Kouider Metair : Oran, naissance d’une conscience patrimoniale

La mise en ligne des textes des intervenants à la rencontre du 2 mars 2013 à Venise (voir  la présentation de la rencontre et voir les textes déjà en ligne) se poursuit.

Voici le texte du discours de Kouider Metair, président de l’association Bel Horizon à Oran.

Pourquoi et comment faire participer les habitants et les communautés patrimoniales au patrimoine culturel et avec quels résultats ? L’expérience de l’Association Bel Horizon à Oran, Algérie.

La conscience patrimoniale est toute récente en Algérie. La loi de protection du patrimoine, loi 98/04, a été promulguée en 1998 et les décrets d’application en 2003. Entretemps, notre pays a perdu des pans entiers de son patrimoine. Avant cela, les défenseurs du patrimoine se recrutaient au sein de journalistes, architectes et certaines élites uniquement.  Mais en l’absence de cadre juridique adéquat, leur action demeurait limitée. L’exemple le plus édifiant a été la construction, dans les années 80, d’un bâtiment de 17 étages en plein cœur d’un site patrimonial classé, situé au centre-ville, avec l’assentiment  du Ministère de la Culture, en charge de la protection du patrimoine ! Au jour d’aujourd’hui, soit 30 ans après, cette carcasse en béton, inachevée, trône toujours au sein de ce site qui s’est totalement dégradé ! La restructuration urbaine, à coups de bulldozers, a démoli, en un temps record, ce que les Anciens ont mis des siècles à bâtir. Le Vieil Oran, cité historique, est en friche et ressemble à un quartier qui aurait subi un bombardement.

Avec l’amorce de l’ouverture démocratique des années 90, des associations ou ONG de protection du patrimoine ont vu le jour. Elles ont puissamment contribué à la diffusion de la culture patrimoniale et à la sensibilisation du citoyen et des pouvoirs publics, en s’appuyant sur des dispositions de la loi 98/04, qui ouvrent de bonnes perspectives d’intervention à la société civile :

 Article 91 Toute association légalement constituée qui se propose par ses statuts d’agir pour la protection des biens culturels peut se porter partie civile, en ce qui concerne les infractions à la présente loi.

Par ailleurs, Article 17 : (…) les monuments  sont soumis au classement par arrêté du ministre chargé de la culture après avis de la commission nationale des biens culturels, sur sa propre initiative ou de toute autre personne y ayant intérêt.

Cependant et  malgré cette avancée, notre pays souffre d’une problématique particulière, à savoir que l’héritage patrimonial n’est pas partagé pour des raisons idéologiques. En effet :

Notre pays dispose d’une stratification patrimoniale exceptionnelle : une période préhistorique de plus de 100 000 ans, présence phénicienne, romaine, byzantine, arabo-musulmane, ottomane, espagnole, française, mais cette richesse n’est pas perçue comme telle, vu qu’elle a été le produit d’une Histoire, certes riche, mais tumultueuse et complexe. Une Histoire ponctuée, durant des siècles, par des guerres, des conquêtes et des colonisations extrêmement violentes. Par conséquent notre perception du patrimoine en Algérie n’est pas commune : les monuments qui rappellent la période française sont-ils considérés, par tous, comme patrimoine national ?

Nous prenons cet exemple puisqu’il s’agit d’une Histoire récente et pourvue d’un très grand nombre de monuments et autres bâtiments remarquables.

La loi 98/04 est venue proposer une conception partagée du patrimoine dans son ensemble, puisque l’article 2 précise :

Aux termes de la présente loi, sont considérés  comme patrimoine culturel de la nation tous les biens culturelsimmobiliers, immobiliers par destination et mobiliers existants sur et dans le sol des immeubles du domaine national, appartenant à des personnes physiques ou morales de droit privé, ainsi que dans le sous-sol des eaux intérieures et territoriales nationales légués par les différentes civilisations qui se sont succédé de la préhistoire à nos jours.

Cette perception commune, préconisée par la loi, nous permet d’envisager une appropriation du patrimoine dans son ensemble, qu’il soit l’héritage d’une colonisation ou autre !

Nous nous sommes proposé de donner de la visibilité à ce patrimoine oranais, dont la caractéristique est d’être un patrimoine stratifié, diversifié mais malheureusement, encore une fois,  pas encore totalement partagé :

  • Préhistoire :
  • antiquité :
  • arabo musulman :
  • espagnol:
  • ottoman:
  • français:

C’est à partir de ce constat et de ce cadre légal, que nous avons entrepris, au cours de ces 10 dernières années, un travail de sensibilisation en direction des jeunes, en particulier et de la population en général :

  • Par la formation de jeunes guides du patrimoine et de la ville (3 promotions de 20 jeunes à chaque fois),
  • Par un travail d’inventaire des sites et monuments historiques, suivi de la publication d’un guide des sites et monuments historiques,
  • Par l’organisation de workshops sur la subjectivité du patrimoine et le tracé de circuits patrimoniaux,
  • et enfin La création de plusieurs circuits thématiques, adaptés à des publics cibles et aux différentes communautés :, repères féminins de l’Oran patrimonial, circuits arbres remarquables ,sites et monuments historiques,  repères camusiens et roblésiens, architecture du XX ème art déco et néo mauresque etc.

Mais la marque de fabrique de notre association reste la randonnée pédestre sur les circuits patrimoniaux. Organisées une fois par mois, avec une moyenne d’une centaine de participants, la randonnée patrimoniale prend une allure spectaculaire le 1ermai de chaque année, avec des milliers de participants et dans une grande mixité sociale.  Cette activité de masse est  voulue spectaculaire pour justement  frapper l’imagination et susciter l’émerveillement d’être ensemble, de découvrir ensemble ce que peut ramener le patrimoine en termes d’amélioration du cadre de vie et de désir de «vivre ensemble» !

L’ensemble de ces actions ont contribué à faire participer les communautés à s’approprier graduellement leur patrimoine dans sa totalité. Les pouvoirs publics annoncent des  perspectives réelles de prise en charge du Vieil Oran. Nous nous proposons d’accompagner ces actions, par la mobilisation des communautés, de faire en sorte que le patrimoine serve aussi et surtout les besoins culturels de ces populations et d’éviter la tendance à vouloir muséifier ces espaces patrimoniaux.

En conclusion, nous pouvons affirmer que la prise de conscience patrimoniale s’est affirmée à tous les niveaux. Les associations patrimoniales existent un peu partout dans le pays et sont organisées sous forme de réseaux, dont l’un est animé par notre association, depuis une dizaine d’années et que nous avions dénommé « Héritages pluriels ».  Par ailleurs, nous adhérons pleinement aux objectifs de la Convention du Faro, en espérant qu’un jour on puisse organiser une réunion pareille à Oran. Tout un programme !

Kouider Metair, Venise, mars 2013

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