LA PISTE ANIMALE #2 : club de lectures

Dans son essai Ainsi l’animal et nous, Kaoutar Harchi, sociologue et écrivaine propose de réfléchir au processus d’animalisation. Tout d’abord elle rappelle comment notre culture est profondément marquée par la conviction que Nature et Culture sont des entités distinctes, voire opposées. A partir de là, les humains sont associés à la Culture, tandis que les autres êtres vivants sont associés à la Nature. Cette distinction se traduit aussi par l’idée d’une hiérarchisation, qui voudrait que les « êtres humanisés » soient supérieurs aux « êtres animalisés ». Concrètement, cela se traduit par une inégalité en droit car les êtres humanisés appartiendraient à une communauté morale, synonyme de préservation de la vie et de l’intégrité, dont les êtres animalisés seraient exclus. Inversement, ces derniers seraient soumis à la loi du plus fort et donc potentiellement exploitables et tuables à merci. Selon cette logique, les animaux sont des objets animés, dont on peut s’accaparer le corps, et qui n’auraient ni sensibilité ni histoire. 

Kaoutar Harchi avance dans son livre que ce processus d’animalisation et d’humanisation dépasse la distinction biologique humains/animaux. En effet, il existe une forme d’animalisation de populations humaines, qui pour des raisons de racisme, sexisme, validisme ou autre forme de discrimination, se retrouvent dans la même posture d’infériorité que le sont habituellement les animaux par rapport à d’autres groupes d’humains considérés eux comme « humanisés ». La chercheuse donne plusieurs exemples dont l’usage du vocabulaire « sale chien », « grosse vache » qui montre clairement la dégradation à laquelle est associée la condition animale, et comment celle-ci peut se transmettre à des humains. 

Jeanne rebondit en disant que le processus inverse existe également, que certains animaux sont quasiment humanisés, intégrant la sphère familiale par exemple. Et qu’on observe fréquemment ce paradoxe d’une hyper affection envers des animaux (en témoigne le succès des vidéos de chaton sur internet) en parallèle d’une insensibilité totale pour la souffrance d’êtres humains.

Ça me rappelle mon prof de géographie qui disait, à propos du bassin d’Arcachon : « ici, il y a des chiens qui ont un train de vie supérieur à celui d’un type au RSA ».

Alors pour la peine, et puisque Danièle l’a aussi fait, je vous partage un morceau intitulé « Money is King » et dont le refrain est :

But if you are poor, people tell you « Shoo!

A dog is better than you »

Si tu es pauvre, les gens te disent « Casse-toi!

Un chien vaut mieux que toi »

Maintenant essayons d’aller un peu plus loin en prenant le texte d’un autre auteur, anthropologue cette fois : Charles Stépanoff qui a écrit Attachements, enquête sur nos liens au-delà de l’humain. Lui aussi s’intéresse à la question des dominations, dans le rapport de l’Homme au reste du vivant ainsi qu’à l’intérieur des sociétés humaines. Son fil rouge consiste à se demander s’il existe un lien entre les relations que les humains entretiennent à leur environnement et la forme d’organisation de leur société.

Stépanoff commence par interroger la question de la domestication, qui très souvent est associée à l’idée d’une domination que les humains auraient commencé à exercer sur la Nature, avant de la reproduire au sein de leur propre espèce. La théorie voudrait qu’avant de commencer à exploiter la Nature, les humains chasseurs-cueilleurs vivaient dans une forme d’harmonie et de co-dépendance avec elle, et que l’introduction de la sédentarisation, de l’élevage et de la culture agraire ait engendré une rupture avec les écosystèmes ainsi qu’une forme d’organisation sociale pyramidale.

Or Stépanoff affirme que cette manière d’associer domestication à domination est un anachronisme. En effet, selon lui il n’y a pas de déterminisme qui associerait un mode de vie à une organisation sociale. Il existe des sociétés nomades pyramidales et d’autres sédentaires et égalitaires. Autrement dit, il y a une grande diversité dans les types de liens entre humains et entre humains et non-humains, et toutes ces formes de relations sont susceptibles d’évoluer. 

Par « types de liens », l’auteur donne des exemples multiples comme lien affectif, thérapeutique, alimentaire, technique, mythologique etc. On pense facilement à la connexion forte et immédiate qu’entretiennent des populations qui extraient directement leurs moyens de subsistance de leur environnement, comme le peuple Tozhu que décrit l’auteur. Pour ces habitants de la Toundra éleveurs de rennes, les types de liens avec les animaux et les plantes sont très nombreux et peuvent se combiner. Par ex. le rapport au renne est à la fois nourricier, affectif, pratique et mythologique. Mais les humains des villes ne sont pas en reste car ils entretiennent également de nombreux liens sociaux et affectifs avec les plantes et animaux autour d’eux, bien que leurs ressources nourricières proviennent d’origine indirecte, via de nombreux intermédiaires (magasin, revendeur, transporteur, producteur). Contrairement aux Tozhu, les habitants des villes différencient leurs sources de rapports affectifs (=proches) et leurs sources de rapports nourriciers (=éloignés). Ainsi les premiers entretiennent un réseau dense avec leur environnement, tandis que les second ont un réseau étalé. 

Pour Stépanoff, la forme du réseau, c’est-à-dire des formes d’attachements, est primordiale pour expliquer quelles sont les formes de relations que les humains entretiennent avec le monde autour d’eux puis  à l’intérieur de leur propre société. 

L’approche de Stépanoff, plus nuancée que celle de Kaoutar Harchi, se nourrit du renouvellement de l’anthropologie et de la pensée écologique de ces dernières années :

En anthropologie, des chercheurs comme Descola, Latour, Hallowell ont remis en cause l’idée que la sociabilité se limiterait aux rapports des humains entre eux, car leurs interactions (réciprocité, dette, attachement, parenté..) incluent également les non-humains.

En termes de vision écologique, on a longtemps considéré l’humain comme un perturbateur des écosystèmes. L’humain serait extérieur et nuisible à la Nature. De là le paradigme de la protection des milieux en empêchant l’Homme d’interagir avec, par exemple le dispositif des Parcs Nationaux. Or, les découvertes récentes en science de la Terre ont montré que les écosystèmes terrestres sont façonnés à plus de 75% par l’activité humaine et ce depuis plus de 12 000 ans ! Cette influence n’est pour autant pas synonyme de destruction ou de diminution de la biodiversité en soi. Si c’est ce type d’influence qui nous saute aujourd’hui aux yeux, c’est parce que nos usages sont à présent majoritairement tournés vers l’extractivisme intensif, mais pendant longtemps ça n’a pas été le cas. Ainsi, les humains sont des composantes déterminantes des communautés vivantes, de la plus dégradée à la plus riche. L’environnement est à la fois composé d’éléments biologiques mais aussi d’éléments culturels : gestes techniques (ex cueillette), mythologie, organisation politique. Les écosystèmes sont donc en réalité des socio-systèmes  qui entremêlent phénomènes biologiques, écologiques et culturels.

Le bouquin de Stépanoff consistera à s’interroger sur la manière dont les réseaux, denses ou étalés, génèrent différents types de socio-systèmes, et à se demander lesquels possèdent la plus grande capacité de résilience. 

Charles Stepanoff à retrouver en podcast sur arteradio: Vivons heureux avant la fin du monde : l’amour Wouf

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