Le 1000 Pattes à Saint André#3


Ce 23 janvier, on n’a pas suivi le « plan » prévu pour cette exploration parce que Denis Pellicio était là et qu’on a décidé d’en profiter!

Le point central de l’histoire que nous a contée Denis ce jour-là, c’est la Chapelle des Annonces, au coin de la rue Condorcet et de la traverse Picaron, qui marque une limite au nord entre Saint André et Saint Henri (si on regarde sur Google la limite est toujours là et la chapelle se trouve techniquement dans le quartier St Henri). 

Aujourd’hui la chapelle est dissimulée derrière un mur mais on en voit pointer la partie haute ainsi que l’emplacement des trois médaillons symboles de la « paroisse » créée par Benjamin Pellicio l’arrière-grand-père de Denis.

Ces médaillons ont été enlevés par un aïeul de Denis alors que Benjamin leur avait bien dit de ne pas toucher à ce bâtiment. L’aïeul en question est mort le lendemain de l’enlèvement des médaillons, nous dit Denis, « alors… »

Le terrain autour de la chapelle (les limites exactes nous restent incertaines) était un ancien chais (Picaron, qui était donc le nom du vin local mais on comprendra l’origine plus tard). Il est acheté par Benjamin Pellicio, enfant italien né en 1861, abandonné devant une église dans son pays, élevé par des religieux mais en conflit avec l’église et qui a émigré en France pour travailler (on est en plein dans la période de développement du port et de l’industrie). 

Dans ce domaine baptisé « Picaron », il accueille ses compatriotes sur une période de un mois, le temps pour eux de trouver du travail. Il permet à ceux qui réussissent de construire leur maison sur son terrain, leur octroyant un bail de 30 ou 50 ans . Il s’autoproclame prêtre, fait des baptêmes civils, crée une sorte de paroisse privée, avec une charte. 

Tout le monde l’appelle le « grand-père », c’est une figure, un patriarche, probablement autoritaire. 

Son fils, le vrai « grand-père » de Denis, sera d’ailleurs écrasé par cette personnalité et sa vie n’aura rien de glorieux – on n’en parle d’ailleurs pas trop dans la famille, mais on voit là sa photo.

Au bout de la traverse Picaron, après un enchevêtrement de ruelles et de maisons qui évoque plus le terroir que l’industrie, on atterrit brusquement sur la zone franche, assez symbolique du non-sens urbain de la ZAC Saumaty Séon qui a échoué à se tisser avec l’existant mais a plutôt agit en tabula rasa (il est vraiment très difficile aujourd’hui de se repérer dans l’épaisseur historique des paysages de St André qui ont été particulièrement modifiés les 30 dernières années). 

En chemin on peut voir au bout de la rue Antonin Croussillat à gauche un ancien puits qui là encore raconte l’aïeul Pellicio et sa manière à la fois d’accueillir dans une version familiale élargie et de peu à peu régir le quartier (les maisons adjacentes lui appartenaient, il y logea de multiples compatriotes plus ou moins « en galère »).

Les bureaux de Digital Realty (ex. « Interxion ») ont remplacé l’ancienne tuilerie où travaillaient italiens et espagnols, puis arméniens et kabyles, mais aussi dans la dernière période de nombreux sénégalais, apparemment spécialistes du jonglage de tuiles, qu’ils savaient charger par paquets dans les camions en se les lançant et sans les casser… 

Les bureaux de « Digitech » spécialiste de la «dématérialisation » des activités ont quant à eux remplacé d’anciens jardins familiaux alors endroit de la matérialisation de relations et d’échanges entre les habitants du bidonville de Grand camp et les habitants de cette partie nord du village. 

Pour la balade c’est vraiment une expérience – on pourrait même dire un choc – de passer de l’histoire de Picaron (dont le nom viendrait de « pique en rond », une des étapes de la transformation de l’argile en tuile)  à celle de la ZAC/Zone franche, aussi bien du point de vue visuel que du point de vue du récit. Et l’arrivée dans les échanges de la question très contemporaine et encore assez méconnue de l’enjeu central que prennent les datacenters dans l’espace portuaire rajoute à la bizarrerie du moment.

On a aussi parlé des établissements NERVO, boulevard Henri Michel (ouest rue Condorcet). C’est une famille qui démarre dans les transports puis développe ses activités dans la gestion des déchets, l’assainissement et la propreté sur tout le territoire de Séon : on se demande si vraiment en plus des data centers au port on voudrait tirer le fil du sujet de la gestion opaque des déchets dans les Bouches-du-Rhône… ça risque de nous entraîner assez loin… 

En parlant de Nervo, Denis nous raconte qu’un membre de la famille Pelliccio qui était cantonnier et excessivement timide combattait cette timidité en racontant une blague à chaque personne avec laquelle il trouvait à discuter durant son travail.

On a alors imaginé qu’on pourrait construire une saynète où Denis jouerait le rôle de Benjamin Pellicio vers là où on s’était arrêté en début de séance. On le voit bien commencer à remonter la traverse Picaron et le croiser en costume d’époque, comme on a croisé ces autres jeunes gens d’aujourd’hui en costume 1900 à notre passage entre Picaron et la zone franche, une sorte de rétro projection… De là pourrait s’engager une conversation sur la place de ces « passeurs” que furent l’arrière grand-père mais sans doute aussi des organisations comme la société chorale, dont la plaque trône dans le garage de Momo le mécanicien du village.

A ce moment là de la discussion on était aux Tonnelles, qui devient peu à peu notre QG. Et alors panne d’électricité ! 

Ça va durer plusieurs heures, on apprendra plus tard que Jeanne et Willy ont chanté aux bougies ce soir là. Sans doute que la panne est liée tout à fait à autre chose mais au fil de la journée la présence des data centers et les choix qu’ils portent derrière leurs murailles épaisses devenaient un peu plus perceptibles…

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