DESSUS-DESSOUS Habiter le sol de Consolat- Récit #1

1000 pattes du 11 octobre 2023

Nous étions nombreux.ses comme une bande de lycéens. On a trouvé notre place en envahissant le Corsaire, le seul espace de sociabilité que les élèves du lycée Saint Exupéry peuvent investir vraiment à proximité de leur grand, très grand établissement.On avait compté sur le petit kiosque devant les terminaux de bus mais il était fermé, alors va pour le café-canette sur la chouette terrasse du snack.

On pensait se rappeler ce premier échange dense, déjà complexe, en illustrant les photos de Léone. 

Léone elle vient ici pour la première fois, elle est sans doute la plus jeune, elle fait des études de journaliste tout en travaillant à la Revue dessinée et elle commence à travailler sur les squats, car elle en a côtoyé beaucoup et qu’elle en a marre d’en entendre parler dans les médias surtout à la fin de la trêve hivernale et au moment des expulsions. Et donc Léone elle fait aussi des photos. Sauf que internet parfois ça bugge, que ses photos sont maintenant bien loin de Marseille, qu’on aura le plaisir de les découvrir plus tard, et que maintenant il va falloir trouver une manière d’inventer nos images, juste avec nos souvenirs!

IMAGE#1 : Terrasse du Corsaire, une vingtaine de personnes en cercle, chaises rouges, lumière pleine de soleil. On se lance…

On se rencontre donc pour la première fois avec l’hypothèse qu’on pourrait peut-être marcher un bout de chemin ensemble cette année. Au départ il y a la croyance de quelques un•es que la marche participe à tisser du voisinage, du lien entre des initiatives, à activer de la transmission et que tout ça c’est modeste mais important. Et aujourd’hui on se propose de commencer une exploration avec l’idée que repartir de l’histoire longue des luttes et des expériences pour le logement à Marseille pourrait nous aider à redonner du sens aux engagements du passé et à rencontrer les luttes d’aujourd’hui.

Sur la terrasse du Corsaire certain•es d’entre nous ont vécu ces luttes historiques que sont le mouvement des squatters à l’après-guerre, ou des initiatives plus récentes comme le squat Saint-Just qui a accueilli durant 18 mois des mineurs isolés dans un ancien couvent, propriété de l’Eglise. 

D’autres se posent des questions sur l’hospitalité. Qu’est-ce qui fait qu’on accueille certaines personnes et pas d’autres, comment pourrait-on embarquer les pouvoirs publics à voir des liens entre des enjeux qui semblent très éloignés comme le tourisme, les migrants et le mal logement?

En croisant ces premiers témoignages on voit assez vite émerger l’idée que habiter c’est le logement mais pas que. C’est aussi comment on se relie aux espaces, aux autres humains mais aussi au sol, aux plantes, à ce qui fait qu’un lieu est « habitable ».Arrivent alors les témoignages des batailles pour la colline Consolat quand, au milieu de centaines de logement sociaux on a voulu en faire une route, et l’aventure de Tour Sainte où dans une ancienne église désacralisée au milieu d’un vaste terrain bastidaire de Sainte Marthe s’invente un lieu culturel et militant pour que les jeunes de la Paternelle et des quartiers environnants se redonnent un sens à vivre là. 

Se tisse aussi déjà le lien avec la démarche au sein du Lycée Saint Exupéry, pour que la colline redevienne une histoire partagée avec les savoirs des plantes et des sols. Et aussi avec l’expérience des ateliers buissonniers et des terrains d’aventure qui peu à peu à la cité de la Castellane fabriquent dans les lisières de la Jougarelle cet espace commun dont nous avons toustes besoin pour vivre, grandir, apprendre…

C’est avec ces premiers petits cailloux à poser sur le chemin que nous partons marcher…

IMAGE#2 : Devant ce qui était l’entrée de la Villa Tornesi. Agnès nous raconte son enfance dans ce qui fut l’une des 3 bastides squattées par le mouvement des squatteurs qui émergea à Marseille juste après la guerre.  

10 familles dans 10 pièces avec près de 10 enfants chacune, ça en fait des souvenirs ! Par exemple celui de ces rideaux de velours rouge découpés qui venaient de l’église Saint Louis, alors récemment investie par le mouvement des prêtres ouvriers, et qui sont devenues les couvertures très « classe » de ces habitants mobilisés. 

Car il s’agissait bien à l’époque d’une forme de mobilisation qui faisait suite à de nombreux appels, des inventaires de logement vacants et des manifestations portées à fois par les communistes et les milieux catholiques sociaux pour dénoncer la situation de crise du logement et l’incompétence des pouvoirs publics à agir notamment par la réquisition.

“Entre 1945 et 1946, 76.000 demandes de réquisition sont ainsi adressées à l’office municipal de logement pour la seule ville de Marseille. Seuls 2200 dossiers sont administrés, et pas une seule réquisition. Le scandale de ce qui est alors qualifié par les militants d’incompétence des pouvoirs publics, et qui en fait relève surtout de leur impuissance, fait passer quelques-uns des membres du MPF à l’acte de réquisition autonome, donnant naissance au mouvement des Squatters. Ce mouvement va bientôt gagner toute la France, entraînant dans son sillage nombre de militants des associations familiales convaincus qu’il n’est « pas envisageable de s’occuper des squatters sans être squatter soi-même. » Extrait de la Thèse de Claire Duport p.100, à retrouver dans le drive.

IMAGE #3 : Panorama. Marc Medhi nous raconte un grand paysage, celui du bassin de Séon. 

Nous sommes sur l’esplanade juste en dessous du lycée Nord. La vue est grandiose. Il y a plusieurs années des lycéens avait brodé avec leurs enseignants et une artiste « Je suis au sommet du vide ». Il reste quelques bouts de laine, une trace parmi d’autres traces. Entre la géologie des massifs, les aménagements portuaires, la trame des voiries, Marc nous dessine peu à peu une histoire du logement social qui débute avec les maisonnettes de la Cité Jardin Saint Louis, se poursuit par les HLM Consolat où il est venu habiter gamin dans les années 60 puis la résidence Consolat et la co-propriété Consolat Les sources. Au loin on aperçoit aussi les petits immeubles de la cité SNCF.

Chaque cité a son vécu propre et raconte aussi un bout de la grande histoire du logement collectif, les stratégies, les utopies, les tensions entre toutes ces couches d’urbanisation qui sans s’opposer perdent au fil du temps leur porosité. Et on voit bien que la porosité quand elle subsiste passe par des chemins de nature, par des sentiers d’aventure qui invitent au jeu, au jardinage, au sport, à la promenade, à tous ces gestes simples qui apaisent nos corps intimes comme nos corps sociaux.

IMAGE #4: Nous marchons sur le sentier qui longe la colline, des petits groupes se sont formés et conversent.

Le plaisir de la balade et de la rencontre prend le pas sur les échanges en grand collectif. C’est plein de facettes qui commencent à apparaître, l’histoire de la construction du Lycée nord par le même architecte que l’Hôpital nord et de son inauguration par… Krouchtchev. L’histoire d’amour décrétée impossible entre une enseignante et un lycéen du Lycée Saint Exupéry, qui a abouti au suicide de Gabrielle Russier et a inspiré plusieurs chansons dont Mourir d’aimer d’Aznavour et a marqué la société de l’époque. L’histoire du château Consolat et de son parc, seconde bastide squattée et terrain de construction du lycée. L’histoire des souterrains allemands et de ses « fusées céramiques », et de toutes ces constructions du sudwall qui subsistent en sous-sols…L’histoire des propriétaires qui ont coopéré au mouvement des squats dans le but de dévaloriser leurs biens. L’histoire des co-pro dégradées en regard des cités HLM. L’histoire de la lutte des habitant•es de la cité Saint Louis pour qu’elle ne soit pas détruite…L’histoire de la grande marche pour l’égalité de 1983 et de la chanson des enfants des quartiers nord…

Nous rentrons tranquillement vers le bus 70. On ne sait pas encore ce que ce sera ce chemin collectif mais ce premier temps de partage nous donne envie de poursuivre nos pas à pas…

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