les plus efficients possibles pour agir concrètement,

certains éléments juridiques, fiscaux…manquent afin que toutes les communes en France puissent de manière la plus facile et simple possible, agir efficacement.  


Ces éléments manquants à proposer et faire voter sont du ressort du législateur et du pouvoir exécutif, des parlementaires  et du gouvernement.

Or, il se trouve que dans les jours, semaines qui viennent, ces acteurs de la vie démocratique vont préciser, s’exprimer, devoir voter sur des propositions visant notamment à encadrer / réguler l’activité économique commerciale de Location de Courte Durée .

A cette occasion et en complément de propositions notamment issues des acteurs historiques qui œuvrent avec force depuis des années sur la résolution de cette crise du logement, nous  souhaitons leur soumettre 3 propositions prioritaires parmi celles que nous avons élaborées ou qui sont en réflexion en notre sein  afin d’atteindre l’objectif de réduire le trop plein de L.C.D dans les territoires en “Tension Logement pour des Habitant.es à l’Année” .

Elles sont les suivantes : 

1. Accorder à toutes collectivités territoriales sans critères d’importance  de la population ou nécessité d’être déclarées en zone tendue, de mettre en place toutes mesures utiles pour  atteindre cet objectif,

2. Inverser la fiscalité immobilière pour favoriser les loueurs à l’année de résidences principales plutôt que des loueurs de courte durée en résidences secondaires,

3. Déterminer un ” interlocuteur “précis  (Services de l’Etat, Conseil Régional…) susceptible d’assurer une mission la plus impartiale possible de centralisation,  de collecte et de transmission d’informations, de données de tous ordres… (y compris transparence des données des plateformes de location en ligne) et d’accompagnement, d’ingénierie auprès de tous les acteurs liés à ce thème.

Nous nous tenons à disposition de toutes et de tous  pour échanger, écouter et être entendus sur ces propositions et d’autres bien sûr que nous portons.

Nous invitons aussi celles et ceux qui partagent notre objectif, notre démarche  à nous rejoindre !

Contacts Information  :  Franck Rolland  06 85 27 16 10  et Hans Gervais     06 07 60 41 01 

Parmi les premiers signataires : 

Veronique Deschamps – Saint-Malo / Bretagne – Collectif Saint-Malo J’y vis…J’y reste !

Prosper Warner – Marseille / Provence Alpes Côté d’Azur – SCIC Hôtel du Nord / SCIC Les Oiseaux de passage 

Delphine Le Mee Bonet- Collectif  T.U.T – Lorient / Bretagne 

Jean Paul Lebas – Nouvelle Aquitaine – Association pour la Sauvegarde de la Presqu’île de Lège Cap Ferret 

Roxanne Berget – Pays de Loire – Ile d’Yeu – Les Enfants de Tempête

Laurent Bougras – Nouvelle Aquitaine – La Rochelle 

Isabelle Ange – Granville – Normandie 

Vincent Aulnay – Paris – Ile de France – ParisvsBnB 

Brigitte Cottet et Jean-Luc Poulet– Auvergne Rhône Alpes – Annecy – Association des résidents de la Vieille Ville d’Annecy

Marjolaine de Sinety – Bretagne – Ile de Batz – Collectif On parle de Toit

Céline Roger – Bretagne – Ile de Houat – Collectif L’ardois Salée

Hervé de Souich – Bretagne – Carnac – Les volets ouverts 56

Laetitia Visse – Normandie – Dieppe

Isabelle Ange – Normandie – Granville

Marie-Hélène Chastanet et Gabriel Grellier – Nouvelle Aquitaine – Ile de Ré – Volets Ouverts 17

Malika Peyraut – Nouvelle Aquitaine – CA Pays Basque – ALDA

Tamara – Occitanie – Saint-Martin de Lansuscle – Association La Logeuse

Caroline Laurent – Nouvelle Aquitaine – Ile d’Oleron – Collectif A l’Année sur Oleron

Guy Largier – Bretagne – Ile de Groix – Association Le Graho

En balade pour Frapper monnaie à Marseille

Le 18 avril après midi nous sommes retrouvés Michel, Christelle et Lætitia de l’association La Roue Marseillaise qui gère la monnaie local complémentaire avec Samanta, Agnès et Prosper de la coopérative Hôtel du Nord pour une visite commentée du Cabinet des Monnaies et Médailles avec Sylvain BORZILLO, le Conservateur du Cabinet des monnaies et médailles.

Notre ambition est de se réapproprier la monnaie à travers son histoire, particulièrement riche à Marseille qui fut la première à frapper monnaie il y a 2500 ans, la monnaie massalia, cent ans à peine après sa création et trois cents ans avant Rome. Depuis elle n’a cessé de frapper monnaie et, si le dernier Atelier de la monnaie situé rue Tapis Vert a fermé en 1857, la chambre de Commerce a continué au 19ème à emmètre une monnaie de nécessité pour soutenir le commerce local.

Aujourd’hui, Marseille continue à emmètre une monnaie local complémentaire pour favoriser les circuits courts et l’engament social et écologique des consommateurs, producteurs et commerçants. Aujourd’hui en version numérique, la Roue est accepté par plus de 300 professionnels à Marseille et est utilisable à l’échelle régionale.

Billet de 13 Roues

Comme le rappelle le plus ancien atelier de monnaie de Marseille retrouvé lors des fouilles archéologiques Place Villeneuve-Bargemon à côté de la Mairie, Frapper monnaie a toujours été une question de souveraineté, d’identité, de pouvoir et d’autonomie.

A travers cette histoire qui passe par le musée d’Histoire de Marseille, le Cabinet des monnaies, le musée d’Archéologie à la Vielle Charité, la Place Villeuneuve-Bargemon, le Palais de la Bourse, c’est l’occasion de partager et redéfinir ensemble l’enjeu de frapper monnaie et de comprendre ce que pourrait apporter une gestion décentralisée, citoyenne, éthique et écologique de la monnaie.

Des pistes ont émergées lors de cette visite et le travail d’enquête se poursuit. Ils nous restent à retrouver les traces dans les archives et les bâtiments des anciens Ateliers de la monnaie. Nous cherchons aussi à comprendre la place qu’ont joué les Grands Hôtels dans l’émission d’une monnaie de nécessité au 19ième. Notre objectif est de proposer une première balade à la rentrée de septembre. Bienvenue.

MADE IN THE RIVER – Nouvelles du printemps

Où en sommes nous actuellement? 2 mois après le lancement de la Gazette du Ruisseau ?

Nous avons écouté le fleuve, en l’observant, en le touchant et en entrant dans sa vie hybride fluide. Cela prend du temps : passer des heures à ses côtés, chercher, explorer et enfin récolter des matériaux le long du lit du ruisseau.

Ainsi, nous pouvons commencer à transmettre et à transformer la façon dont les autres voient et ressentent la rivière, sa vitalité – entendre sa voix : Prendre soin de la rivière en l’écoutant – comme une entité vivante – et en étant en présence sympathique avec cet autre être vivant.

Nous avons enfin nettoyé, rassemblé, tamisé et digéré les divers matériaux trouvés dans ses eaux, incrustés dans les berges, flottant ou noyés, les détritus et déchets humains que le ruisseau tente d’accueillir, de transformer et de revêtir de sa beauté et de son charme.

Maintenant, nous sommes engagés dans la fabrication d’ateliers, nous pouvons commencer à créer un nouveau panthéon de créatures fluviales, d’esprits et de dieux/desses, en co-construisant et re-présentant l’ingéniosité et la créativité du fleuve – avec une haute couture, à travers la délicatesse et l’unicité , mêlant cette nouvelle sensibilité aux charmes et vêtements du quotidien. Nous réalisons ensemble :

Des incarnations des aspects de la rivière : le Dragon/Hydre (source de la rivière) ; La Tête de galets (lit de la rivière) ; Le Sangsue (la symbiose interne à la rivière); la Créature de la Caravelle (créatures de la rivière); La Cascade (Rivière qui coule de l’énergie – eau); Algues/Végétal (Végétation fluviale), Le Digesteur (eau/pluie/soleil/rayonnement/dégradation/à hybridation).

Illusions, mirages : l’eau nous crée le trouble entre rochers et polyesters

D’autres apparitions auront peut être lieu ?

Affirmer cette étrangeté : “je ne suis pas naturelle et pourtant je suis toujours sauvage”, transformer le rebus en préciosité, entendre la beauté cachée.

Cet imaginaire de l’eau, véhiculé à travers la création des costumes, est partagé au cours d’ateliers avec les habitants de Marseille Nord :

Depuis février, l’équipe de Made in The River a partagé des explorations du ruisseau et des ramassages avec les enfants de la cité de la Viste, voisine du ruisseau.

Un chemin relie la cité à la rivière en quelques minutes à peine, à travers les herbes hautes, le silence du cimetière et le brouhaha incessant de l’autoroute. Un chemin qui, si on bifurque à gauche, est aussi celui qui mène à la chapelle de Marie-Madeleine, aux grottes des chrétiens anachorètes du XIIIe siècle qui venaient chercher dans ce havre de paix à l’aplomb de la rivière, calme et fraicheur pour méditer.
S’aventurer sur cette piste caillouteuse, c’est un peu comme remonter le temps, faire un pas de côté pour se reconnecter à un ailleurs temporel, à une époque où le mysticisme de la rivière était une évidence.

Afin de faire ressurgir cette voie.x de l’ancien temps, nous fabriquons des signes, des traces composées à partir de la rivière elle-même, qui témoigne de sa présence cachée un peu plus bas et invite à suivre le chemin pour la retrouver.
Pendant les vacances de printemps, les enfants viennent à la rivière et confectionnent ces mobiles, sortilèges et grigri qu’ils accrocheront le long des grillages et des arbres afin d’affirmer “C’est par ici, l’eau coule tout près de nous”.

Tous les mercredi d’avril, et les deux premières semaines de mai (3 et 10 mai) les ateliers sont menés au pied de la cascade, de 14h à 16h, à la Cité des Arts de la Rue. Bienvenue!

Les 3 et 4 juin, à l’occasion des “Rendez-vous au jardin” les costumes seront mis en scène afin d’évoquer le réveil des Esprits du Ruisseau.

Créations du mercredi 5 avril

Le 1000 pattes des enfants de Saint-André La Castellane #2

Les Oreilles Grandes Ouvertes !

Un habitant de Saint André, Denis Pelliccio, vient nous raconter plein d’Histoires !

Le 1000-Pattes des enfants a embarqué Denis dans la balade du quartier pour qui nous raconte l’histoire de chaque petit coin où il s’est baladait quand il était enfant… 

Nous sommes partis, cette fois-ci, avec les oreilles grandes ouvertes, et Denis nous a laissé imaginer le quartier d’autrefois, rêver des histoires lointaines où les voitures n’existaient presque pas, les animaux étaient très présents, il y avait des arbres et des prairies à perte de vue, des fontaines et des canaux pour se rafraîchir, et les enfants jouaient dans la rue sans danger.

Le voyage commence direct au cœur du château de La Castellane, des grands platanes, une belle terrasse sous les arbres, le ruisseau du Pradel, la vue sur la mer, des oiseaux, la vie calme, la belle vie.

Denis nous a raconté que son grand père était cantonnier et avec sa famille ils habitaient au château de La Castellane, propriété de Gabrielle de Castellane, en 1751, des nobles provençaux depuis le IX siècle.  Au XIX siècle, la mairie de Marseille l’achète pour le louer à des familles modestes. 

Denis se souvient…  « Au château vivaient 6 ou 7 familles, chaque pièce faisait 50m2, c’était magnifique de vivre dans des espaces tellement grands ! Avec mes cousins et cousines, et d’autres enfants du château, on jouait dans la nature, on courait dans les près, tout le monde se connaissait, on était heureux »

Le Mille-Pattes enfants se déplace au grand champ d’en face à La Castellane, en bas de La Bricarde, Denis nous raconte que chaque dimanche avec ses parents ils faisaient la cueillette de la salade et des asperges sauvages, c’était un rituel !

Une des familles, les Bénéteau étaient des maraichers, ils cultivaient de légumes et vendaient à la ferme aussi des poules et des lapins.

La famille Chabouni était les propriétaires de cette belle bastide. Il y avait 220 bastides sur le bassin de Séon, selon le cadastre de cette époque. Elles servaient de résidences secondaires aux bourgeois et aux nobles. 

Nous sommes arrivés aux jardins de la Lorette, 

Les arbres aussi, nous racontent des histoires des hommes !

Celui-là nous parle de la Kabylie…

Devine, devine quel est mon fruit et tu sauras qui je suis :

Je suis un fruit d’automne.

Je suis un fruit a une chair douce et molle.

Mon intérieur est très doux et sucré.

Sous ma peau, on dégustera des centaines de petites fleurs

Je suis marron ou violette.

Je suis plein de petites graines.

On peut me manger fraiche ou séchée tout l’hiver.

Je suis qui ?

Le figuier est un indice ! 

La manière dont ses figuiers étaient plantés là, avec un olivier et un petit jardin avec des fèves, on pourrait deviner, même sans connaitre les gens qui cultivent ses jardins-là, que c’est des gens qui vient de Kabylie. Ils sont une manière de faire leur jardin, une manière d’avoir volontairement planté ses arbres qui donne un indice sur leur histoire culturelle.

Denis nous décrit comment était cet endroit avant:

« Il y avait une très grande ferme qu’appartenait à la famille Beraud, elle s’étendait jusqu’à sur le Pradel (Bd. Henri Barnier). On était petits, on attendait la bonne période au mois de juin pour ramasser les poires de la St. Jean. Le propriétaire des champs avait planté des poiriers, des pommiers, des abricotiers, avant ça se passait différemment, on ramassait les poires, on montait voir le fermier et on allait lui payer. On allait aussi, tous les jours chercher le lait, on venait sur la ferme avec des bouteilles en verre, on allait voir le laitier pour avoir le litre de lait pour le matin, il vendait aussi des très bons yaourts, des poules, des lapins, des cochons, quand c’était la bonne période il vendait de la charcuterie ».

La Lorette, au départ, c’était le nom d’un autre endroit, ce nom-là, il va rester parce que ses personnes-là, ont étaient relogés, des gens qui venaient de Kabylie travailler dans les usines, dans les tuileries, et pour se loger, ils construisaient leur maison avec ce qui trouvaient, ils fabriquaient eux-mêmes leurs maisons et par solidarité ils le faisaient avec les gens qui connaissait, leurs familles et les gens du même pays. 

Tous les gens de Kabylie qui venaient travailler dans les tuileries ils s’installaient ensemble, ça faisait un quartier, un petit village et comme les maisons étaient construit avec des tuiles, du bois, de la tôle et encore des tuiles, on appelait ça un bidonville. 

A l’origine, un bidonville est un petit village construit avec des bidons, et autres matériaux, car il y avait beaucoup d’usines qu’utilisait des bidons, mais ici à St. André c’était des usines des tuiles donc on pourrait dire que « Les tuiles-villes » c’était les bidonvilles de Saint André.

La Lorette était le dernier bidonville de Marseille, qui était situé en bas de la colline, selon Denis, et qui a était rasé lors de la construction du centre commercial du Grand Littoral, avec comme conséquence la relocalisation des familles en 1995 dans ces maisons.

Denis continue « Ma tante avait un métier un peu particulier, elle fabriquait des épingles à linge en bois. C’était des femmes qui n’avaient pas de travail, qui voulaient travailler un peu à la maison, elles étaient payées à la pièce, ça leur permettait d’améliorer les finances de la maison ».

Nous avons montré à Denis le passage secret à notre terrain d’aventures, il nous a effectivement dit, qu’il ne le connaissait pas !

Le grand carnet de voyage continue à s’embellir et à recevoir beaucoup d’information, on note tout ! Et aussi, on cueille et on colle sur le carnet des belles fleurs de printemps. 

Vive le printemps !

Merci Denis !

Le 1000 pattes des enfants de Saint-André La Castellane #1

17 mars 2023

Partir à l’aventure, faire les détectives, vivre des histoires, le rêve de tout enfant…

Les enfants de l’école de St. André Barnier à La Castellane, sont partis à l’aventure à la recherche d’indices pour construire un jeu de pistes patrimonial reliant  les écoles de Saint André (Barnier, La Castellane, Condorcet). 

Si elles nomment toutes dans leur nom ce lien à Saint-André, il est aujourd’hui plus difficile à appréhender, et les enfants sont invités à devenir les explorateurs de cette portion du territoire qui composa un Saint-André plus vaste, entre la Castellane, Verduron, la Bricarde jusqu’au noyau-villageois.

Nous avons commencé l’exploration au Parc de la Jougarelle avec un bref récit sur l’histoire du château de La Castellane, qui existait avant la construction des immeubles, puis nous sommes allés faire un repérage des plantes et arbres qui existent autour du parc, des oliviers, des palmiers, des platanes et des margousiers. Une plante « La Diplotaxis » (aussi nommée fausse roquette ou fausse moutarde) a été couronnée principale protagoniste de la journée… Elle nous a par exemple appris quelque chose d’important qui reviendra tout au long de la balade : on peut avoir plusieurs noms, on peut avoir plusieurs histoires, on n’est pas forcément obligé d’en choisir une seule.

On peut par exemple se sentir à la fois habitant de la Castellane, de St André et de Marseille.

Et Saint-André peut se sentir à la fois italien, espagnol, Kabyle, provençal et marseillais…

Se repérer là où on habite, regarder au loin, comprendre comme le quartier de St. André s’est construit, ses limites instables, et ce qui sépare le haut (La Castellane) du bas (noyaux villageois de St. André) : l’autoroute, les voies ferrées.

Pendant que le groupe des CE1 part à la découverte des traces d’une branche du canal de Marseille et du rôle de l’eau dans le quartier tout en retrouvant  ainsi le chemin des écoliers qui relie l’école Saint-André La Castellane à l’ancienne école d’avant le cité, située dans le quartier de Verduron, les CP trouvent les indices du passé à la fois agricole et industriel. 

Les vestiges d’une branche du canal et de son système d’irrigation en direction des champs horticoles qui se trouvaient sur une partie de l’actuelle Castellane

Le grand champ en face de La Castellane et devant La Bricarde, témoigne d’un passé industriel avec des murs construits des pierres et des tuiles, témoignant de l’histoire de l’argile et des anciennes tuileries du secteur. Mais aussi d’une histoire agricole, et on comprends comment à l’image d’un escalier faire des terrasses permet de grimper la colline mais aussi de la cultiver ! 

Nous avons fait des récoltes botaniques : asperges, euphorbes (attention c’est du poison !), mauves, jacinthes sauvages, muscaris, faux petit-pois, pissenlits, plantains, calendules, et encore de la diplotaxis.

On s’est ensuite retrouvé et avant regardé les grosses maisons. Certaines ressemblent plus à des fermes, d’autres à des châteaux. On a maintenant plein de questions à poser à Denis, un habitant qui se rappelle bien de comment c’était quand il avait l’âge des enfants, et qui est d’accord pour venir nous raconter !

Puis, on s’est posé pour pique-niquer dans un terrain super comme terrain d’aventures. Les enfants en ont profité pour faire de l’exploration des lieux et dessiner les indices et les histoires collectées avec du charbon des arbres, brulés par un incendie de la colline l’été dernier, et des fleurs tinctoriales sur le grand carnet de voyage qui préparé par Elsa de l’association Momkin.

Après le grand rond-point et un pas très agréable passage sous l’autoroute et les voies ferrés on arrive à des bâtiments beaucoup plus anciens (on se pose alors la question de quelle est la différence entre « sale » et « anciens »). On voit bien là comment La Castellane est coupée de Saint-André́ par le tracé de l’autoroute et des axes de circulations denses, qui enclavent la cité et rendent les déplacements pédestres difficiles.

Le Rond Point du Docteur Maria comme une île entourées de voitures-requins…

Nous sommes arrivés au noyau de St. André.

La placette de la traverse Picaron est une bonne halte pour aussi observer le contraste entre l’enchevêtrement de ruelles et de maisons qui évoque plus le terroir que l’industrie, et des industries spécialisés dans le numérique comme Digitech ou Digimood, installées dans la ZAC Saumaty Séon.

Nous avons longé le petit ruisseau du Pradel, à côté de l’Epad, ce qui nous confirme que le Boulevard Barnier, c’est bien aussi le Pradel. Une route ça peut être aussi une rivière…

Le nom de la pharmacie bld Henri Barnier qui rappelle le ruisseau sous nos pieds…

A l’entrée de l’école Saint-André Condorcet un beau tableau mural cartographie le quartier permet de bien visualiser notre balade ; puis nous avons tenté la chance avec la clef trouvée par un enfant explorateur d’avoir accès à un beau jardin que nous a montré Jeanne…

Humm ça n’a pas marché mais ça nous a donné des idées !!… 

Diplotaxis, Diplotaxis, Diplotaxis,

Quand on aura retrouvé la clef On pourra rentrer !  

 Enfin, une pause à l’atelier sous le Platane avec Jeanne, pour reprendre forces et chanter tous ensemble !

Oh c’est l’eau, c’est l’eau, c’est l’eau, c’est l’eau qui m’attire…

Le 1000 Pattes à Saint André#4


RÉCIT DE LA BALADE EXPLO #4 – 23 FÉVRIER 2023 (par Claire et Emmanuelle – Photos de Jeanne et Julie)

Notre objectif du jour, c’était d’arriver jusqu’à la mer autant qu’on peut y arriver. Et on y est arrivés mais on a mis du temps à descendre, parce qu’en route on a remonté le temps avec Daniel Quero.

De chez Jeanne rue Condorcet, on est partis à la recherche de la tuilerie Martin, en se posant comme d’habitude plein de questions en route. Comme sur cette « Ecole des sœurs » au 11 boulevard Jean Labro (ancien boulevard Martin), aujourd’hui Centre de ressources et d’information municipal de St André, où « Hôtel du Nord » a d’ailleurs un bureau. Qui étaient ces sœurs et quel était leur rôle dans le quartier ?

C’est là qu’Emmanuelle Di Nola a appelé son ex beau-père Daniel Quero, qui contrairement au reste de sa famille n’a jamais travaillé à la tuilerie Martin (il a préféré le raffinage chez Total) mais a toujours vécu boulevard Grawitz dans ce « quartier d’usine », comme il le nomme, et y vit encore. Daniel nous a donc rejoint avec son trousseau de clés : celles de chez lui et celles d’autres logements attenants inoccupés dont il est propriétaire ou a la gestion. Les sœurs il s’en souvient bien : c’étaient des sœurs infirmières. Elles étaient au moins 300 à habiter près de l’école, nous dit-il : quand on est dans la « Traverse des trois sœurs », on est donc littéralement loin du compte !

Les sœurs géraient aussi la crèche boulevard Grawitz, où Daniel a galopé. Aujourd’hui le bâtiment est muré mais doit être réhabilité pour y faire des logements. Ils côtoieront ceux de l’immeuble neuf presque fini à côté, qui donne lui-même sur les jardins familiaux heureusement préservés. Muré aussi un passage qui reliait l’école à l’arrière de la crèche, car au fur et à mesure que le clergé a vendu ses terrains par morceaux, les continuités de passage ont été supprimées. Les dernières sœurs sont parties en 1965 et le lieu connut comme dernier usage celui de dojo pour le judo.

Entre crèche, patronage, Dojo, l’ancien bâtiment religieux a finalement pu être protégé et attend tranquillement sa restauration
Julie et Daniel découvrant une étrange version rocaille de l’immaculée conception

En face, aux 63, 65 et 67 boulevard Grawitz, Daniel nous fait visiter là où lui et sa famille ont grandi et habité au fil des ans. 

Deux pièces achetées 5 000 francs de l’époque pour les parents et leurs cinq enfants, mais heureusement une grande cour commune à plusieurs maisons pour se dégourdir les jambes, dite « cour des miracles ». Recommandé par un patron des mines de Carthagène, son père espagnol était arrivé en France en 1914 avec frère et mère alors qu’il avait 17 ans, sur un bateau affrété par l’industriel, pour travailler à la société minière Peñarroya de l’Estaque. Sa mère, espagnole elle aussi, avait débarqué d’Oran à 9 ans. Leur mariage sera un mariage arrangé par les grands-mères, nous dit Daniel.

Antoine et Joséphine Quero

Aujourd’hui certaines des cours ont-elles aussi été murées et séparées au fil des ventes. Daniel habite toujours au 67, seul depuis le décès de sa femme Berthe Quero qui fut notamment présidente du CIQ St Henri et de l’association « Femmes de Séon ». 

La cour Granon plus connue pour ceux et celles qui y ont joué comme Cour des Miracles

En reprenant la descente à la recherche cette fois des traces de la famille également espagnole de Jeanne, on toque à la porte du 73, la « Maison Granon » où la propriétaire cultivait les semis dans la serre de la cour et faisait pousser les champignons dans la cave.

Nous atteignons la rue Louis Lanata puis faisons une petite pause sympathique chez Emmanuelle, au rez-de-chaussée de cette ancienne maison de pêcheurs joliment réaménagée. Enfin il est temps de finir nos crêpes pour nous remettre en marche une dernière fois afin d’essayer d’atteindre notre objectif avant la nuit…

En bas de la maison habitaient les ânes, qui tiraient les filets de pêches de la côte toute proche

En suivant la traverse Martin qu’on appellait aussi la traverse « va à la mer » nous n’arriverons pas jusqu’à la mer puisqu’avec la construction du port on ne peut plus y arriver, mais nous atteindrons les « poteaux » : comprenez les deux colonnes d’entrée de l’ancienne tuilerie Martin qui trônent encore (pas très fièrement) sur le « Rond-Point France Indochine » (nous dit Google). Le voyage est donc loin d’être fini ! Reste à essayer deviner dans quel pays nous nous rendrons la prochaine fois, mais nous n’en savons rien car on le découvrira chemin faisant, comme d’habitude.

La plage, l’usine, le chemin du Littoral…

MADE IN THE RIVER#1

Made In The River est un projet de créations plastiques et de narration mené par Charlie, Chloé, Arlette et Melville autour de la rivière des Aygalades, basé sur l’imitation de la manière dont la rivière digère les matières qui tombent dans son lit. Ce projet se décline en une série d’ateliers de création de costumes et d’accessoires de déambulation carnavalesque de février à septembre.

Oubliée, malmenée, convertie en décharge aquatique.

Ainsi fait, le portrait de la rivière des Aygalades ressemble à la préfiguration d’un monde désolé et désolant.

Pourtant, jour après jour la rivière infiltre les obstacles qui parsèment son lit, allant même jusqu’à les remodeler à sa guise. Monticules d’ordures, éléments urbains en béton et matériaux composites (organiques et inorganiques) finissent par céder aux mouvements de l’eau, aux actions de la géochimie (décomposition et recomposition), aux variations de températures. L’action globale de la rivière les achemine inexorablement (si on accepte de regarder la situation à une échelle de temps géologique) vers une intégration à sa logique propre.

Métaphoriquement, la rivière peut ainsi être comparée à un gros système digestif. Un de ces systèmes digestif non compartimentés, à l’instar de celui des méduses ou des vers plats chez qui toute la digestion passe par un seul et même organe. Très classiquement somme toute, ce gros tube de 17km de long transforme mécaniquement et chimiquement les aliments qui lui échoient en nutriments assimilables ou non.

Pour cela la rivière :

broie, démembre, démantèle, dégrade

oxyde, corrompt, ronge, dissous

extrait, réassemble, refabrique

rejette les matières non absorbables

Comme tout organisme soumis à la malbouffe et à la surabondance de nutriments, la rivière connaît un risque d’indigestion. Mais elle fait aussi preuve d’une capacité d’assimilation des excès digne d’un organisme post industriel.

Une bonne partie des “aliments” que digère la rivière sont issus du processus de production industrielle contemporain. Hier, fiers représentants des capacités de production de masse, ces objets divers sont arrivés à obsolescence et ont perdu leur valeur marchande. Signe de leur désociabilisation vis-à-vis de la Capitalosphère, ces objets sont abandonnés dans un espace ayant lui aussi perdu sa valeur : la rivière des Aygalades.

Forme de revanche sur un système marchand qui ôte à la rivière toute valeur et (croit lui avoir retirer) toute capacité d’agir, la modification profonde de la matière témoigne au contraire de la vitalité persistante de l’eau. Qu’il s’agisse de digues en béton, de grilles en métal, de carcasses de voiture, de polluants chimiques ou de micro plastiques, tous finissent par être absorbés par la rivière qui les déplace, les délitent, les fond dans son lit.

Mais la vitalité ne s’exprime pas que par l’annihilation des contraintes, elle se manifeste également par la transmission de ses capacités d’agir.

En effet, les caractéristiques des produits industriels sont 1. d’être fonctionnels 2. d’être fabriqués en masse. Or, les objets ayant échoués dans la rivière pour des raisons d’obsolescence achèvent de perdre toute fonctionnalité (en tout cas telle qu’initialement conçue) par la “digestion” : leurs formes s’altèrent, leurs couleurs se ternissent, leurs textures se modifient, ils cessent de correspondre au cahier des charges qui déterminait leur raison d’être.

De plus, la corruption de la matière a pour effet d’éloigner l’objet de sa standardisation originelle : deux canettes en aluminium, similaires à l’issu du processus de fabrication, vont rouiller, se tordre, se trouer etc… chacune de manière dissemblable.

La forme standardisée et figée de l’objet évolue vers une singularité, une autonomie, qui devient signe d’une forme d’histoire personnelle complètement étrangère à la logique de production de masse.

En plus de singulariser l’objet, la détérioration de la forme industrielle vient révéler la faiblesse, la mortalité de celle-ci. La matière, pensée par les designers pour incarner la perfection, une promesse d’immortalité, témoigne soudainement de sa soumission au Temps. Cet aveu permet à l’objet industriel, parfait, et par là même étranger au monde des vivants, d’être réintégré à celui-ci.

Cette réintégration par l’aveu de faiblesse fait dès lors disparaître la barrière absolue entre l’être organique et l’être inorganique, et rend possible l’empathie, l’identification : non pas l’anthropisme mais la conscience d’appartenir à la même matérialité et d’être soumis aux mêmes règles de “fabrication”, “transformation”, “hybridation”, “dissémination”.

Réintégrer les scories de l’industrie au monde des vivants dont elles avaient été enlevées par le processus industriel permet de sortir des dichotomies (“propre/sale”, “vivant/non vivant”, “bon/mauvais” etc) afin d’au contraire renforcer la perception d’une vitalité ambiante, caractérisée par cette capacité de transformation incessante de la matière.

En enlevant le jugement moral sur les “déchets” travaillés par l’eau, nous reconnaissons la capacité d’agir de la rivière et nous pouvons nous en inspirer. Il ne s’agit pas de “sauver” une rivière passive ou uniquement victime mais de prendre modèle sur elle pour augmenter à notre tour notre vitalité. Le “prendre soin” de la rivière commence ici par une sortie de la posture dominante et coloniale du sauveur, pour humblement endosser celle de l’observateur, de l’apprenti.

Imiter la rivière dans son processus de récupération, de transformation et de revitalisation des scories industrielles nous permet de nous reconnecter à notre tour à notre capacité créatrice, démiurgique, sentir qu’il est encore possible d’agir dans le monde à partir de ce qui est présent, accessible, sans ajouter au désordre ambiant.

De même que la rivière hybride la matière en floutant la séparation entre l’organique et l’inorganique, la fabrication de costumes à partir des matériaux collectés dans la rivière ouvre une nouvelle branche d’hybridation possible : celle de la chair humaine et de la matière issue de la rivière.

En acceptant de me costumer, je joue le jeu de changer mon identité, de devenir autre et ainsi de rendre possible des perceptions, des sensations partagées avec d’autres entités. Le travail de CRÉATEUR me permet de devenir CRÉATURE.

Avez-vous ajusté vos scaphandres ?

Dimanche 5 février, Christine Breton, est venue au pied de la cascade des Aygalades, à l’occasion de la conférence Voix d’Eau qui a lieu chaque premier dimanche du mois sur une thématique reliée au ruisseau Caravelle-Aygalades.

[pour en savoir plus sur les Voix d’Eau, rendez-vous sur le site du Bureau des Guides : https://bureaudesguides-gr2013.fr/voix-d-eau/]

Historienne de l’art, conservateur du patrimoine chargée de la mission expérimentale européenne sur les 15 et 16e arrondissements de Marseille de 1995 à 2010, Christine Breton est une figure tutélaire des expériences menées par la communauté Hôtel du Nord.
Ce dimanche, elle intervenait à l’occasion des 10 ans du GR13 et faisait le rapprochement, à sa manière docte et poétique, entre la mémoire sédimentaire contenue dans les roches de tuf, et celle, plus fibreuse, des data centers qui fleurissent à l’embouchure de la rivière, formant ainsi un nouveau delta de flux.

https://reporterre.net/A-Marseille-la-demesure-des-data-centers
Sur les data center, lire https://reporterre.net/A-Marseille-la-demesure-des-data-centers

La conférence a commencé comme ceci :

Avez vous ajusté vos scaphandres ?

(DEBOUT et mimes)

Scaphandre, forme balourde de la modernité

Pou-toum, pou-toum, c’est le son de sa bande dessinée.

Scaphandre, vieux déchet re-trouvé dans le bassin du Cap Pinède

quand Nadar inventait là, juste dessous, les premières photos sous-marines.

Nadar frère de Gamar,

Gammares nom d’une crevette oubliée dans cette eau douce .

Scaphandre, appelé aussi Squoi-fendre

pour fendre

fendre l’au-tour

le tour de l’eau

Pour en faire inventaire

Pour inventer la terre

Pour y venir

sans être une re-venante ou échappée de l’Epad

Pour être en jeu

sans me taire…

Immersion donc dans le jeu de J.E., un engagement qui est préféré à un nous gnangnan et inclusif, pour le moment, dans ce lieu humide et froid.

(ASSISE et italique pour l’explicite 🙂

  • Facil ! se dit une personne assise là, si elle continue avec ces jeux de mots à la noix, je rentre à la maison…
  • Et vous auriez raison ! Alors je vous promet de faire trois pauses explicites le long de cette demi heure et puis les jeunes personnes qui m’ont invité me l’on demandé aussi !

EXPLICITE 1 :

Je vous propose ce moment comme une marche que vous faites en pensée. Je vous propose mes squoi-fendres isolants, comme une métaphore du J.E. Je vous propose de vous fendre vous-même et de fendre ce qui fait semblant d’être vrai alentour, vos vus rondes dans vos hublots et je commence par ma propre expérience.

Je vous livre les résultats de mon dispositif et je m’oblige à le faire en forme de récit. C’est le philosophe Walter Benjamin qui m’a initié à la forme du récit que je ne quitte plus depuis 2010. Le récit, cette forme orale qui danse avec l’écrit. Cette forme joyeuse liée au feu du soir, à l’éclat des étoiles et des voix.

Le récit permet la fiction et fait vivre, négocie le rapport entre le rétrospectif (mon métier de Conservateur du Patrimoine avec majuscules car c’est le titre d’une fonction publique) et le prospectif les métiers de la ville en projet ou en GPU (grand projet urbain puis de ville) que j’ai accompagné de 1995 à 2010 là dans le cadre de la mission expérimentale ville-état-Europe qui concernait la découpe mairie de secteur des 15 et 16 ème arrondissements de Marseille.

Je vous retrouverai donc à l’explicite 2 dans un autre moment du récit –

(DEBOUT et mimes)

Je suis là dans une matière. Dans mon hublot je vois. C’est presque une roche avec des bulles de vides dedans, des traces de disparitions ?

Où suis je ? Qu’est ce ?

Érosions des rochers arrondis usés en surface, j’y vois des bouteilles en plastiques déjà pétrifiées et en-dessous, en-dessus des épaisseurs de tufs, de l’eau douce fossilisée, arrêtée dans un moment du temps et… entassées jusqu’au ciel.

Je connais le mot tuf parce-que je suis historienne d’art. L’histoire religieuse m’a mise en face de ces roches végétales, de ces grottes en chapelet, de ces laures pour ermites en Provence et en Palestine.

Je re-connais la roche facile à travailler, décors intérieurs, tours de fenêtres, tours de portes, salles grotesques, collages de coquillages ramassés alentour pour faire joli et pour terrasser les peurs :

– Habiter la terre au mot à mot –

les ermites semblent l’avoir entre-pris.

Je vois aussi ailleurs, un décor coquillés mieux conservé, dans le secret nuité des tufs au « vallon, cascade, turbine, usines urbaine et grottes des Carmes » à Barjols dans le Var, comme ici les mêmes mots, le même contexte, alentour de l’eau et des pentes. Hommage à Virginie.

(Explicite ponctuel qui ne fait sourire que moi : Virginie Despentes, française féministe auteure de KINGKONG théorie que je ne peux oublier coincée dans mon squoi-fendre. )

Je suis toujours là coincée dans cette roche et derrière mon hublot ; j’appelle vite ma copine Nadine Gomez, l’inventrice du Musée Gassendi de Digne et des « refuges d’art » dans la montagne.

Gassendi, le philosophe empirique et son ambulo ergo sum (je marche donc je suis) qui fait face au cogito ergo sum (je pense donc je suis) du philosophe Descartes ; j’avais oublié que dans cette bataille du 17ème siècle gît une petite phrase du philosophe décèdè Bruno Latour, «  nous n’avons jamais été modernes » et moi non plus ici !

Bon ! Nadine arrive, elle est fille d’ouvriers de St Louis, juste au-dessus, elle a passé son enfance dans ces tufs. Fille des quartiers nord on ne la lui fait pas ! elle fait sa thèse en géologie sur ses tufs à elle et elle rigole : « tu es dans le spot international le plus célèbre, le plus visité par les géologues du monde entier ! Un musée de tufs, un site incontournable. »… Ah bon !

Et je vois par mon hublot le conservatoire de végétaux, de graines, de bacilles, de virus, d’humains et tous leurs arte-facts. Un zoo d’animaux aussi, « une brèche osseuse » dessinée en 1891 sur la carte du tout jeune Eugène Fournier. Animaux pétrifiés ensemble dans une zone humide tropicale et un fleuve énorme de 2Ma ( 2 millions d’années ) des cascades avant la mer et juste avant le mammouth laineux et la couverture de glace.

Un data center comme disent les moderne de maintenant.

Le plus grand musée de déchets vivants qui se métamorphosent, se calcifient lentement.

Des strates de régimes climatiques qui se renouvellent à terre ouverte.

Un grand livre feuilleté, bref un TRESOR commun.

Alors là, silence dans vos squoi-fendres.

J’en profite pour glisser vers l’embouchure en delta de ce fleuve côtier, millionaire, plus exactement dans ce filet d’eau douce qui est son reste, sa trace, son fossile raccorni, devenu égout.

Je débouche alors sur ce que je cherche, intuition fulgurante mise en forme.

La pensée électrique du trésor de la terre a mis en contact TUFS et TRUC moderne…

J’arrive entre les pattes de la tour de Zaha Hadid. Cette architecte en connait un rayon sur les flux croisés, les intersections choisis pour ses sites d’implantation partout où elle fut

Ici un ruisseau, un port, des bassins, une digue pour nous protégé de Pontos le dieu des flots furieux, une autoroute et sous les jupes de CMA-CGM, une flotte de bateaux portes-containers qui s’intersectionnent, en temps réel depuis la Chine.

Autant de data aquatiques, autant de données et pas le temps pour un trésor commun.

Il me faut donc atterrir pour pouvoir appeller ma copine, déjà morte, Françoise d’Eaubonne.

il me faut au moins son rire ravageur et ingérable, ses fictions féministes et écologiques.

Elle rigole aussi, c’est une manie chez mes mamies !

– sur le port un peu plus au nord, dit elle, il y a depuis 1943 l’ancienne base des sous marins, des uboot de l’armée allemande.

– oui je connais ; lui dis-je irritée ! les grottes de l’état major et ses couloirs et ses réseaux souterrains qui montent de la base jusqu’aux cités de Campagne l’Evêque et de La Viste.

– Fais pas ta gueule de phoque car là, dans la base sous-marine tu vas trouver un trésor bien plus grand qu’une flotte libanaise de containers et plus grand que tes tufs.

Là, dans ce coffre fort qui restait un déchet militaire indestructible, se rassemblent maintenant toutes les données de l’Europe.

Pas de panique, c’est l’effet péninsule ; bout d’Europe, bout de fibre !

Ce rassemblement file d’ici et revient des grands océans Indien et Atlantique via Suez et Gibraltar.

– Un flux réflexif, aller-retour donc ?

– Mieux, il y a là le plus grand musée du monde en connaissances stockées, en bout de fibre.

Vas y mets face à face le musée des tufs en haut et celui des fibres en bas ;

et voilà la nouvelle échelle de l’être là, dans ce territoire du 2023. Va falloir vous adaptez à ce rapport de temps.

  • comme quoi faire l’inventaire au pas à pas localisé, ça paye …
  • Reste à équiper ce tourisme du déchet, sourit-elle.
dessin de Dalila Ladjal, croqué sur le vif

(ASSISE )

Explicite 2 : Derrière mon hublot, je dois vous rassurer.

Il n’y a pas de coquetterie de ma part dans ce récit. J’ai juste trouvé la bonne échelle, c’est à dire trouvé le plaisir de déployer mon âme, mes mots, mon corps de poussières d’étoiles dans ma ville bien aimée, ramener le tout vers vous et je sais que c’est juste ! Jubilant n’est ce pas ?

  • Plaisir de vous montrer ces deux musées monstres de tufs et de fibres reliés par le fleuve côtier Caravelle, la bien nommée, celle qui joint les Europes et les Amériques au 15ème siècle. La Caravelle des quartiers laissés au ban, celle du trésor du dragon colonial.

– Plaisir de vous dessiner ce contexte, ces tapis de temps plus ou moins troués, accumulés par strates pour votre anniversaire, mes amis du GR2013 !

Que vous soyez Gammares, GR2013, Hotel du Nord, marcheuses ou habitants là, il y a 10 ans vous avez été situés.es . Quand Marseille fut capitale européenne de la culture vous fûtes la Balise Omega des possibles et vous l’êtes encore en 2023. Cette balise Omega qui marque en mer l’entrée du Rhône.

  • Plaisir de vous offrir ce cadeau comme vous continuez d’en offrir depuis 2000 aux marcheuses et marcheurs à l’issue des balades patrimoniales dans les 15 et 16èmes arrondissements de Marseille. Continuer de restaurer le don.
  • Plaisir de la générosité de l’hospitalité apprise ici depuis 1995 ; « nous avons tout, besoin de rien » et certainement pas besoin de lieux et de catégories pour habiter ici.
  • Bref, plaisir de raconter le renversement du temps qui ne laisse plus dos à dos en ennemis les métiers du rétrospectif et du pros-prospectif (c’est l’histoire du fémur de César qu’il ne faut surtout pas trouver disait le précédent maire car il arrêterait les projet des aménageurs).

11H30 MI_TEMPS du récit DEBOUT

Pause tisane, je peux et nous pouvons enlever les squoi-fendres, vous avez remarqué que nous sommes arrivés dans un NOUS respirable.

Comme nous le savons, grâce à la vie des communautés patrimoniales générées dans les quartiers sur la base : « pas de patrimoine, c’est à dire pas de communs, sans communautés », pour faire un nous il convient de l’engendrer et de l’incarner. Un peu plus abstrait mais nécessaire de passer par là.

Bien, ça c’est facile, ça fait 2023 ans de christianisme que ça dure ! Je reconnais ces restes emprisonnés dans ma spirale Adn avec Néandertal. C’est pareil pour vous aussi à re-chercher, re-trouver donc. Je vous y abandonne pour passer maintenant au récit économique décalé. Car voilà que sonne l’heure du phoque.

Le phoque représenté sur les monnaies de Foça, (prononcez Photcha).

Foça la ville d’Asie, en Turquie aujourd’hui.

Phokaia la ville éponyme de phoque, la ville-port colonisée par les perses au moment du départ de ces phocéens, marins rêveurs et déesse en partance vers leur future colonie ici, Marseille.

Marseille, sa monnaie, donc son portrait, circulant partout de mains en mains, sa monnaie est celle de Foça : le phoque.

(EXPLICITE 3 / ASSISE)

_ Comment va t elle faire avec le nous ici ? Impossible chemin pour trouver des ailleurs ?

– Vous avez raison sauf à passer par un autre passé encore plus vieux que nos 2023 ans de christianisme. Dans l’histoire coloniale ici vieille de 2700 ans ( pas la petite république coloniale française de 270 ans ) nous avons eu la chance d’engendrer un père, dans ce quartier. Un ancêtre étranger.

Un père que nous avons cherché, reconnu, « engendré, non pas créé «  comme dit le credo catholique car c’est un processus vital que ce père là, un envers de généalogie morte. Il dessine notre méthode.

Le long du fleuve côtier, celui-ci, roule la rue de Lyon et sur cette rue marche Walter Benjamin.

Il vient de Paris il est à l’hôtel du midi là bas et ici il loge à l’hôtel de Paris et toujours dans son lit il y a Ernst Bloch. Depuis la Suisse ils partagent le même lit, la même quête philosophique, ils n’ont pas un sou et trafiquent un peu les lits et le poker pour Walter Benjamin, surtout ils partagent leurs vies avec des femmes et celles-ci sont artistes, créatrices ou traductrices des premières revues féministes et féminines ( Uhu des années 20 s’invente et marie-claire, elle, etc, suivent…) .

En septembre 1926 ils sont à Marseille car Walter Benjamin y a vécu l’heure du phoque et il a eu peur ! Il y entraine Kracauer et Bloch et tous les trois renouvellent le dispositif et expérimentent la même situation et ils ont eu peur !

Peur quand ils ont vu le temps se décomposer, ruine totale de la ville première, ses déchets servant à recomposer des mentir-vrai de continuité. Pour que vous entendiez bien la peur et la force de l’expérience marseillaise sachez que

-Bloch en a écrit un mini récit, « l’angoisse de l’ingénieur ».

– Kracauer en a écrit son roman autobiographique, « Genet ».

– Walter Benjamin en a écrit, systématiquement géographiques, 10 « images de pensée », fulgurantes, dont on perd les traces dans différentes revues et journaux. Il nous a transmis la Marseille d’ici et nous n’avons pas fini de comprendre les double fonds de ces 10 images dialectiques.

  • Dénoncé pas à pas le vieux port, la bassine d’eau puante, la gueule du phoque entartrée dévorant les corps ouvriers.
  • Dénoncé le quartiers de la prostitution exploitant tous les corps dans les restes aristocratiques des palais clos, déchets de ce que fut le corps de la ville.
  • Dénoncé la balafre qui va d’un port à l’autre en y installant le corps du vieil homme déchu qui vend sa bibliothèque, sa ville historique perdue.
  • Dénoncé la cathédrale désorientée, tournée au nord, devenue gare de religions, le long des bassins de la modernité.
  • Dénoncé en marchant vers le nord les industries émergeant « des nappes de brouillards dans des couloirs puants » et “des perrons asthmatiques » qui » poussent les puissantes collines » et le paysage provençal.

– et il a marché encore plus au nord jusqu’à l’arène d’Aix en Provence pour plonger le jeune homme dans le sang du taureau.

Walter Benjamin dessine exactement notre nous, notre première carte urbaine.

Il est exactement notre père, celui qui nous enseigne l’histoire à rebrousse poils, celui par qui nous effaçons nos traces.

Et voici mon adresse en forme de gâteau d’un anniversaire aquatique :

Voilà chères crevettes du fleuve côtier Caravelle quelques métamorphoses auxquelles j’ai assisté, auxquelles j’ai participé avant que vous n’existiez et que vous continuez d’engendrer y compris en vous appelant gammares du Caravelle ou bien marcheurs, marcheuses du GR2013 ou dormeuses, dormeurs de Hotel du Nord.

Vous aussi vous fabriquez des ailleurs jamais vu des crevettes qui marchent ! De belles mutantes !

Depuis l’an 2013 qui vous a rendues célèbres vous, marcheurs et marcheuses ou dormeuses du GR2013, Hôtel du Nord vous ne cessez de tourner le brouet dans des chaudrons de sorcières.

Vous voici vous qui marchez, dormez ou vous qui êtes là aujourd’hui, vous aussi êtes entré.es dans l’anniversaire.

Depuis 10 ans vous n’avez cesser de partager ou accompagner des marches dans cette immense oeil de cyclone-cyclope, ce géant qui vit là dans la grotte au dessus de vous et qui va se réveiller un jour. Vous le savez.

Je vous souhaite un bel anniversaire de 10 ANS. Parlez, riez, racontez, chantez encore votre nous.

Et surtout invitez, inventez des ailleurs comme le bassin versant de la rivière Doux.

Tirez lui le Tarot car voilà un bassin ardéchois qui veut connaitre son avenir.

Depuis 30 ans, depuis le Centre d’Initiative Rurale généré par des paysans riverains, le processus intégré au territoire continue de se décliner dans une association Terroir, une filière bois, un espace naturel sensible, des Nymphes, un Dragon, des non-humains et même des journées européennes du patrimoine.

C’est un début d’inventaire au bord du Doux et de ses affluents, ses bois, ses eaux.

Tirez le portrait des écrevisses à pattes blanches qui déjà disparaissent comme vous mes chères Gammares, crevettes débris de vie devenues marqueuses du vivant.

Youpee !”

Christine Breton

Février 2023.

L’hospitalité chez l’habitant, au nord de Marseille, 12 ans déjà.

En 2009, des habitants des quartiers nord de Marseille ont décidé de se lancer dans la création d’une offre d’hospitalité marchande au nord de Marseille avec comme objectif d’être 50 hôtes proposant 50 itinéraires et 50 chambres chez l’habitant en 2013. Un processus coopératif pour raconter Marseille par son nord, générer de l’économie et offrir l’hospitalité aux personnes de passage.

En 2022, nous avons remis en débat ce choix après douze années d’exercice de l’hospitalité et avec celles et ceux qui nous ont rejoint. Début 2023, nous avons décidé de poursuivre cet engagement avec toutes celles et ceux qui voudraient nous rejoindre et qui peut être comme nous, en 2010, ne connaissent rien à ce sujet.

Balade patrimoniale avec des étudiants en tourisme de l’IREST, chez Agnès, 2022.

Le premier atelier de l’école des hôtes des membres de la future coopérative d’habitants Hôtel du Nord a eu lieu en juin 2010 et a été la visite « en vrai » d’une chambre d’hôtes. Si nous savions accueillir, personne n’était un professionnel du tourisme.  A une dizaine de personnes, nous sommes allés rencontrer la gérante d’une chambre d’hôtes à la Sainte-Baume pour échanger avec elle sur son exercice « professionnel » de l’hospitalité touristique à temps plein.

Elle nous a invité à visiter ses cinq chambres et elle nous a raconté sa journée type : elle commence à 5 h 30 pour se terminer au mieux à 19 h et consiste essentiellement à faire le ménage, les petits déjeuners et à se rendre disponible à certains horaires pour répondre aux demandes de ses clients, sans oublier la partie administrative avec la collecte de la taxe de séjour et la gestion des réservations et facturations.

Cette hospitalité marchande s’est avérée très, voir trop, « professionnelle » pour les personnes présentes et assez éloignée des offres d’hospitalité qui émergeaient dans les quartiers nord de Marseille avec de l’accueil en habitat social, dans les chambres d’amis, dans des cabanons en fond de jardin, des cabines de voilier et des lieux associatifs.

Rencontre hôtes hébergeurs chez Michèle, 2022

Les offres d’hospitalité à Hôtel du Nord sont chez des habitants qui ne proposent généralement qu’une seule chambre, rarement deux, voir trois maximum. Ces chambres sont situées dans des appartements, des maisonnettes, des fermes, des bateaux ou des bastides.

Nos passagers sont des aidants ou stagiaires de l’hôpital Nord, les proches de nos voisins, des familles en vacances, des salariés de la zone franche, des mises à l’abri, des jeunes en service civique, des artistes en résidence, des randonneurs du GR2013, …

Rencontre des hôtes avec l’Office du tourisme, Cap au Nord entreprendre et Génération voyageur,chez Marie, 2022.

L’accueil est adapté aux situations rencontrées que ce soit en terme de tarification et d’accueil. Les passagers sont parfois surpris qu’un hôte les oriente vers un autre hôte de la coopérative, plus en phase avec sa demande. Nous sommes une communauté d’hospitalité et l’accueil se pense collectivement. Une personne de passage peut être hébergée chez un hôte, partir en balade avec des autres, lire l’ouvrage d’un troisième et manger la production d’une quatrième personne membre de la coopérative.

Depuis l’ouverture pilote en septembre 2010 de cinq premières chambres chez l’habitant pour les journées européennes du patrimoine, une cinquantaine de personnes habitants les quartiers nord de Marseille a ouvert leur habitation sous forme de chambre d’hôtes, de gîte urbain, d’accueil associatif, de résidence artistique ou dans un voilier.

Rendu de thèse en sociologie sur tourisme et hospitalité aux hôtes, chez Fati, 2022

La moitié de ces hôtes a cessé depuis d’accueillir parce qu’ils ont déménagé, ils logent à nouveau des proches, ils ne souhaitent plus accueillir, et plus rarement parce que nous avons été en désaccord sur l’hospitalité. Des personnes n’ont pas pu proposer un accueil marchand chez elles car la Loi sur l’habitat social leur interdit. Après dix années d’engagement à ce sujet, nous n’avons toujours pas réussi à faire aboutir notre proposition d’expérimentation législative à ce sujet.

Début 2023, une vingtaine d’hospitalités chez l’habitant sont proposées, dont cinq nouvelles ouvertes en 2022. Une douzaine de ces hébergements ont été actifs en 2022, c’est à dire qu’ils ont accueillis plus de dix nuitées en 2022. Les autres ont servi à héberger des proches ou été loué sur la longue durée.

Réunion mensuelle d’Hôtel du Nord, Chez Bruno et Élodie, nouveaux hôtes hébergeurs, 2022

La coopérative promeut ses hospitalités via son site internet, sa nouvelle plateforme coopérative nationale Les oiseaux de passage et des partenariats avec le Guide du Routard, l’Hôpital Nord, l’Office du tourisme de Marseille, la plateforme FairBnB, des agences de voyage et les médias.

Ses actions collectives ont permis de générer 23.000 euros de recettes pour les hébergeurs en 2022, soit autours de 2.000 euros par hébergement actif. En 2013, l’action coopérative avait généré 40.000 euros de recettes pour les hôtes et en 2019, 37.000 euros avec une vingtaine d’hébergements actifs.

Balade patrimoniale sur le tourisme à Marseille, hôtel de Préfecture, 2022

Des hôtes louent essentiellement via Hôtel du Nord alors que d’autre hôtes accueillent majoritairement via d’autres plateforme de location courte durée ou d’échange de maisons. L’hospitalité reste une activité complémentaire et la plupart des hôtes sont aussi des auteurs, des producteurs locaux, des artistes, des marcheurs, des militants, … qui participent à fabriquer et partager leurs récits et ceux de leurs quartiers.

Au delà de la vente de nuitées, les hôtes ont commercialisé pour 5.000 euros de produits de la coopérative comme le miel du Vallon des Mayans, les savons de la Savonnerie du Midi, les thés de SCOP Ti, les cartes postales de Stéphanie Nava et une quinzaine d’ouvrages, dont deux publiés cette année. Ils ont pu partager avec leurs passagers leurs récits et les inviter à partir en balade ou à participer aux événements comme un dimanche aux Aygalades.

Nouvelles plaques pour l’extérieur pour les hôtes hébergeurs, 2022.

2022 a été aussi l’occasion de coopérer à nouveau avec l’office du tourisme, d’actualiser nos pages sur le guide du Routard Marseille, d’imprimer des plaques pour poser sur nos hébergements et de tester à Marseille notre plateforme coopérative Les oiseaux de passage et celle de notre partenaire FairBnB. Quatre hôtes actifs sur cinq ont vendus des nuitées grâce aux Oiseaux de passage et FairBnB a reversé pour la première fois un don collecté via sa plateforme à la coopérative.

2022 a été aussi la confirmation de la place grandissante de la location touristique courte durée comme AirBnB en centre ville comme dans les quartiers nord, en particulier à l’Estaque. Une activité que la coopérative souhaite mieux documenter. Une première balade patrimoniale a été réalisée en en centre ville sur “ce que le tourisme fait à Marseille et ce que Marseille fait du tourisme“.

Réunion de rentrée d’Hôtel du Nord, chez Vincent, 2023

Pour l’année 2023, des membres de la coopérative souhaitent être plus actifs sur l’hospitalité pour accueillir d’avantage de passagers, ouvrir de nouveaux lieux d’hospitalité, en particulier autours de l’Hôpital Nord, et participer plus activement aux choix de politique touristique de la ville de Marseille maintenant que la ville a récupéré la compétence tourisme.

Des ordres touristiques

Texte de présentation de la thèse « Tourisme social, économie collaborative et droits culturels : ethnographie d’une coopération complexe » en Doctorat Lettres et Sciences Humaines, label Européen, soutenue le 30 novembre 2022 à l’Université de Nanterre par Prosper Wanner, salarié doctorant au sein de la SCIC Les oiseaux de passage, sous la direction de la sociologue Saskia Cousin.

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les membres du jury, Merci tout d’abord pour l’attention que vous avez porté à ma recherche et pour votre présence ce matin. Merci à ma directrice de thèse, à mon comité de thèse, aux collègues universitaires et à mon tuteur qui m’ont accompagné, aux hôtes et aux professionnels du tourisme qui m’ont accordé du temps, aux contribuables qui ont financé ma thèse et à mes proches qui m’ont soutenu. La thèse que j’ai le plaisir de soutenir aujourd’hui devant vous a été réalisée dans le cadre d’une convention industrielle de formation par la recherche au sein de la coopérative Les oiseaux de passage et sous la direction de Saskia Cousin à l’université de Paris Nanterre. Son titre « Tourisme social, économie collaborative et droits culturels : ethnographie d’une coopération complexe » résume à lui seul l’objet initial de cette thèse : observer, documenter et analyser le développement d’une plateforme internet d’hospitalité Les oiseaux de passage par des personnes promouvant le tourisme social et les droits culturels. Avec le recul, l’objet central de cette thèse pourrait se résumer à savoir si les cadrages du dispositif touristique n’amèneraient pas à ignorer la part de poésie d’une relation d’hospitalité, c’est à dire sa part incalculable, sensible, humaine, singulière et imprévisible. Mon hypothèse est que le dispositif touristique ignore de plus en plus cette part incalculable parce qu’il s’inscrit dans un ordre du monde où la liberté de circulation est indexée sur la capacité à consommer des personnes.

Je m’intéresse au dispositif touristique depuis 2009, lorsqu’avec des personnes des quartiers nord de Marseille nous avons décidé de proposer l’hospitalité marchande chez l’habitant aux personnes de passage. A priori, cela paraissait simple. Pour ouvrir une chambre d’hôte, il suffisait d’une simple déclaration en mairie et de s’inscrire sur une plateforme touristique pour accueillir chez soi des personnes de passage et générer de l’économie. Ces deux conditions se sont avérées bien insuffisantes. Dans les faits, pour exercer cette activité et espérer en tirer un revenu, il faut noter ses hôtes et se faire noter, collecter la taxe de séjour, conserver les fiches de police six mois, confirmer des réservations sans pouvoir dialoguer au préalable, pratiquer une tarification dynamique, s’équiper sans cesse, verser des commissions à des intermédiaires, se conformer aux standards du confort touristique et accepter d’être en compétition avec les autres personnes du quartier qui accueillent.  Pour garder une part de poésie dans cette relation d’hospitalité, c’est à dire d’humanité et de singulier, il nous a fallu ruser, faire jurisprudence, se résigner, se tenir à l’écart et inventer sans cesse. Je le raconte dans cette thèse et c’est ce qui m’a amené à chercher à comprendre l’écart entre les discours sur le tourisme et ses conditions d’exercice. Et ce alors que les discours institutionnels sur le tourisme portés depuis plus de cinquante ans au niveau des Nations Unies vantent le tourisme comme un facteur d’humanité, de dialogue interculturel et de paix.

Les oiseaux de passage est une plateforme numérique qui permet à des personnes sur un même lieu de partager leurs hospitalités et leurs récits. Ce sont à titre d’exemple des accueils paysans, des auberges de jeunesse, des territoires en transition, des parcs naturels régionaux et des associations d’écotourisme. Le premier design de la plateforme Les oiseaux de passage s’ouvrait sur un poème de Pablo Neruda dont les lettres arrivaient comme des oiseaux puis s’envolaient en nuées. Le slogan était « d’humain à humains », pour affirmer la part d’humanité du voyage, loin du C to C, de consommateur à consommateur. Le projet convergeait plutôt bien avec les discours et valeurs de l’organisation mondiale du tourisme. Deux ans après, en 2019, pour la première version mise en ligne, la poésie volante avait disparu et plus d’un million de lignes de code servaient à calculer, cadrer et automatiser la mise en relation des personnes de passage avec celles qui accueillent. Au fur et à mesure des développements, les modes de calcul de la plateforme se sont alignés sur ceux du dispositif touristique pour être interopérables avec ses moteurs de recherche, ses systèmes de paiement et notation, ses standards, ses gestionnaires de réservation et ses comparateurs. J’ai pu observer et participer à ce passage d’une intention dite « d’humain à humains » vers sa traduction en un outil de calcul numérique où la poésie avait disparu. J’en ai été pleinement partie prenante.

Le sujet de ma thèse est d’analyser ce que le dispositif touristique fait et fait faire, c’est à dire ses algorithmes, ses logiques tarifaires, ses standards, sa fiscalité, sa législation, ses discours et l’ensemble des techniques d’intermédiation touristiques qui interviennent une relation touristique. Contrairement aux travaux universitaires existants en sciences humaines, je ne me suis pas intéressé au tourisme comme un art de voyager, une pratique culturelle, une industrie ou un loisir, mais comme le dispositif qui permet leur exercice. J’ai pu constater comme d’autres chercheurs avant moi le peu de porosité entre les travaux en sciences humaines qui s’intéressent à l’hospitalité, l’accueil du chez soi, et celles en sciences de gestion qui s’intéressent à l’hospitality, terme anglais qui désigne le secteur touristique.

Pour analyser ce dispositif touristique, je me suis appuyé sur la sociologie des agencements marchands de Michel Callon. Il propose d’analyser comment des personnes s’agencent entre elles, et avec quels outils de calcul, pour faire aboutir collectivement une transaction marchande. Par exemple, comment calculent et agissent collectivement sur une même destination un office du tourisme, un hôtelier, une plateforme de réservation en ligne et un aéroport, alors qu’ils ont des intérêts différents, parfois conflictuels. Il s’agit d’analyser comment des personnes différentes, qui ne se connaissent pas forcément, agissent collectivement, chacun y trouvant son compte. Michel Callon propose d’analyser les agencements marchands à travers cinq cadrages interdépendants qui sont, de manière très synthétique, la transformation d’une offre en marchandise, sa qualification, l’organisation de sa rencontre puis de son attachement avec un acquéreur pour conclure sur la fixation du tarif. Plusieurs de ses exemples en sociologie des agencements marchands sont empruntés au dispositif touristique. Michel Callon invite à analyser les cinq cadrages, notamment lorsque qu’ils débordent du cadre et que leurs modes de calculs sont recadrés. Pour cela il propose de suivre les entités depuis leur conception jusqu’à leur vente. J’ai réalisé plusieurs biographies d’activités devenues touristiques comme le menu touristique, le mini train, les visites guidées. J’ai observé puis fait la biographie d’un clapier de ferme qui va devenir un gîte touristique et dont la qualification puis sa commercialisation et son exploitation vont nécessiter des transformations physiques, juridiques, fiscales et commerciales. Ces cadrages successifs vont susciter des débordements révélateurs de ce que fait et fait faire le dispositif touristique aux personnes qui accueillent, parfois avec une certaine violence.

J’ai ajouté à cette grille d’analyse l’approche pharmacologique des techniques proposées par Bernard Stiegler. Il considère qu’une technique peut être à la fois un poison et un remède, ce qui est particulièrement vrai pour le tourisme, mais aussi et surtout qu’un un bouc-émissaire peut être parfois désigné quand la technique est mal gérée. J’ai pu le constater et l’analyser dans le cas du tourisme de masse à Venise. J’ai complété cette grille d’observation par l’approche des agencements polyphoniques proposés par Anna Tsing. Ces agencements arrivent lorsque des personnes s’agencent non pas de manières calculées, mais imprévisibles avec d’autres personnes hors cadre, dans ce qu’elle appelle un événement. J’ai pu observer que ces événements étaient parfois inhérents aux modes d’hospitalité présents sur Les oiseaux de passage comme à Hôtel du Nord. À travers ces grilles d’analyse, je me suis intéressé à ce que le dispositif touristique fait et fait faire aux personnes, aux intérêts spécifiques de chacune des personnes – intermédiaires, professionnels, institutions et touristes – et aux cadrages qu’ils instaurent entre eux pour agir collectivement et répondre aux débordements. Le code du tourisme, par exemple, répond à la fois au souci du touriste de voyager confortablement grâce au système de classement, au souci d’une collectivité de pouvoir financer son marketing territorial en instaurant une taxe de séjour, au souci d’un hôtelier d’augmenter sa rentabilité via sa montée en gamme et au souci d’un intermédiaire d’avoir l’exclusivité de la relation grâce à son immatriculation comme agence de voyage.Pour analyser les cinq cadrages et leurs modes de calcul, je me suis appuyé sur les travaux de l’anthropologue Jeanne Guyer sur la manière dont on nomme les choses, puis on les ordonne pour enfin les calculer. Par exemple, un hébergement est nommé comme touristique à partir de l’analyse de 240 critères de confort permettant de lui attribuer un score sur 700 points et un nombre d’étoiles. In fine c’est son niveau de confort moderne qui permet de qualifier et nommer un hébergement comme touristique, loin des discours humaniste de l’Organisation mondiale du tourisme. Je me suis particulièrement intéressé à ce que ces modes de calcul prennent en compte comme données, aux données qu’ils choisissent d’externaliser comme par exemple les conditions de travail, aux données qu’ils négligent parce qu’elles sont incalculables comme les données dites sensibles et enfin aux données qu’ils ignorent de par leur caractère imprévisible.

La construction d’une plateforme numérique de voyage a été particulièrement instructive sur l’usage des données. Une centaine de communautés d’hospitalité ont fait remonter du terrain leurs pratiques d’hospitalité et leurs données. J’ai pu compléter ces observations au sein de la coopérative Les oiseaux de passage par d’autres observations participatives dans trois autres milieux professionnels où je suis impliqué par ailleurs. Le premier à Marseille, où j’accompagne depuis douze ans en qualité de gérant d’Hôtel du Nord des hébergeurs, des producteurs, des artistes et des guides urbains dans la commercialisation de leur activité dans le cadre du dispositif touristique. J’ai proposé le concept de « communauté d’hospitalité » pour nommer cette organisation collective et démocratique de l’hospitalité qui peut être à la fois marchande, non marchande et non monétaire. Par exemple avec un hôte qui accueille chez lui, une autre personne qui accompagne à la visite du quartier et une troisième qui propose une carte sensible du quartier. Ensuite à Venise, où j’ai travaillé pour la ville et habité, je documente en particulier depuis 2018 l’instauration d’une taxe d’entrée dans la ville qui suscite de nombreux débats et questionnements tant pratiques que politiques. J’ai pu observer sur place les cent premiers jours du confinement et l’arrêt complet du dispositif touristique. Venise me permet d’observer plus particulièrement le point de vue institutionnel. Enfin à l’échelle européenne, j’anime depuis 2013 pour le Conseil de l’Europe le réseau de la Convention de Faro qui réunit une trentaine d’initiatives sur le droit au patrimoine culturel. Plus de la moitié de ces initiatives ont à faire avec le dispositif touristique, de manière subie ou désirée. Je peux observer ce que le dispositif touristique suscite comme débordements et recadrages dans des contextes très différents au sein des 47 États membres.

J’ai pu ainsi multiplier les contextes d’observation et les postures d’observation participative, comme gérant, consultant, militant et habitant. J’ai complété ces observations par des lectures scientifiques et des recherches dans les archives d’acteurs du tourisme, en particulier celles du Touring-club de France, cet acteur majeur dans la construction du dispositif touristique. J’ai choisi d’observer le tourisme dit industriel en suivant des formations en location courte durée et en suivant un couple de gestionnaires d’une quinzaine d’appartements touristiques à Venise. Je suis devenu Genius plus niveau deux sur la plateforme Booking.com et niveau Platinium chez Air France. J’ai complété ces observations participatives par des entretiens ciblés avec des professionnels du tourisme comme l’ancien responsable des statistiques au ministère du tourisme et des consultants en tourisme. J’ai élargi mes observations et analyses à des organisations d’hospitalité non touristiques comme les foyers de jeunes travailleurs et les associations d’aide aux réfugiés. Pour mener à bien mon analyse j’ai proposé cinq nouveaux concepts sur lesquels je vais revenir : la chambre blanche, l’homo turisticus, l’interface, la communauté d’hospitalité et l’ordre touristique.

Mon premier constat porte sur le cadrage de l’accueil touristique, c’est à dire des hébergements, activités, menus et transports qualifiés de touristiques. J’ai pu observer que le dispositif touristique ignore ce qu’ils proposent de commun, de contributif, de sobre, de mixité et de promiscuité avec le vivant. Ces données sont ignorées. A contrario, ce qui compte et est compté par le dispositif touristique est le confort moderne, c’est à dire le privatif, le serviable, l’hygiénique et l’équipement moderne. J’ai proposé le concept de chambre blanche pour symboliser ce cadrage central au dispositif touristique. La chambre blanche a été exposée pour la première fois en 1900 à l’exposition universelle par le Touring-club de France comme le modèle de ce que devait être l’accueil touristique. Elle est aujourd’hui présente dans l’ensemble du dispositif touristique que ce soit par exemple dans les 240 critères d’Atout France pour classer les hébergements touristiques ou les 100 items de Booking.com pour trier les offres. Il suffit d’ouvrir un site de réservation touristique pour voir l’omniprésence de la chambre blanche. Ce modèle centenaire est néanmoins de plus en plus source de préoccupation au niveau écologique et social avec la montée en gamme continue qu’il fait faire.

Le second constat porte sur les nombreuses personnes de passage qu’accueillent les personnes présentes sur Les oiseaux de passage et qui ne comptent pas comme touristes. Ce sont les travailleurs saisonniers, les stagiaires, les aidants, les mises à l’abri, les étudiants ou encore les accueils non monétaires. Ils ne sont pas pris en compte par le dispositif touristique au double sens du terme et relèvent parfois d’autres dispositifs d’accueil. La catégorie touriste a été adoptée pour la première fois au niveau statistique après la crise de 1929 puis à l’échelle internationale par l’ONU en 1963. Cette définition a été reprise ensuite pour les visas, les comptes satellites du tourisme, le ciblage marketing, le code du tourisme, les algorithmes prescriptifs et les logiques tarifaires. J’ai proposé le concept d’homo turisticus afin de désigner cette personne de passage bénéficiaire du dispositif touristique, celle qui est accueillie, ciblée, taxée, assurée, profilée et comptée dans le cadre du dispositif touristique. C’est aussi celle qui est désirée, attendue et accueillie confortablement. Je pose l’hypothèse que l’une des spécificités du dispositif touristique est d’avoir créé une nouvelle catégorie statistique, fiscale, légale, algorithmique et commerciale de voyageurs, basée sur sa capacité à consommer, c’est à dire son panier moyen. Ce cadrage lui aussi centenaire, est source de préoccupation sociale et économique, avec la montée de l’anti tourisme face aux difficultés d’accès au logement des habitants comme des autres voyageurs.

Le troisième constat porte sur les intermédiaires touristiques qui mettent en relation des personnes de passage et celles qui accueillent, notamment via internet. Une part importante des données concernant les personnes présentes sur Les oiseaux de passage ne sont pas prises en compte par ces intermédiaires. L’informatisation du tourisme a été réalisée avec succès dès l’après guerre par les compagnies aériennes pour créer des systèmes de réservation centralisée, des systèmes de distribution globalisée et gérer leurs fichiers clients. Ce qui fait dire à des universitaires que le tourisme a été le porte-drapeau de l’économie numérique. De manière générale, 80% des données numériques ne sont pas calculées par les algorithmes car elles sont dites non structurées. En tourisme, seules sont retenues les données qui servent aux comparateurs. Une offre touristique est calculée, triée, classée, qualifiée et prescrite par rapport à sa note de confort, sa géolocalisation et son tarif. Les données ignorées sont celles qui permettent de se singulariser et de se raconter. L’extrait d’un livre d’or, le dessin d’un lieu, un remerciement manuscrit, la voix d’un hôte, une langue locale ou une création artistique n’ont pas la place dans un comparateur car elles empêchent le calcul et rendent singulière chacune des offres d’hospitalité. J’ai proposé le concept d’interface pour nommer ces intermédiaires qui au delà de la gestion de la relation ont aussi un rôle de régulation et de traduction. Cette intermédiation touristique n’est pas sans créer des sujets de préoccupation au niveau écologique, fiscal et des libertés individuelles.

livre d’or Micèle Rauzier, Hôtel du Nord.

Mon hypothèse plus générale, est que ces calculs du dispositif touristique qui visent à rendre comparable et prévisible l’accueil, les personnes de passage et leur relation nous empêchent doublement de raisonner, c’est à dire d’entrer en résonance avec le monde au sens du sociologue Rosa Hartmunt et de faire appel à notre raison au sens de Bernard Stiegler. C’est pour reprendre des termes de Michel Callon, une relation sans relation. J’ai proposé pour conclure un nouveau concept « d’ordre touristique » afin de nommer ce que j’ai observé et analysé, c’est-à-dire ce qui met en ordre au sens de hiérarchise, donne des ordres au sens de « fait faire » et fait rentrer dans un ordre. Pour reprendre un concept proposé par Bruno Latour, le dispositif touristique est comme une boite noire, une science déjà faite qui n’est plus discutée et discutable. Si cet ordre des choses est de plus en plus une source de préoccupation pour la société, pour autant, seul ses effets sont discutés. Les touristes sont pointés du doigt comme responsables de ses effets négatifs car ils seraient trop nombreux, trop concentrés au même endroit, pas assez responsables et trop peu dépensiers. Les propositions sont de fixer des quotas, de les taxer ou de mieux les responsabiliser. Ce sont des bouc-émissaires commodes dont parle Bernard Stiegler qui amènent à s’intéresser aux seuls effets du dispositif touristique sans en questionner les causes, c’est à dire l’ordre touristique.

Ma thèse est que l’ordre touristique ne peut pas se résumer à un effet collatéral des progrès en terme de mobilité ou de l’élargissement des droits aux congés payés. Il est en soi un ordre du monde. J’ai repris le terme d’ordre touristique dans un des derniers discours de l’organisation mondiale du tourisme qui parle aussi du droit des touristes. Le touriste est devenu l’ayant droit à la mobilité de par son panier moyen. L’instauration d’un droit d’entrée à Venise couplée à un système de surveillance, le « grande fratello », au nom du tourisme durable, est le symbole de cet ordre touristique mondial qui trouve sa légitimation dans le discours touristique. Cet ordre n’est pas nouveau et existe depuis l’instauration des visas tourisme. Ce qui change est que cet ordre touristique s’inscrit maintenant dans un contexte où un milliard de personnes vont selon l’ONU être amenées à migrer de manière contrainte ou choisie à cause du changement climatique. Un rapport onusien sur les droits de l’homme publié en 2019 alerte sur le risque d’un « apartheid du climat ». L’ordre touristique porte en lui le risque de cet apartheid du climat. Le tourisme se révèle de mon point de vue, après plusieurs années d’observation participative, un angle d’analyse de la société particulièrement intéressant, et à mon avis trop négligé, notamment sur la capacité à être précurseur ou à l’avant garde comme pour le e-commerce. Il anticipe ce que pourrait être l’avenir du droit à la mobilité dans un monde bouleversé par le changement climatique.

Pour conclure, cet ordre touristique invite à lire le monde en deux dimensions, sans sa part d’incalculable. En choisissant l’approche ethnographique, j’ai justement essayé de sortir d’une lecture trop carrée et cadrée du réel. Je suis ingénieur de formation, cartésien, et j’ai pu constater dans mes engagements coopératifs la difficulté à penser ainsi la réalité en deux dimensions pour mener à bien des projets collectifs. Dans la sociologie des agencements marchands de Michel Callon, qui est lui même ingénieur, j’ai retrouvé cette logique et la limite de penser en deux dimensions. Il fait souvent référence au terrain de rugby, à la notion de cadrage tout comme Bruno Latour avec la table de calcul. C’est ce qui m’a amené à dialoguer aussi avec notamment Rosa Hartmunt et Anna Tsing pour à mon tour ne pas ignorer la part d’incalculable et d’incalculé. Plutôt que d’innover, au sens de renouveler l’existant – in-novare -, la suite de ce travaux porte sur les possibilités d’inventer l’à venir comme militant, chercheur et coopérateur à partir de ces incalculés et incalculables, sources de réconfort, d’hospitalité et de poésie.