Au mois de février, lors d’une balade avec des étudiants Allemands au quartier de Saint-Louis Consolat, nous avons fait un stop à l’église St. Louis. Par un de ces hasards qu’on ne sait pas expliquer, Claire, bénévole à l’église est venue à notre rencontre. Après avoir pris le temps de se présenter, après avoir chanté ensemble un air africain sous la houlette de Willy, elle accepte de nous emmener sur les pas de son logement. Et c’est ainsi que nous sommes entrés pour la première fois, en groupe, dans la cité de Campagne-Lévêque. Claire y habite depuis plusieurs années, elle nous a, très gentiment, fait visiter la cité et son appartement. Elle nous a parlé des difficultés que traversent les habitants: marchands de sommeils, dealers, incendies, ordures, descentes de police et CRS.
Nous avons voulu approfondir, comprendre un peu plus les rouages de cette inhumaine machine du logement précaire. Alors pour ce nouvel épisode du 1000 pattes, nous avons axé notre déambulation autour de Campagne Lévêque. Nous avons commencé par rencontrer l’association Le Rocher Marseille.
Le Rocher Oasis des Cités : une mission en réponse à la crise sociale des quartiers
Habiter au cœur des cités et quartiers populaires français, pour accompagner les jeunes et leurs familles : c’est le choix que font les salariés et volontaires de l’association.
Le Rocher au coeur des cités, Marseille, est une association catholique d’éducation populaire. il est présent dans 9 villes en France. Le but de l’association est de permettre aux volontaires et salariés de vivre au coeur d’un quartier, dans une cité en zone prioritaire, de faire une présence au sein des habitants en proposant des activités comme l’aide aux devoirs, des cours de français, des ateliers pour les femmes, et des animations de rue.
Il n’y a pas de prosélytisme, mais le Rocher est en lien avec l’église Saint-Louis, les volontaires font leurs prières en dehors du temps de bénévolat. Le financement du Rocher se fait via des dons de particuliers et des entreprises, mais aussi à travers des subventions de la ville.
Au Rocher Marseille, il y a 3 filles et 5 garçons, un service civique, un salarié et le reste en volontariat. La plupart des volontaires du Rocher, habitent à Campagne- Lévêque, ils ont des appartements en collocation non mixtes. Il y a aussi un couple responsable de l’antenne, c’est Arthur et Tiphaine, ils ont deux garçons, habitent aussi dans la cité, et ils sont là pour 3 ans. Le but est de faire une présence aux sein des habitants, de proposer des activités, de se confronter aux mêmes réalités, les habitants sont leurs voisins!
“Le positif c’est le partage, une bonté que j’ai pas trouvé ailleurs, des gens qui se donnent pleinement avec le peu de choses qu’ils peuvent avoir, la générosité, l’humanité, la reconnaissance. Il y a des liens qui se créent, on fait des portes à portes, on va à la rencontre des voisins.”
On a pas mal de temps de préparation en équipe, on fait des tables ouvertes, on cuisine avec les habitants, on a des semaines de 5 jours du mardi au samedi, 4 jours sur 5 on fait l’accompagnement scolaire, de CE2 à la terminale, parfois des lycéens. Il y a aussi, les aventuriers juniors (sorte de scout) pour les primaires filles et garçons mélangés, des activités manuels, des grands jeux, des chasses aux trésors dans la nature, on va aller camper.” Antoine
Le bailleur 13 Habitat
C’est 13 Habitat qui détient Campagne L’évêque. Il y a une grande barre et 2 latérale. Il y a des T3 et T4, ils sont hors-norme, ils n’ont pas la surface aux normes actuels. C’est une des premières cités, de logements de masses. il y a une grande partie des personnes âges qui habitent depuis longtemps, à l’époque c’était une population assez mélangée, y compris des fonctionnaires, après ça s’est dégradé.
13 Habitat est le bailleur, les conditions de vie sont totalement différentes des copropriétés.
En sortant du Rocher, Jeanne nous parles des copropriétés: “Les copropriétés c’est le horreur, vous avez des gens qui achètent un appartement pas très cher, certains en ont 3 ou 4, et ils sous-louent à des gens à des prix très élevés. Personne ne paye les charges, les ascenseurs ne marchent plus, les ordures se cumulent dans les couloirs, les propriétés communes se dégradent, personne s’en occupe.”
A Campagne Lévêque, il s’agit d’un bailleur social. Ce sont des logements construits il y a très longtemps, donc par ex. dans les salles de bain, il n’y a pas des systèmes d’aération, donc c’est très humide, il y a rapidement des champignons aux murs, les murs qui s’effritent. Il y a un chauffage par radiateurs dans chaque chambre.
Puis, Virginie nous parle des immeubles qui font l’angle du Bd. Balthazar Blanc, là où nous nous trouvons. “Sonacotra, c’est sont des foyers pour des travailleurs. Dans les années 60′, il y a un grand problème de logement en France, pour les travailleurs immigres qui arrivent pour travailler dans les usines, plus les rapatriés.“
Adoma (anciennement Sonacotra) est une société d’économie mixte, filiale du groupe CDC Habitat (Caisse des dépôts et consignations) qui a été créée en 1956 par l’État français pour accueillir les travailleurs migrants. source: wikipedia
De là nous partons vers Campagne Lévêque, accompagnés par Jeanne, habitante de la cité depuis des nombreux années, membre de l’amicale des locataires, et soeur de Saint-Vincent de Paul.
Jeanne nous a fait visiter son appartement T3, on a discuté longuement chez elle.
“La cite a eu des énormes difficultés depuis 5 ou 6 ans, d’abord peut-être de gestion. Les bâtiments vieillissent et les travaux engagés n’ont pas été faits comme il faut. Il y a eu d’ énormes problèmes de dégradation des appartements. Puis les réseaux de drogues qui sont toujours là. Désormais, depuis la décision de faire place nette dans les cités, ils se font discrets, parce qu’à tout moment il y a des descentes de CRS.
Quand les gens sont rentrés ici, c’était le paradis, vue sur la mer, un certain confort, etc. En 2000 il y a eu l’opération confort 2000. Au début, les ouvriers qui venaient travailler étaient surpris, ils disaient on ne voit jamais ça, c’était vraiment extra-relationnel.
Autrefois, tout le monde se parlait, il y avait quelque chose de spécial à Campagne Lévêque qu’on ne voyait pas dans d’autres cités. Les gens sortaient, les familles descendaient avec leurs petites chaises pliantes, on ne pouvait pas dormir avant minuit parce que tout le monde était dehors, on chantait, on discutait, la vie était merveilleuse.
Puis, ça s’est beaucoup effrité, les populations nouvelles sont arrivées, les familles nombreuses sont parties. Les squatters sont arrivés en masse il y a 3 ou 4 ans, les gens partent, ils veulent rénover, l’appartement reste vide un moment, avec la crise du logement, il y a un phénomène d’occupation, du squat, du marchand de sommeil.
Les volets sont toujours tirés parce que les gens ont des écrans de télé très grands, ils les placent contre les fenêtres, mais aussi pour montrer qu’il y a des bruits, qu’il y a quelqu’un, une présence. Il y a une bonne partie des squatters, par peur d’être expulsés ou squattés qui restent chez eux. Il y a toujours une personne de la famille qui reste. Des travailleurs viennent nettoyer la cité une fois par semaine, ils viennent balayer, enlever les déchets.
Avec l’amicale des locataires, nous avons décidé de faire du beau et on a envahi plein de petits endroits. On essaye de les garder propres, de planter des fleurs ou des herbes aromatiques. “
Nous sommes partis visiter la cité, Jeanne nous raconte les travaux prévus, “ils veulent désenclaver la cité, ils vont couper la grande barre en deux, puis démolir les deux grandes entrées pour créer un grand espace. Elle sera obligée de partir, son immeuble fait partie de ceux qui vont être détruits.
Nous avons marché, plutôt “promené”, à travers la cité. Jeanne nous a raconté une multitude d’anecdotes. Chemin faisant, nous descendons progressivement vers le jardin qui se trouve à proximité de l’autre entrée de la cité.
Le jardin des papillons
Jeanne nous en a raconté la genèse, son état actuel et ses envies pour la suite.
Nous sommes assis sur de solides bancs de bois, quelques plantes grasses apparaissent sous les herbes hautes que le printemps a fait pousser, on aperçoit bien la structure en restanques. C’était difficile de prendre des notes au fil de l’eau, tant Jeanne est enthousiaste et impliquée. Alors nous avons eu une interview enregistrée plus tard et que je vous décrypte maintenant.
Ça a démarré par des ateliers de l’Amicale de Campagne Lévêque, avec des enfants mais aussi des adultes à qui nous avons demandé ce qu’ils voulaient. “nous, on veut des fleurs et des couleurs”. Nous fabriquions des livrets où les enfants racontaient ce qu’ils aimaient dans leur cité. “Campagne Lévêque comme je l’aime”. Ces livrets ont aussi donné lieu à une exposition.
2004, de mémoire. Les fleurs et les couleurs, il faut les planter. Nous avons choisi ce morceau de terrain parce qu’il était à proximité du centre social. Il ne servait jusques là qu’à faire pisser les chiens. Il nous a fallu quand même y amener de la bonne terre. C’est une entreprise qui s’en est chargée et elle nous a amené beaucoup de cailloux (l’horreur) mais aussi de la bonne terre et de grosses pierres. C’est ainsi que spontanément nous sommes partis du haut du terrain qui est assez pentu et que nous avons créé des sortes de restanques avec les gros cailloux, et un petit chemin qui descend au milieu “la coulée fleurie”.
Au début nous nous sommes fait aider par une association de la Ciotat “les jardins de l’espérance”
Tout en racontant les différentes étapes historiques du jardin, Jeanne insiste sur le fait que l’important ce n’est pas de faire, l’important c’est ce que le faire déclenche comme paroles, rêves, confidences. Le rêve de cette coulée fleurie qui serait d’abord une source puis un ruisseau, une cascade et tout en bas une vasque entièrement plantée de fleurs à pollen et qui est devenu le jardin des papillons.
Puis petit à petit sont arrivés des légumes, consommables sur place : radis, fèves, fraises.
Chacun devait essayer de sensibiliser les voisins afin de préserver ce lieu, à l’aide d’affichettes et de flyers donnés de la main à la main.
Cette aventure a duré des années. Jeanne est très discrète sur les raisons de l’arrêt des activités, mais il semble clair que cela n’est pas venu des habitants.
Pour sa part, elle ne désespère de rien. Elle continue de s’activer, fait un lien permanent avec les fleurs et les couleurs, slogan qu’elle reprend dans chacune de ses activités.
Elle s’investit dans ce qui est devenu un collectif environnement : tisser des fleurs et des couleurs capables de tout transformer. Protégeons nos enfants du manque d’émerveillement. Si je fais du beau, je chasse le laid. Le beau fait du bon. Sensibiliser sans culpabiliser. Si on s’y met tous, on peut réussir!
Récit fait par Agnès, Tania et Sam. Un grand merci à Claire, Antoine, et Jeanne pour leur paroles et leur hospitalité