Nous étions nombreux.ses comme une bande de lycéens. On a trouvé notre place en envahissant le Corsaire, le seul espace de sociabilité que les élèves du lycée Saint Exupéry peuvent investir vraiment à proximité de leur grand, très grand établissement.On avait compté sur le petit kiosque devant les terminaux de bus mais il était fermé, alors va pour le café-canette sur la chouette terrasse du snack.
On pensait se rappeler ce premier échange dense, déjà complexe, en illustrant les photos de Léone.
Léone elle vient ici pour la première fois, elle est sans doute la plus jeune, elle fait des études de journaliste tout en travaillant à la Revue dessinée et elle commence à travailler sur les squats, car elle en a côtoyé beaucoup et qu’elle en a marre d’en entendre parler dans les médias surtout à la fin de la trêve hivernale et au moment des expulsions. Et donc Léone elle fait aussi des photos. Sauf que internet parfois ça bugge, que ses photos sont maintenant bien loin de Marseille, qu’on aura le plaisir de les découvrir plus tard, et que maintenant il va falloir trouver une manière d’inventer nos images, juste avec nos souvenirs!
IMAGE#1 : Terrasse du Corsaire, une vingtaine de personnes en cercle, chaises rouges, lumière pleine de soleil. On se lance…
On se rencontre donc pour la première fois avec l’hypothèse qu’on pourrait peut-être marcher un bout de chemin ensemble cette année. Au départ il y a la croyance de quelques un•es que la marche participe à tisser du voisinage, du lien entre des initiatives, à activer de la transmission et que tout ça c’est modeste mais important. Et aujourd’hui on se propose de commencer une exploration avec l’idée que repartir de l’histoire longue des luttes et des expériences pour le logement à Marseille pourrait nous aider à redonner du sens aux engagements du passé et à rencontrer les luttes d’aujourd’hui.
Sur la terrasse du Corsaire certain•es d’entre nous ont vécu ces luttes historiques que sont le mouvement des squatters à l’après-guerre, ou des initiatives plus récentes comme le squat Saint-Just qui a accueilli durant 18 mois des mineurs isolés dans un ancien couvent, propriété de l’Eglise.
D’autres se posent des questions sur l’hospitalité. Qu’est-ce qui fait qu’on accueille certaines personnes et pas d’autres, comment pourrait-on embarquer les pouvoirs publics à voir des liens entre des enjeux qui semblent très éloignés comme le tourisme, les migrants et le mal logement?
En croisant ces premiers témoignages on voit assez vite émerger l’idée que habiter c’est le logement mais pas que. C’est aussi comment on se relie aux espaces, aux autres humains mais aussi au sol, aux plantes, à ce qui fait qu’un lieu est « habitable ».Arrivent alors les témoignages des batailles pour la colline Consolat quand, au milieu de centaines de logement sociaux on a voulu en faire une route, et l’aventure de Tour Sainte où dans une ancienne église désacralisée au milieu d’un vaste terrain bastidaire de Sainte Marthe s’invente un lieu culturel et militant pour que les jeunes de la Paternelle et des quartiers environnants se redonnent un sens à vivre là.
Se tisse aussi déjà le lien avec la démarche au sein du Lycée Saint Exupéry, pour que la colline redevienne une histoire partagée avec les savoirs des plantes et des sols. Et aussi avec l’expérience des ateliers buissonniers et des terrains d’aventure qui peu à peu à la cité de la Castellane fabriquent dans les lisières de la Jougarelle cet espace commun dont nous avons toustes besoin pour vivre, grandir, apprendre…
C’est avec ces premiers petits cailloux à poser sur le chemin que nous partons marcher…
IMAGE#2 : Devant ce qui était l’entrée de la Villa Tornesi. Agnès nous raconte son enfance dans ce qui fut l’une des 3 bastides squattées par le mouvement des squatteurs qui émergea à Marseille juste après la guerre.
10 familles dans 10 pièces avec près de 10 enfants chacune, ça en fait des souvenirs ! Par exemple celui de ces rideaux de velours rouge découpés qui venaient de l’église Saint Louis, alors récemment investie par le mouvement des prêtres ouvriers, et qui sont devenues les couvertures très « classe » de ces habitants mobilisés.
Car il s’agissait bien à l’époque d’une forme de mobilisation qui faisait suite à de nombreux appels, des inventaires de logement vacants et des manifestations portées à fois par les communistes et les milieux catholiques sociaux pour dénoncer la situation de crise du logement et l’incompétence des pouvoirs publics à agir notamment par la réquisition.
“Entre 1945 et 1946, 76.000 demandes de réquisition sont ainsi adressées à l’office municipal de logement pour la seule ville de Marseille. Seuls 2200 dossiers sont administrés, et pas une seule réquisition. Le scandale de ce qui est alors qualifié par les militants d’incompétence des pouvoirs publics, et qui en fait relève surtout de leur impuissance, fait passer quelques-uns des membres du MPF à l’acte de réquisition autonome, donnant naissance au mouvement des Squatters. Ce mouvement va bientôt gagner toute la France, entraînant dans son sillage nombre de militants des associations familiales convaincus qu’il n’est « pas envisageable de s’occuper des squatters sans être squatter soi-même. » Extrait de la Thèse de Claire Duport p.100, à retrouver dans le drive.
IMAGE #3 : Panorama. Marc Medhi nous raconte un grand paysage, celui du bassin de Séon.
Nous sommes sur l’esplanade juste en dessous du lycée Nord. La vue est grandiose. Il y a plusieurs années des lycéens avait brodé avec leurs enseignants et une artiste « Je suis au sommet du vide ». Il reste quelques bouts de laine, une trace parmi d’autres traces. Entre la géologie des massifs, les aménagements portuaires, la trame des voiries, Marc nous dessine peu à peu une histoire du logement social qui débute avec les maisonnettes de la Cité Jardin Saint Louis, se poursuit par les HLM Consolat où il est venu habiter gamin dans les années 60 puis la résidence Consolat et la co-propriété Consolat Les sources. Au loin on aperçoit aussi les petits immeubles de la cité SNCF.
Chaque cité a son vécu propre et raconte aussi un bout de la grande histoire du logement collectif, les stratégies, les utopies, les tensions entre toutes ces couches d’urbanisation qui sans s’opposer perdent au fil du temps leur porosité. Et on voit bien que la porosité quand elle subsiste passe par des chemins de nature, par des sentiers d’aventure qui invitent au jeu, au jardinage, au sport, à la promenade, à tous ces gestes simples qui apaisent nos corps intimes comme nos corps sociaux.
IMAGE #4: Nous marchons sur le sentier qui longe la colline, des petits groupes se sont formés et conversent.
Le plaisir de la balade et de la rencontre prend le pas sur les échanges en grand collectif. C’est plein de facettes qui commencent à apparaître, l’histoire de la construction du Lycée nord par le même architecte que l’Hôpital nord et de son inauguration par… Krouchtchev. L’histoire d’amour décrétée impossible entre une enseignante et un lycéen du Lycée Saint Exupéry, qui a abouti au suicide de Gabrielle Russier et a inspiré plusieurs chansons dont Mourir d’aimer d’Aznavour et a marqué la société de l’époque. L’histoire du château Consolat et de son parc, seconde bastide squattée et terrain de construction du lycée. L’histoire des souterrains allemands et de ses « fusées céramiques », et de toutes ces constructions du sudwall qui subsistent en sous-sols…L’histoire des propriétaires qui ont coopéré au mouvement des squats dans le but de dévaloriser leurs biens. L’histoire des co-pro dégradées en regard des cités HLM. L’histoire de la lutte des habitant•es de la cité Saint Louis pour qu’elle ne soit pas détruite…L’histoire de la grande marche pour l’égalité de 1983 et de la chanson des enfants des quartiers nord…
Nous rentrons tranquillement vers le bus 70. On ne sait pas encore ce que ce sera ce chemin collectif mais ce premier temps de partage nous donne envie de poursuivre nos pas à pas…
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Au-dessus la biodiversité et les satellites, au-dessous les tunnels et les câbles sous-marins.
Nous nous sommes retrouvés entre l’au-dessus et l’au-dessous, sur les escaliers à côté du lycée, avec la belle vue depuis la colline surplombant la mer… Comme dirait Agnès J. “la colline Consolat fait complètement partie du Bassin de Séon.”
Entre le dessus et le dessous
Grâce à la formule magique de Dominique, laborantine des cours de sciences au lycée Saint-Exupéry, nous avons pu passer, telle une classe de vieux lycéens, les portes d’accès et découvrir cette cité éducative d’avant-garde construite à la fin des années 50′, où nombreux d’entre nous, étions élèves ou avons vu nos enfants grandir.
Les récits dissonants du lycée Nord, depuis ces deux journaux, Le Monde et La Marseillaise, respectivementen 2013 et 2023.
Le lycée Saint-Exupéry (1800 élèves, 200 professeurs, 40 personnels) a été construit sur le domaine Consolat-Mirabeau, propriété de la famille Mirabeau du XVe au XVIIIe siècle et qui sera acheté en 1829 par la famille Consolat (celle du fameux maire qui décida de la construction du Canal de Marseille). Devenue propriété de la Ville de Marseille peu avant la deuxième guerre mondiale, le domaine sera occupé par les troupes allemandes, puis à la libération par les troupes américaines avant que la Ville ne récupère les terrains pour la construction du lycée et d’un ensemble immobilier. Les grottes et les caves de la colline seront alors fermées et le château démoli. Dans les plis de ces diverses occupations, la campagne Consolat sera aussi la deuxième campagne réquisitionnée par le mouvement naissant des Squatters, avec la Campagne Tornesi où a grandi Agnès (récit #1).
La forme arrondie du lycée, tellement années 50′
Julie rebondit alors sur les arrondis, “tellement années 50′! ” du bâtiment à l’entrée du lycée et nous fait remarquer leurs résonances avec la station service juste en face!
Cette forme joliment circulaire dédiée à la voiture est classée patrimoine de l’architecture, faisant partie de 2 prototypes de Jean Prouvé. Cet ingénieur-bricoleur n’a pas construit que des stations services et est en fait un personnage majeur dans l’après-guerre des réflexions sur le besoin urgent de logement. Prouvé fut un pionnier dans la construction industrielle mais il incarnera une autre recherche que celle du “grand ensemble”, celle du préfabriqué, du kit plus proche de la cabane que de la barre collective. Il chercha ainsi à proposer des habitats modulaires répondant aux besoins de confort et d’hygiène tout en étant économiques, rapides et faciles à construire. Ce n’est pas cette vision qui l’emportera, et on se rappelle alors que le lycée avec son architecte René Egger raconte aussi cette bataille dans les conceptions et les techniques du logement social.
Station service en face au lycée
Mais nous étions venu visiter le parc de 7 hectares qui entoure le lycée pour apprécier sa biodiversité, et découvrir comment les habitants non humains de la colline dialoguent parfois avec les jeunes humains qui poussent là !
Dominique nous raconte…
Il y a 35 ans j’ai atterri par hasard dans ses murs, et je n’en suis jamais repartie : je suis technicienne du laboratoire des sciences de la vie et de la terre, et animatrice du sentier nature. Au travers de mon expérience, de mes recherches, je suis convaincue que passer du temps dans la nature est essentiel au bon développement de l’enfant comme de l’adulte, sur le plan psychologique autant que sur le plan physique. Être dehors aide à la gestion du stress et renforce l‘estime de soi, favorise la collaboration, la communication, la créativité et l’esprit critique
Nous voici enfin dehors. Après un court temps d’adaptation où Agnès et Marc Medhi retrouvent les émotions de leurs 12 ans (au départ le lycée était un collège) pendant que ceux•elles qui viennent pour la première fois se laissent immerger et impressionner par la beauté du site , nous nous avançons vers le « coin biodiversité ». Cette petite enclave de terrain est balisée par une mini barrière en bois pour éviter d’être piétinée et aucun travail de l’homme n’a été pratiqué depuis 4 ans. Ici, la nature évolue en permanence, les espèces pionnières (la grande mauve, les arabidopsis, la folle avoine…) commencent à laisser la place à d’autres qui explosent à chaque printemps. Il n’est pas rare de rencontrer criquets et sauterelles grignotant les feuilles tendres, la coccinelle se régalant de pucerons, l’araignée tissant consciencieusement sa toile, le lézard se dorant la pilule sur le rocher face au soleil.
Nous évoquons l’impact de l’homme, nous parlons d’écologie, cette science qui s’intéresse aux relations des êtres vivants entre eux et avec leur environnement, et de la biodiversité (du grec bio : la vie) différente quand se trouve d’un coté ou de l’autre de cette bien légère palissade.
Virginie, nous montre les plantes qui ont poussé dans ce petit coin, la Mauve par exemple, très liée au retournement des sols dit-elle, et à la présence des matières organiques, l’Allyson maritime, des petits Soucis, des Graminées, de la Roquette jaune et blanche…. Ça nous transporte pour ceux et celles qui ont contribué au Caminando à Saint-André et à notre mantra avec les enfants de la Castellane:“diplotaxie, diplotaxie si on trouve la clé on pourra rentrer”.
Virginie continue, les plantes sauvages, “qu’on ditpionnières ou adventices” arrivent au début sur les sols pas terribles et comme c’est des plantes qui ont des racines “carottes”, au bout de quelques années, elles ramollissent les sols et les autres graines qui n’arrivaient pas à s’installer commencent a pousser. Les plantes pionnières sont très utiles, on les retrouve beaucoup dans les friches des quartiers nord, elles permettent d’améliorer les terrains et la diversité.
Julie, qui décidément tente aujourd’hui des associations entre nos sujets, nous invite à se rappeler qu’on considère souvent comme “sales” ces espaces et ces plantes qu’on pourrait remercier pour leur travail de recomposition du sol. Savoir que les sols se reconstruisent permet de ne pas sombrer dans la nostalgie “d’avant c’était mieux”, et que si on a malmené le sol de nos quartiers, on peut aussi penser que les humains peuvent s’inspirer des plantes pionnières… Le sol peut se reconstruire, on peut l’aider à se reconstruire, et on en sera que plus vivant nous aussi non?
Dominique nous rappelle la plante la plus toxique de France… le laurier rose !
Avec ce panorama impressionnant qu’on a du lycée, on se rend compte qu’on a toustes un bout d’histoire à partager. Tania vit à côté de la cité de campagne Lévêque, dans une barre des immeubles privés, en copropriété. Elle habitait avant dans une des petites maisons qui formait le domaine plus vaste de la famille Camelio, morcelé peu à peu mais qui donne son nom au stade de rugby. Elle a du partir suite à la vente de ce beau terrain pour la construction un projet immobilier qui pour l’instant n’a pas vu le jour, et a choisi de rester au plus près, dans l’immeuble tout à côté… Cet assemblage d’habitats nous semblent harmonieux, on a peine à croire que la petite forêt qui subsiste pourrait ainsi disparaitre.
D’un côté de la colline on a le conservatoire du logement social, et de ce côté là on pourrait dire que c’est un conservatoire des équipements sportifs, ou des traces des équipements sportifs! Tant de souvenirs de pratiques sportives (Agnès en a encore un paquet d’histoires, entre la création d’un pseudo statut de sport étude pour elle toute seule quand elle était jeune nageuse un peu fugueuse de l’école et les exploits des jeunes judoka d’aujourd’hui). Tant aussi à la fois de militance (sport et éducation populaire sont très liés) mais aussi de tensions politiques, la piscine nord juste en dessous en étant un sacré témoignage!
On pivote un peu et toc, d’autres histoires se déroulent. Marc Medhi nous parle de l’ancienne base sous-marine allemande (sur la photo : bâtiment noir près de la mer). Construite en partie par des travailleurs locaux enrôlés dans le travail obligatoire, elle n’a jamais été achevée mais témoigne de cette intense période de construction du Sudwall, qu’on ira explorer très physiquement dans les dessous!
Difficile à détruire, elle a accueilli les prisonniers allemands qui y ont laissé quelques fresques puis est restée dans l’état comme de nombreux bunkers tout du long du littoral, , sans que les autorités portuaires ne trouvent un usage. Puis, à partir de la découverte de la scie à découper aux diamants (câblé diamantée) pour découper le béton et aux caractéristiques du lieu (murs anti-missiles et proximité de l’eau), les data centers ont flashé sur Martha (le petit nom de la base)! La société américaine Digital Realty/Interxionest venu s’installer en 2019 . De là, ils partent des câbles sous la mer pour le monde entier et Le Grand port fonde une partie de sa recomposition dans cette nouvelle activité hautement stratégique…
A partir de ce paysage militaire en reconversion numérique on se retrouve à parler d’ici, d’une fois encore cette période de la fin de la guerre ou du début de l’après-guerre mais aussi de nouveau de milieux, de mondialisation et de communs…
On se rappelle que les fonds des mers, juridiquement, ça n’appartient à personne. Il y a un enjeu énorme autour de la mer, à plein des niveaux, entre la ressource, le pétrole, la sécurisation des fonds. Aujourd’hui, une autre battle est en train de se passer sur les modèles/systèmes pour sécuriser les tuyaux, avec une multiplication des câbles et des stockages, comme Google qui est en train de créer leur propre système, alors qu’avant, tout ce qui était réseau, était partagé.
Et c’est exactement la même chose qui est en train de se passer avec la bataille pour contrôler l’espace, que lui aussi, n’appartient à personne, donc aussi se posent les questions des communs. Comme X – Space (Elon Musk), avec ses plus de 5000 satellites déjà lancés et 42000 de prévus.
Nous descendons le grand escalier bétonné : il remplace celui mangé par la rouille et l’érosion qui se cache dans la végétation, et nous arrivons devant une paroi rocheuse constituée de tuf. Cette roche présente sur tout le parc, est le témoin des cascades présentes sur le lieu dans des temps lointains, elle est constituée de moulages de débris végétaux emprisonnés dans du calcaire. Elle servira entre autres de matériel de construction des murs encadrant les restanques.
Agnès, qui semble ne pas avoir oublié ses cours de sciences nat appris juste au dessus, nous raconte avec ses mots ces 2 phénomènes chimiques :
Le karst : certaines qualités de calcaires sont karstiques. Celui de notre région en est un. La pluie, c’est de l’eau H2O. L’air, c’est de l’oxygène O2. Le sol, ici calcaire, est très chargé en matières organiques décomposées C(=carbone) H2O et O2 touchent le sol, s’infiltrent, rentrent dans le sol. Lorsque ces 2 éléments combinés rencontrent une zone carbonée, il se passe un phénomène chimique : le calcaire se dissout, il n’existe plus. Ça fabrique des circulations d’eau souterraines, à travers des galeries fabriquées par cette dissolution. Le sous-sol devient un vrai gruyère de grottes, de cavités parfois grandes comme des cathédrales, parfois plus petites que le petit doigt. Ça, c’est le karst.
Le tuf : il y a souvent (pas toujours) des endroits où cette eau extrêmement chargée de ce calcaire dissous ressort à la surface. Normalement, la destinée de l’eau est de descendre toujours vers le point le plus bas. Lorsqu’elle ressort avant d’atteindre la mer, c’est qu’elle est poussée ou attirée par une force très puissante. Au moment précis où l’eau re rencontre l’air libre O2, elle surgit en pression et se transforme en un gaz de très très fines gouttelettes. C’est le pschitt. Ces gouttelettes se déposent sur la végétation existante : toutes sortes de mousses, lichens, plantes, arbres. Ces végétaux deviennent de la roche calcaire. Ça c’est le tuf.
Karst
En écho à Agnès, Dominique continue à nous décrire ses balades sensorielles avec ses élèves :
“Sur cette restanque, essayons d’utiliser un maximum de vocabulaire pour décrire les sensations liées au toucher : Caresser des pétales duveteux, effleurer une fleur de chardon, frôler ses épines, tâter l’écorce d’un arbre, écraser de la terre entre ses doigts, marcher pieds nus dans des feuilles, dans l’herbe, attraper une graine de clématite virevoltante…Nous descendons sur la restanque suivante, appelée aussi bancaou en provençal.”
Agnès encore, notre chatGPT de la nature, à propos des Bancaous ou terrasses ou restanques.
“C’est le système de la gestion de l’eau dans le cadre des propriétés, celui d’en haut, il évacue son eau par des systèmes comme ce tuyau en poterie (photo au-dessous). L’eau arrive chez celui d’en dessous, celui d’en dessous ne peut pas porter plainte, s’il est envahi par l’eau, il fait le même système et il l’envoie chez celui d’en dessous, et ainsi de suite. L’eau n’appartient à personne, donc ils ne peuvent pas la garder, ils doivent la faire évacuer.”
Dominique nous parle du bas-relief représentant la chute d’Icare, sculpté probablement par Jean Amado (réalisateur des bas-reliefs en céramique jalonnant le lycée), et déposé ici suite aux travaux de rénovation du lycée. Icare ne vole plus, il s’est couché…
Icare nous fait penser à la géologie du territoire, son coté organique peut se fondre dans le paysage, et il y a quelque chose de beau de le voir couché, île ou continent, comme s’il nous invitait à l’embrasser.
Parfaite transition pour s’inverser, partir vers l’intérieur géologique, dessous!!
L’exploration du Mille-Pattes continue au-dessous du lycée, dans les tunnels allemands de la 2ème Guerre. On trouve des traces d’ouvrages militaires partout à Marseille, vers les Goudes, sur la côte et qui n’ont pas pu être détruits. On est ici dans l’observation de la baie, mais aussi dans l’alignement avec les Iles de Frioul. Marc nous explique qu’on protégeait les 2 anses, celle-ci, et celle de Marseille. On va voir plusieurs modes de construction, le coffrage, les fameuses fusées céramiques, et des percements à même la roche. A l’origine comme c’est de la roche tendre, c’était déjà creusé, c’était des grottes, et le propriétaire qui avait des vignes s’en servait de caves de stockage.
Ici, la transition est intérieure… on passe des tunnels sombres et froids en béton à la chambre principale chaleureuse et ample, grâce à la méthode de construction avec des fusées céramiques.
La fusée céramique
Jacques Couëlle invente le principe de la fusée céramique au sein du Centre de recherches des structures naturelles dans les années 1940. La fusée céramique est un élément en terre cuite. Les fusées s’emboitent les unes dans les autres à la manière des tiges de bambou ou de la prèle, comme dans la illustration ci-dessous.
Ce principe est utilisé pour construire des voûtes : sur le coffrage enduit d’une première couche de ciment sont alignées des rangées de fusées céramiques renforcées par des tiges métalliques qui permettent d’armer la structure. Le tout est ensuite recouvert d’une deuxième couche de ciment. Cette méthode à l’époque plus rapide que le procédé du béton permettait de réaliser en peu de temps des voûtes de grande portée, comme fût le cas du Grand Arénas.
Comme des miroirs qui se reflètent, entre l’histoire et l’actualité, le conflit Israélo-Palestinien…
Le ‘’Grand Arénas’’ est un camp de transit construit à la fin de la guerre dans le quartier de la Cayolle par l’architecte Fernand Pouillon à partir du réemploi de fusées céramiques dont la légende dit qu’il en aurait trouvé des stocks trainer sur le port. Plaque tournante de tous les flux migratoires, prisonniers ou déportés libérés, travailleurs ou soldats coloniaux qui vont retrouver leur famille après des années de séparation, « personnes déplacées », venant des camps ouverts en Europe centrale à l’issue du conflit mondial et en quête d’une nouvelle patrie, Marseille est notamment au coeur des mouvements vers la Palestine des juifs maghrebins et rescapés des camps. L’histoire de ce camp est longue et complexe, il sera une enclave juive vers Israël mais va également accueillir d’autres peuples réfugiés ou déplacés : travailleurs vietnamiens indépendantistes autogérés, des gitans et plus tard des algériens suspectés d’être membres du FLN…
Et tout cela nous ramène étrangement à l’histoire locale puisque c’est dans le bassin de Séon, plus précisément dans l’usine Martin de Saint-André que ces tuiles fusées furent pendant un court temps produites.
Pour sortir des tunnels, il fallait expérimenter à nouveau une sorte de renaissance… ça a été très physique mais une belle expérience !!! Il y a eu 20 accouchements de la mère roche…
Délicieux final Mille-Pattesque, couché de soleil, tisane et gâteau aux pommes. Merci Julie et bon anniversaire Marc !
Récit photographique d’une balade patrimo/musicale
Tout commence ici…
…à la bibliothèque de Saint-André, les enfants ont construit l’après-midi les bâtons de la Tribu.
et Jeanne nous propose un chant.
Le point de départ du voyage musicale est au restaurant/hôtel Les Tonnelles, on échauffe les voix et les instruments .
Benjamin Pelliccio est venu nous chercher pour la messe..
Mais avant, un petit rituel autour du Platane.
pas le choix, la messe humanitaire, nous est imposé…
ça y est, la parade prend l’ampleur sur la rue Condorcet.
un petit stop à l’école Condorcet, pour écouter l’histoire des écoles raconté par Emmanuelle, de la plaque de la chorale italienne au garage de Momo, de la rivière et des femmes qui nous raconte Agnès.
Terra Canto nous offre l’Italie.
et les Roses de Saint-André nous surprennent avec une danse indienne.
à la rue Pontet, la Fanfare des Familles enchante les voisins au passage.
le balcon de la tia de Jeanne Alcaraz, et les chanteur des Sonnettes nous rappellent la migration espagnole.
on chante la Kabylie, aux immeubles des Tuileries.
rumba maestro! la rue de Grawitz resonne comme l’influence gitane du sud de l’Espagne.
les Joyeuses Petanqueuses du boulodrome de Saint-André, nous ont accueilli magnifiquement. Canteras de la bande à Séon et concert de Barrio Chino.
Un habitant de Saint André, Denis Pelliccio, vient nous raconter plein d’Histoires !
Le 1000-Pattes des enfants a embarqué Denis dans la balade du quartier pour qui nous raconte l’histoire de chaque petit coin où il s’est baladait quand il était enfant…
Nous sommes partis, cette fois-ci, avec les oreilles grandes ouvertes, et Denis nous a laissé imaginer le quartier d’autrefois, rêver des histoires lointaines où les voitures n’existaient presque pas, les animaux étaient très présents, il y avait des arbres et des prairies à perte de vue, des fontaines et des canaux pour se rafraîchir, et les enfants jouaient dans la rue sans danger.
Le voyage commence direct au cœur du château de La Castellane, des grands platanes, une belle terrasse sous les arbres, le ruisseau du Pradel, la vue sur la mer, des oiseaux, la vie calme, la belle vie.
Denis nous a raconté que son grand père était cantonnier et avec sa famille ils habitaient au château de La Castellane, propriété de Gabrielle de Castellane, en 1751, des nobles provençaux depuis le IX siècle. Au XIX siècle, la mairie de Marseille l’achète pour le louer à des familles modestes.
Denis se souvient… « Au château vivaient 6 ou 7 familles, chaque pièce faisait 50m2, c’était magnifique de vivre dans des espaces tellement grands ! Avec mes cousins et cousines, et d’autres enfants du château, on jouait dans la nature, on courait dans les près, tout le monde se connaissait, on était heureux »
Le Mille-Pattes enfants se déplace au grand champ d’en face à La Castellane, en bas de La Bricarde, Denis nous raconte que chaque dimanche avec ses parents ils faisaient la cueillette de la salade et des asperges sauvages, c’était un rituel !
Une des familles, les Bénéteau étaient des maraichers, ils cultivaient de légumes et vendaient à la ferme aussi des poules et des lapins.
La famille Chabouni était les propriétaires de cette belle bastide. Il y avait 220 bastides sur le bassin de Séon, selon le cadastre de cette époque. Elles servaient de résidences secondaires aux bourgeois et aux nobles.
Nous sommes arrivés aux jardins de la Lorette,
Les arbres aussi, nous racontent des histoires des hommes !
Celui-là nous parle de la Kabylie…
Devine, devine quel est mon fruit et tu sauras qui je suis :
Je suis un fruit d’automne.
Je suis un fruit a une chair douce et molle.
Mon intérieur est très doux et sucré.
Sous ma peau, on dégustera des centaines de petites fleurs
Je suis marron ou violette.
Je suis plein de petites graines.
On peut me manger fraiche ou séchée tout l’hiver.
Je suis qui ?
Le figuier est un indice !
La manière dont ses figuiers étaient plantés là, avec un olivier et un petit jardin avec des fèves, on pourrait deviner, même sans connaitre les gens qui cultivent ses jardins-là, que c’est des gens qui vient de Kabylie. Ils sont une manière de faire leur jardin, une manière d’avoir volontairement planté ses arbres qui donne un indice sur leur histoire culturelle.
Denis nous décrit comment était cet endroit avant:
« Il y avait une très grande ferme qu’appartenait à la famille Beraud, elle s’étendait jusqu’à sur le Pradel (Bd. Henri Barnier). On était petits, on attendait la bonne période au mois de juin pour ramasser les poires de la St. Jean. Le propriétaire des champs avait planté des poiriers, des pommiers, des abricotiers, avant ça se passait différemment, on ramassait les poires, on montait voir le fermier et on allait lui payer. On allait aussi, tous les jours chercher le lait, on venait sur la ferme avec des bouteilles en verre, on allait voir le laitier pour avoir le litre de lait pour le matin, il vendait aussi des très bons yaourts, des poules, des lapins, des cochons, quand c’était la bonne période il vendait de la charcuterie ».
La Lorette, au départ, c’était le nom d’un autre endroit, ce nom-là, il va rester parce que ses personnes-là, ont étaient relogés, des gens qui venaient de Kabylie travailler dans les usines, dans les tuileries, et pour se loger, ils construisaient leur maison avec ce qui trouvaient, ils fabriquaient eux-mêmes leurs maisons et par solidarité ils le faisaient avec les gens qui connaissait, leurs familles et les gens du même pays.
Tous les gens de Kabylie qui venaient travailler dans les tuileries ils s’installaient ensemble, ça faisait un quartier, un petit village et comme les maisons étaient construit avec des tuiles, du bois, de la tôle et encore des tuiles, on appelait ça un bidonville.
A l’origine, un bidonville est un petit village construit avec des bidons, et autres matériaux, car il y avait beaucoup d’usines qu’utilisait des bidons, mais ici à St. André c’était des usines des tuiles donc on pourrait dire que « Les tuiles-villes » c’était les bidonvilles de Saint André.
La Lorette était le dernier bidonville de Marseille, qui était situé en bas de la colline, selon Denis, et qui a était rasé lors de la construction du centre commercial du Grand Littoral, avec comme conséquence la relocalisation des familles en 1995 dans ces maisons.
Denis continue « Ma tante avait un métier un peu particulier, elle fabriquait des épingles à linge en bois. C’était des femmes qui n’avaient pas de travail, qui voulaient travailler un peu à la maison, elles étaient payées à la pièce, ça leur permettait d’améliorer les finances de la maison ».
Nous avons montré à Denis le passage secret à notre terrain d’aventures, il nous a effectivement dit, qu’il ne le connaissait pas !
Le grand carnet de voyage continue à s’embellir et à recevoir beaucoup d’information, on note tout ! Et aussi, on cueille et on colle sur le carnet des belles fleurs de printemps.