Prosper Wanner : Introduction aux 3 diagnostics de coopérations patrimoniales innovantes

La cause est entendue : la culture sera désormais le quatrième pilier du développement durable. (…) Le Sommet de Rio avait déjà, en 1992, tracé la voie en affirmant que le “développement durable” était d’abord un changement de comportements, c’est à dire un changement culturel.

« Culture et développement durable : la percée », Serge Antoine[1]2005.

La sensibilisation croissante de l’opinion publique au développement durable se traduit timidement en actes, que nous soyons interpellés en tant que citoyen, professionnel ou simple consommateur. Si celle des plus jeunes semble se faire, celle des adultes reste problématique. La culpabilisation – le monde va mal -, la consom’action – l’avenir est dans votre porte monnaie – ou encore l’incitation fiscale ne s’avèrent pas être les meilleures vecteurs de responsabilisation. Au contraire parfois.

Ce changement de comportement, si souvent mis en avant comme fondamental pour tendre vers un développement durable, soutenable ou simplement désirable, représente pour chacun une (r)évolution culturelle. Il ne s’agit pas seulement d’avoir les bons outils, un certain nombre de recettes existent déjà, mais de vouloir s’en saisir. Notre rapport avec notre environnement, qu’il soit humain, naturel ou technique, passe par la culture. Tout comme le lien entre générations, fondement du développement durable.

La culture et le patrimoine, peu pris en compte jusqu’à aujourd’hui dans les politiques de développement durable, sont en passe d’en devenir le quatrième pilier. L’enjeu semble encore bien au delà : ils ne sont pas seulement un bien à conserver pour les générations futures mais ils sont l’un des seuls capable aujourd’hui d’accompagner un changement culturel de cette nature.

Cette qualité culturelle se double d’une qualité économique qui en faitce « plus petit dénominateur commun » entre des secteurs, des disciplines et des logiques appelés à se côtoyer davantage – économie, sociale, culture et environnement. Transversalité indispensable au développement durable.

Ce potentiel – « faire développement durable » – est perçu par les conservateurs du patrimoine d’abord comme une prise de risque. Et c’est une réelle prise de risque que de passer d’une prise si bien identifiée – les politiques publiques du patrimoine – à cette nouvelle prise – coopérer avec la société civile – sans tomber dans la « marchandisation » du patrimoine.

Aujourd’hui, des conditions semblent réunies pour accompagner une prise de risque.

1/ Le contexte est plus que favorable, voire même « trop », pour prendre langue avec le monde économique, souvent perçu comme antagoniste. Le patrimoine, comme la culture, sont déjà à l’œuvre dans les nouveaux processus de création de valeur. Ils deviennent des plus values concurrentielles déterminantes pour se démarquer dans une économie de plus en plus mondialisée et virtuelle. Le patrimoine est déjà devenu un levier économique du désendettement de l’Etat. La toute nouvelle agence du Patrimoine immatériel de l’Etat – l’APIE – et la récente valorisation exceptionnelle de la marque « Louvre » sont là pour en témoigner. Les collectivités locales, les TPE, les PME, les associations, bref ce qui fait l’économie locale, a tout autant besoin du patrimoine pour s’ancrer localement et retrouver une marge de manœuvre économique, propice au développement durable.

2/ Des indicateurs d’encadrement des politiques publiques se structurent au niveau national. Ce sont des repères pour suivre la prise de risque, comparer sa performance, en tirer des bilans et savoir si elle reste compatible avec les politiques nationales. Bref pour ne pas avancer totalement dans le brouillard. Cette possibilité est offerte notamment par la loi organique relative aux lois de finances de 2001, la LOLF. L’Etat a construit une batterie de plus d’un millier d’indicateurs de performance. Ils concernent l’ensemble des politiques publiques – culture, santé, économie, etc – et sont appréhendés du point de vue du citoyen, de l’usager et du contribuable. Une autre série d’indicateurs concerne sa stratégie nationale de développement durable – SNDD. Les deux sont sensés converger.

3/ Au delà de ces balises, un cadre de régulation adapté à la coopération des conservateurs avec le privé – associations, entreprises, particuliers – émerge au niveau européen : le droit au patrimoine culturel. L’absence ou la faiblesse des référentiels existants sur la coopération public privée en matière de patrimoine fragilise la construction de conventions propres à réguler les rapports de force, voire les éventuels conflits d’intérêts. En proposant de faire passer chacun du statut de « bénéficiaire » du patrimoine à celui « d’ayant droit », elle propose un nouveau cadre de régulation. Evitant par là de devenir de simple « client ». Les partenaires privés sont reconnus comme des associés, non pas seulement d’éventuels clients, fournisseurs ou bienfaiteurs. Le patrimoine est public et reste public.

La difficulté est d’avancer sur l’ensemble de ces fronts. L’un ne peut pas se passer de l’autre. La coopération sans objectifs clairs s’apparente plus à une stratégie d’affichage.  Et la poursuite d’objectifs communs sans outils de pilotage permet difficilement de capitaliser de la connaissance et de tirer des bilans pour avancer. Enfin, la coopération sans cadre de régulation revient à ne pas appréhender la gestion des conflits et qu’ils deviennent ingérables, notamment dans les phases de développement ou lorsque les fondateurs s’en vont.

L’objet de cette « galerie virtuelle » est de nourrir, voire d’initier ce chantier en commençant par faire évoluer notre propre regard. La coopération entre conservateurs et entreprises favorables au développement durable existe déjà. Les trois exemples choisis par l’AGCCPF PACA en témoignent. Ils illustrent volontairement les trois axes traditionnels du développement durable : l’environnement, le social et l’économie.

La problématique environnementale est illustrée par la coopération entre le Musée Gassendi à Digne-les-Bains et la réserve géologiques de Haute Provence. La problématique sociale par la mission européenne de patrimoine intégré de la Ville de Marseille inscrite au cœur d’un projet de l’Agence Nationale de Revitalisation urbaine – l’ANRU. Et la problématique économique par la contribution du MCEM au développement d’une initiative d’économie sociale et solidaire à Marseille.

Dans chaque cas, l’angle d’analyse a porté sur la relation établie entre un(e) conservateur(trice) et un(e) entrepreneur(se) privé(e).
La réalisation de ces portraits a consisté dans un premier temps à aller voire sur les sites, à rencontrer ces personnes, à récolter leur témoignage et des données disponibles. Ensuite, à partir de cette matière, un diagnostic a été réalisé sous trois angles. Le premier sur la valorisation économique, ou, dit autrement, l’intérêt pour l’entrepreneur. Le second sur l’efficience et l’efficacité de cette coopération pour le Musée. Et le dernier sur les modalités de contractualisation qu’il a été possible de poser entre l’entreprise et le Musée.

Dans quelles mesures une approche coopérative entre un conservateur et une entreprise est-elle performante ? Est-elle compatible avec les cibles de performance que se fixe l’Etat pour 2010 ? Contribue-t-elle à renforcer une approche de développement durable pour l’entreprise ? La réalisation des missions du Musée ?

Aucune des parties des portraits – le musée, l’objet patrimonial, l’entreprise -n’est similaire. Au contraire, ils illustrent une diversité d’entrées possibles : Un Musée national, un Musée départemental et une mission communale – Une association, un indépendant et une société anonyme – Une oeuvre d’art, un objet patrimonial et un monument historique. La convergence entre les portraits ne repose pas sur les statuts des parties mais davantage sur leurs modalités d’action et leur production.

1/ La coopération s’avère intéressante pour les deux parties. Chacune de ces coopérations est efficiente – ou économe – pour le musée et l’entreprise. Elles sont un moyen efficace pour accompagner la réalisation des missions du musée – amélioration de l’accessibilité du patrimoine, de l’intervention en zones rurales ou en zones urbaines sensibles. Elles se montrent même performantes au regard des cibles fixées par la LOLF aux musées pour 2010.  Enfin, elles renforcent les acteurs économiques dans leur choix de s’inscrire dans un développement durable.

2/ Les trois portraits convergent sur la mise en œuvre de la politique patrimoniale. L’accès au patrimoine repose dans les trois cas sur l’itinérance : balade en mer, itinéraire européen, randonnée. Et la coopération avec une large partie de la société civile – associations, entreprises, collectifs, etc –  se fait de manière effective : le patrimoine s’avère un catalyseur capable de faire travailler ensemble des mondes qui se côtoient peu : l’économie, le social, la culture et l’environnement.

3/ Ils partagent aussi une fragilité structurelle : ce sont des initiatives de développement durable peu durables. La coopération repose davantage sur des liens de confiance que sur une régulation contractuelle des rapports. Dans ce contexte, il peut être difficile de passer un cap de développement, d’aller au delà des fondateurs ou simplement de transférer ces expériences sauf à de retrouver un contexte identique.

Il existe peu de référence. Si la relation au client ou au bénéficiaire est suffisamment balisée, celle de la coopération public/privée demande à l’être davantage. La Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société proposée en novembre 2005 par le Conseil de l’Europe est le point d’appui pour s’atteler à la tâche.

Une première conclusion à ces portraits est peut-être l’identification de ce chantier qui semble prioritaire pour que de ces innovations, de ces expériences, de ces investigations émerge un cadre de droit commun.

Le cadre de plus avancé pour accompagner ces processus est l’Agenda 21 culturel. L’Agence Française de normalisation – l’AFNOR – vient de publier un guide méthodologique « développement durable et responsabilité sociétale appliquée aux collectivités locales. ». L’agenda 21 peut être initié par tout acteur, pourquoi pas les musées ?

Prosper Wanner, janvier 2008

PORTRAITS 

  1. La  barque L’Espadon, bien inaliénable partagé. 
  2. Refuges d’Art, une  œuvre d’art contemporain essence de développement durable
  3. La grotte des Carmes – entre Monument Historique et source de développement durable

INDICATEURS

Indicateur COOPÉRATIF N°1 – valorisation économique.

Le premier angle d’analyse vise à rendre plus explicite l’intérêt de l’entrepreneur. Il n’est ni un client, ni un fournisseur et ni un mécène du Musée mais bien l’associé d’un projet commun. Comment y trouve t il son compte ? En quoi cette coopération renforce-t-elle son positionnement ?

Indicateur COOPERATIF N°2  – Efficacité.

Le second indicateur vise à mesurer l’efficacité de la coopération du point de vu du Musée. C’est-à-dire sa capacité à atteindre les objectifs correspondant aux missions d’intérêt général inhérent au projet de coopération. Afin de pouvoir comparer l’efficacité du processus coopératif au regard d’autres expériences et à la cible que s’est fixée l’Etat pour les années à venir, cet indicateur est au préalable identifié au sein de la LOLF.

Indicateur COOPERATIF N°3 : – Efficience.

Ce troisième indicateur toujours concernant le Musée porte sur l’efficience de la coopération. L’efficience désigne le fait de réaliser un objectif avec le minimum de moyens engagés possibles. Il s’agit de mettre en regard les moyens déployés et les résultats fixés. Toujours dans la perspective de pouvoir comparer l’efficience du processus coopératif au niveau national, l’indicateur est identifié au sein de la LOLF.

Indicateur COOPERATIF N°4 : – Gouvernance démocratique :

Le dernier angle d’analyse porte sur l’implication des membres de la société civile – entreprises, associations, particuliers, etc – sur les questions se rattachant au patrimoine et le niveau de conventionnement actuel.


[1] Serge Antoine (1927-2006) : Président d’Honneur du Comité 21, Membre du Conseil National du Développement durable (France), Membre de la Commission Méditerranée du développement durable. Liaison Energie – Francophonie, Editorial, pp. 4-6, IEPF, Canada.

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