LA PISTE ANIMALE #1 : on cherche nos guides…

Si j’étais un animal habitant le nord de Marseille, qu’est-ce que j’aurais à vous dire de nos quartiers? Avec quels animaux ai-je des relations dans mon voisinage ou dans ma vie quotidienne? Est-ce que j’ai déjà touché un mouton, un cochon, une vache, une chèvre? Qu’est-ce que la domestication peut nous raconter de la société que nous habitons? Est-ce que je me suis parfois senti animal? Est-ce que je me suis parfois senti animalisé•e?

C’est avec ces quelques questions et bien d’autres à glaner en chemin, que le Mille-pattes a commencé sa nouvelle enquête de voisinage.

Elle prolonge une exploration collective d’un an sur une historie longue du mal-logement, qui nous a conduit à partager des questions sur nos manières d’habiter et sur ce qui rend un environnement habitable. 

La rencontre avec des moutons pour une journée finale de transhumance dans le bassin de Séon nous a donné quelques indices et ouvert … LA PISTE ANIMALE…

L’aventure a démarré comme une veillée. Nous sommes une quinzaine, dehors il fait froid et dedans il y a un feu. Naturellement on fait cercle. On s’était donné la règle d’un jeu de rôle, où l’on argumenterait chacun•e le choix d’un guide-animal mais ça ressemble à une veillée. Et c’est plus le conte que la plaidoirie qui s’entend dans les voix, qui respectent la petite consigne : 3 minutes par animal…

Elsa est près du poêle, déjà elle dessine notre premier bestiaire…

LE LOUP

C’est avec un chant que Jeanne commence, et une parole de la chanteuse Camille pour expliquer sa reprise d’un chant traditionnel dansée comme une bourrée à 2 temps : les loups.

« C’est une chanson de femme libre. La femme qui mène les loups est porteuse de cette insurrection. Elle sait que le loup ne s’attaque au troupeau que lorsqu’il a faim. Le loup rétablit tout l’écosystème. Il peut être menaçant mais pas seulement… Cette chanson peut dire aussi en sous-texte que la femme insurrectionnelle rétablit la paix . » Camille

Regarder Jeanne et écouter le chant partagé :

Le loup est un personnage au cœur des questions contemporaines sur la place de l’humain, sur nos rapports à la domestication, au sauvage et aux systèmes de domination. En même temps qu’il incarne la difficulté des hommes à cohabiter avec le sauvage, il est parfois aussi l’allié pour raconter l’air de rien les prédations des humains entre eux.

Cette proposition du loup a déjà ouvert quelques pistes :

Le chant d’abord, puisque nous allons poursuivre avec Jeanne et Willy, un samedi après-midi par mois à partir de janvier, un travail de chœur.

La compréhension de la présence du loup dans notre territoire, puisqu’il est maintenant présent dans les massifs des Calanques, de la Ste Baume ou encore en Camargue.

Et aussi suivre ce que le loup nous raconte de nos relations aux autres, humains ou non humains. Agnès propose alors de lire le livre publié par l’éditeur marseillais Wildproject « Le loup et le musulman », qui associe désastre écologique et islamophobie… A suivre !

LE MOUTON

On passe du loup au mouton ! Il fut notre guide pour la fin de notre chantier sur le mal-logement l’an passé, en nous permettant à la fois de questionner l’habitabilité de nos quartiers et aussi de vivre un grand moment d’hospitalité.

Fadila, Taous et Baya nous racontent leurs attachements à l’animal, sa place dans leurs cultures algériennes mais nous rappellent également les usages partagés entre ici et là-bas, à commencer par ceux de la laine. La transhumance de septembre nous a marqué, les retrouvailles avec la laine tout particulièrement.

On sait que le mouton c’est aussi l’histoire de nos consommations et pratiques alimentaires, l’abattage, la boucherie dans nos quartiers, la possibilité d’un éco-paturage à Marseille… Mais à la Castellane, c’est la laine qui nous guidera !  

LES CHÈVRES SAUVAGES

Nous glissons doucement vers le sauvage, avec la drôle d’histoire des chèvres domestiques redevenues sauvages dans les collines de la Nerthe. Nicolas, Lionel et Chloé nous racontent la survivance des chèvres domestiques en Provence, les usages, les contes, mais se passionnent avant tout pour ce groupe de chèvres « libérées » qui font polémiques. Quelle légitimité pour ces animaux de l’entre-deux, entre urbain et collines, entre imaginaire provençal et peur de l’invasion, entre protection et extermination ? A suivre sans doute en mode balade en colline, sur la piste de cette faune sauvage qui habite nos villes sans nos consentements, la piste férale !

Et en audio Agnès, qui n’était pas là mais a choisi elle aussi de s’intéresser aux sauvages des villes avec LE RAT.

LES OISEAUX

On reste dans le trouble des relations sauvages ou domestiques. Les oiseaux… Nous sommes nombreux à avoir choisi un oiseau et témoignons de sentiments multiples pour dire les relations qu’il nous évoque : perte, émerveillement, colère, peur …

L’une des histoires racontée par Willy est cet Ara du Gabon qui vit en liberté depuis 2 ans dans les arbres de Mourepiane, provoquant une sorte d’attention collective par l’écoute de son chant. Lui aussi raconte ces transfuges qui passent du domestique au sauvage. Mais il évoque aussi l’ailleurs de l’oiseau, ramené de force ou aux trajectoires migrantes, et nous rappelle aux mystères de l’évolution, dans laquelle chants et couleurs sont utiles, ou pas…

Et puis l’oiseau peut nous guider vers un changement de points de vue, à l’échelle de la carte ou des diverses places qu’il occupe dans les cultures multiples qui composent nos quartiers.

Ecouter et regarder Alice, Claire, Willy et Arlette.

LES INSECTES et d’autres qui les mangent

L’appauvrissement des chants d’oiseaux dans nos quotidiens témoigne de la disparition des habitats et d’une certaine biodiversité, même si paradoxalement les villes deviennent peu à peu des meilleurs spots que les campagnes dévastées par l’agriculture industrielle. Alors profitons-en et allons nous sensibiliser à tous ceux qui, plus invisibles, nous racontent les éco-systèmes et révèlent plein d’autres géographies!

Entre une fable de Desnos proposée par Danièle pour danser la tarentelle avec les SAUTERELLES, une invitation à suivre les chemins de l’eau au son des GRENOUILLES avec Elsa , un poème écrit par Georges en hommage à la IULE libre qui nous rappelle qu’elle est Mille-pattes, et l’envie de Hugo de cartographier les habitats des CHAUVE-SOURIS, c’est la fête !

Saute, saute, sauterelle,

Car c’est aujourd’hui jeudi!

Je sauterai, nous dit-elle,

Du lundi au samedi.

Saute, saute, sauterelle,

A travers tout le quartier.

Sautez donc, Mademoiselle,

Puisque c’est votre métier.

Robert Desnos

L’ IULE : LE MILLE PATTE 

J’ai fouillé dans ma mémoire des livres, les Saints, les savants,

Je n’ai pas trouvé ta trace, IULE, même dans l’Arche de Noé

Incognito parmi les reptiles qui rampent.

J’ai écouté SAINT SAENS et autres orchestres d’animaux.

Mais dans ce défilé carnavalesque,

                  Je n’ai pas entendu ta musique IULE,

Ni t’ai vu faire la fête.

J’ai cherché dans les ZOO : ce n’étaient qu’animaux venus d’ailleurs !

Rois ou Princes là-bas, imposants par leur force, leur taille, leur agilité

Prisonniers ICI dans leurs enclos, mangeant et dormant sous le regard des visiteurs

                  Je ne t’ai pas imaginé IULE

                  Te laisser mettre en cage et renoncer à ta liberté.

Sous les chapiteaux, il n’y a plus de montreurs d’ours ni de dresseurs de tigres

Il faut être un clown pour dresser des puces !

                  Mais aucun acrobate n’a jamais pensé à te dresser !

IULE

Dans les fermes et les prés, moutons, vaches, cochons

Et autres animaux élevés

Dans nos maisons, chiens et chats, animaux domestiques,

Fidèles amis que nous tenons en laisse

                  Tu n’es ni élevé, ni domestique ! IULE.

                  Tes colliers, la nature t’en a paré et tu y restes libre !

J’ai rejoint les Quartiers Nords et mes pas m’ont mené dans les collines

Et là ! sur les sentiers caillouteux, je t’ai vu : un, dix, des cents et des milles

                  IULES vous descendez en bande, horde sans fin, tout de noirs vêtus !

                  Grimpants après la pluie à l’assaut de nos habitats

                  Indifférents aux roues des VTT et aux pieds des marcheurs

                  Immense Armée de l’Ombre !

J’ai rejoint les Quartiers Nords et mes pas m’ont mené de villages en cités, de collines en vallées

Et là, dans ces lieux cabossés, délaissés, IULE, j’ai vu :

Nos pas solitaires sont devenus Mille Pattes !

Marchant en bande libre et joyeuse

A la rencontre de 1000 et autres récits de vies à écouter, mettre en lumière.

Et se mettent debout les rampants incognitos,

Et se font clameurs et chansons ceux dont la musique n’était pas entendue !

Milles Pattes, vous descendez en bande, horde sans fin, vêtus de milles couleurs !

Venus de nos quartiers partager vos combats, défaites et victoires

Montant à l’assaut de nos Villes et Métropoles

Indifférents à ceux qui veulent vous enfermer, dompter, domestiquer…

Tu es là, IULE,

Vous êtes Mille Pattes !

Immense armée de lumière !

C’est le Carnaval des animaux, le temps de faire la fête !

Georges

LES CHATS

Ces géographies animales nous sont peut-être plus observables grâce au chat. Evangéline et Micha nous racontent leur rencontre avec des habitant•es qui tentent de « réguler » par des maraudes de stérilisation la surpopulation des chats. Elles nous confient les questions que cette pratique « sous les radars » leurs inspire, quand par ailleurs certains propriétaires en appellent aux pouvoirs publics pour appliquer des modalités plus expéditives, et pas que pour soutenir la biodiversité… Entre notre amour pour l’animal de compagnie et la crainte de l’invasion de sa version « libre », on retrouve ces contradictions qui révèlent globalement nos capacités relationnelles appauvries et les paniques provoquées par les différences nuances du « sauvage » qui se plait à habiter les villes.

LES ÂNES ET LES CHEVAUX

Et puis il y a ceux qui habitaient et qui n’habitent plus. Ceux qu’on chérissait pour leurs capacités de travail, ces compagnons de route dont la perte pouvait ressembler à perdre ses jambes, et dont les organisations collectives ont longtemps eu besoin à la campagne comme en ville. L’âne et le cheval nous rappellent les vieilles cartes postales de cet avant pas bien vieux, où le cheval de St André et sa charrette étaient connu de toustes, et où l’âne accompagnait le départ à la pêche des pêcheurs du quartier. Mlouka et Samanta nous remémorent la place de l’âne dans la religion. Comment ne pas voir un signe complice dans la « croix de Saint André », dont on racontait qu’elle était la trace de la bénédiction par la Vierge Marie pour remercier l’animal de l’avoir conduite en Egypte ! Alors oui, l’âne est un bon guide pour les quartiers nord, d’autant plus que, comme le cheval, il est un animal social qui fait du bien, qui adoucit, qui ouvre des chemins de communication et de dialogue.

Un dialogue qui pourrait même nous faire entendre les ânes encore bien présents des villes du littoral du Maghreb…?

LA POULE

Et pour finir, Julie déroule son intérêt pour la poule. À partir de sa propre expérience d’avoir mis en place un petit poulailler dans son jardin à usage de toute sa rue, elle apprécie les « ambiguïtés » de sa présence en ville. A la fois nourricière et se nourrissant de nos déchets alimentaires, domestique mais pas vraiment de compagnie, vivant dans des espaces privés mais souvent aussi dans des lieux dont on ne sait pas trop à qui ils appartiennent (talus, délaissés…), la poule et la figure du poulailler apparaissent comme une dernière résistance de culture paysanne en ville, qu’elle soit trace de l’ancien terroir ou de toutes les cultures de la Méditerranée. On trouve donc des poules partout, y compris et même souvent dans les cités populaires. Partir à la recherche des poulaillers, interroger les relations et les histoires qu’ils couvent pourrait être une piste à la fois simple et propice à la rencontre de nos voisin•es !

Les poules du poulailler de la montée Castejon à l’Estaque Riaux, en mode perruches…

Après ce foisonnement de propositions, nous avons également partagé deux autres manières d’enquêter.

« Tout petit chemin, au nom dérisoire, quasi clandestin, dis-nous ton histoire »

Comment résister à cet appel ? C’est Pierre, un ancien de Saint-Louis (97 ans !!) qui nous a écrit pour nous demander de partir à la recherche du Chemin des bestiaux. Avec plaisir Pierre, on commencera avec toi le 30 janvier prochain !

Et puis toutes ces explorations, ça donne envie à certaines d’entre nous de les nourrir par des lectures. La question animale est un chemin passionnant pour aborder énormément de thématiques qui nous concernent tous•tes, et bien au-delà du quartier.

Alors entre écoute de podcasts, arpentages de livres, on va tenter aussi de partager de la pensée un peu plus théorique.

La bibliothèque ouvrira aussi des pistes de lectures avec les enfants, et on compte bien reprendre un mille pattes des enfants avec nos complices de la Castellane !

Et c’est Chloé qui nous raconte ses premières lectures, dans l’épisode #2 de la Piste animale !

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