MADE IN THE RIVER#1

Made In The River est un projet de créations plastiques et de narration mené par Charlie, Chloé, Arlette et Melville autour de la rivière des Aygalades, basé sur l’imitation de la manière dont la rivière digère les matières qui tombent dans son lit. Ce projet se décline en une série d’ateliers de création de costumes et d’accessoires de déambulation carnavalesque de février à septembre.

Oubliée, malmenée, convertie en décharge aquatique.

Ainsi fait, le portrait de la rivière des Aygalades ressemble à la préfiguration d’un monde désolé et désolant.

Pourtant, jour après jour la rivière infiltre les obstacles qui parsèment son lit, allant même jusqu’à les remodeler à sa guise. Monticules d’ordures, éléments urbains en béton et matériaux composites (organiques et inorganiques) finissent par céder aux mouvements de l’eau, aux actions de la géochimie (décomposition et recomposition), aux variations de températures. L’action globale de la rivière les achemine inexorablement (si on accepte de regarder la situation à une échelle de temps géologique) vers une intégration à sa logique propre.

Métaphoriquement, la rivière peut ainsi être comparée à un gros système digestif. Un de ces systèmes digestif non compartimentés, à l’instar de celui des méduses ou des vers plats chez qui toute la digestion passe par un seul et même organe. Très classiquement somme toute, ce gros tube de 17km de long transforme mécaniquement et chimiquement les aliments qui lui échoient en nutriments assimilables ou non.

Pour cela la rivière :

broie, démembre, démantèle, dégrade

oxyde, corrompt, ronge, dissous

extrait, réassemble, refabrique

rejette les matières non absorbables

Comme tout organisme soumis à la malbouffe et à la surabondance de nutriments, la rivière connaît un risque d’indigestion. Mais elle fait aussi preuve d’une capacité d’assimilation des excès digne d’un organisme post industriel.

Une bonne partie des “aliments” que digère la rivière sont issus du processus de production industrielle contemporain. Hier, fiers représentants des capacités de production de masse, ces objets divers sont arrivés à obsolescence et ont perdu leur valeur marchande. Signe de leur désociabilisation vis-à-vis de la Capitalosphère, ces objets sont abandonnés dans un espace ayant lui aussi perdu sa valeur : la rivière des Aygalades.

Forme de revanche sur un système marchand qui ôte à la rivière toute valeur et (croit lui avoir retirer) toute capacité d’agir, la modification profonde de la matière témoigne au contraire de la vitalité persistante de l’eau. Qu’il s’agisse de digues en béton, de grilles en métal, de carcasses de voiture, de polluants chimiques ou de micro plastiques, tous finissent par être absorbés par la rivière qui les déplace, les délitent, les fond dans son lit.

Mais la vitalité ne s’exprime pas que par l’annihilation des contraintes, elle se manifeste également par la transmission de ses capacités d’agir.

En effet, les caractéristiques des produits industriels sont 1. d’être fonctionnels 2. d’être fabriqués en masse. Or, les objets ayant échoués dans la rivière pour des raisons d’obsolescence achèvent de perdre toute fonctionnalité (en tout cas telle qu’initialement conçue) par la “digestion” : leurs formes s’altèrent, leurs couleurs se ternissent, leurs textures se modifient, ils cessent de correspondre au cahier des charges qui déterminait leur raison d’être.

De plus, la corruption de la matière a pour effet d’éloigner l’objet de sa standardisation originelle : deux canettes en aluminium, similaires à l’issu du processus de fabrication, vont rouiller, se tordre, se trouer etc… chacune de manière dissemblable.

La forme standardisée et figée de l’objet évolue vers une singularité, une autonomie, qui devient signe d’une forme d’histoire personnelle complètement étrangère à la logique de production de masse.

En plus de singulariser l’objet, la détérioration de la forme industrielle vient révéler la faiblesse, la mortalité de celle-ci. La matière, pensée par les designers pour incarner la perfection, une promesse d’immortalité, témoigne soudainement de sa soumission au Temps. Cet aveu permet à l’objet industriel, parfait, et par là même étranger au monde des vivants, d’être réintégré à celui-ci.

Cette réintégration par l’aveu de faiblesse fait dès lors disparaître la barrière absolue entre l’être organique et l’être inorganique, et rend possible l’empathie, l’identification : non pas l’anthropisme mais la conscience d’appartenir à la même matérialité et d’être soumis aux mêmes règles de “fabrication”, “transformation”, “hybridation”, “dissémination”.

Réintégrer les scories de l’industrie au monde des vivants dont elles avaient été enlevées par le processus industriel permet de sortir des dichotomies (“propre/sale”, “vivant/non vivant”, “bon/mauvais” etc) afin d’au contraire renforcer la perception d’une vitalité ambiante, caractérisée par cette capacité de transformation incessante de la matière.

En enlevant le jugement moral sur les “déchets” travaillés par l’eau, nous reconnaissons la capacité d’agir de la rivière et nous pouvons nous en inspirer. Il ne s’agit pas de “sauver” une rivière passive ou uniquement victime mais de prendre modèle sur elle pour augmenter à notre tour notre vitalité. Le “prendre soin” de la rivière commence ici par une sortie de la posture dominante et coloniale du sauveur, pour humblement endosser celle de l’observateur, de l’apprenti.

Imiter la rivière dans son processus de récupération, de transformation et de revitalisation des scories industrielles nous permet de nous reconnecter à notre tour à notre capacité créatrice, démiurgique, sentir qu’il est encore possible d’agir dans le monde à partir de ce qui est présent, accessible, sans ajouter au désordre ambiant.

De même que la rivière hybride la matière en floutant la séparation entre l’organique et l’inorganique, la fabrication de costumes à partir des matériaux collectés dans la rivière ouvre une nouvelle branche d’hybridation possible : celle de la chair humaine et de la matière issue de la rivière.

En acceptant de me costumer, je joue le jeu de changer mon identité, de devenir autre et ainsi de rendre possible des perceptions, des sensations partagées avec d’autres entités. Le travail de CRÉATEUR me permet de devenir CRÉATURE.

Le 1000 Pattes à Saint André#1

En octobre, à l’entrée de la saison hivernale (même si en vrai il faisait encore bien doux), le 1000 Pattes s’est lancé dans un nouveau chantier dans le quartier de Saint André, où Christine Breton avait fait, 20 ans en arrière, un gros travail patrimonial avec les habitant.e.s.
Nous avons donc décidé de marcher dans les traces de ses pas, dans ce quartier que de nombreuses personnes (y compris ceux qui y vivent) disent être “mort” ou “mourant”.
Dans ce contexte, qu’est-ce que ça donnerait de chercher à relier les fragments d’histoires, de les tisser avec nos petites (mais nombreuses) pattes ?

Pourrait on trouver un moyen d’insuffler de l’envie dans ce territoire qui ne semble attendre qu’une étincelle pour affirmer toute sa vitalité ?

Comme à chaque début de chantier 1000 Pattes, on a commencé par une séance à la table, dans la cour de Jeanne, qui vit dans sa maison de famille. On a chacun.e partagé ce que nous inspirait Saint-André.
Il en est ressorti à la fois beaucoup et pas grand chose, selon qu’on y ait vécu, comme Amid et Jeanne, ou qu’on y soit seulement passé maintes fois, en voiture qui plus est.
Heureusement Christine, qui connaît bien le sujet, était là pour nous donner des indices.

Pour que ces indices gardent de leur mystère, Julie a proposé de les synthétiser sous forme de “devinettes Carambar”.

Voici ce que Julie entend par là :

– De quoi l’arrêt du bus St André PN nous informe t-il?

– On utilise mon premier pour s’accorder

Mon second vient après le ré

On dit de mon 3ème qu’il représente nos intérêts pulsionnels

Mon 4ème s’entend de loin

Mon 5ème dit bonjour en espagnol

Mon tout pourrait résonner et chanter avec tout le village.

– Chez certains je suis une vieille tradition provençale, chez d’autres je suis une tradition qui s’invente au jour le jour, partout je parle de subsistance et de Méditerranée. Qui suis-je?

– De quel habitat Grand camp est-il le nom?

– Où se trouve l’âne de Saint-André?

– Quel était le nom du bar que tenait la Tante Yaya?

– Quelles sont les deux grandes familles de Saint André qui jouent à saute-mouton?

– Régine Crespin était : 

une institutrice de l’école rouge

une cantatrice marseillaise

une habitante de la Pelouque

la grand mère de Michel Crespin

A vous?

La suite au prochain épisode.

La Balade Harmonique : récit du 2 mai 2021

Après bien des turbulences, la date du 2 mai 2021 finit par arriver et la Balade Harmonique, tant de fois annulée, remaniée, transformée, eu lieu !

Dominique Poulain, la photographe officielle de la coopérative, en a fait une photonovella à même de raconter cette épopée

Tout commence par la photo du bicentenaire

Un siècle nous sépare…

Départ de l’Harmonie de l’Estaque

Arrivée sur le Pont de Bovis et discours du maire du pont

L’histoire du pont et des habitant.e.s des deux rives par Daniele et Agnès

Et puis on chante “Ederlezi” pour souhaiter la bienvenue à Lazlo, le bébé né l’année dernière à la toute fin du confinement

Expérimentations autour du mobilier urbain par Aldo

Pendant que Chloé et Antoine font le mur

On longe le chemin du Balicot et les containers stockés les uns sur les autres

Jean, M’louka et Christine racontent l’histoire de l’invention des containers comme moyen de transport international et efficace des marchandises ainsi que sur les transformations industrialo-portuaires qu’ils génèrent

Sous le pont, on chante en harmonie

Vers Saint-Henri

Notre groupe nombreux et musical ne manque pas d’attirer l’attention des voisin.es

Arrivée place Raphel

Plus d’une histoire à raconter à propos de cette place, et de la mystérieuse ressemblance entre l’Harmonie de la Sainte Cécile et le cinéma l’Alhambra

L’interprétation magistrale du poète Saint Pol Roux par Loïc

Puis la Fanfare des familles nous conduit jusqu’à l’Orphéon, le local où se sont retrouvées les toutes premières chorales ouvrières au début du XIXe

L’histoire des sociétés musicales nous est contée par Jean-Pierre Daniel et Gérard Leidet, questionnés par Danièle et Mathilde

Pendant ce temps, Willy et les choristes se préparent à entamer Indian Red

Par le chant interprété collectivement et sans interruption tout le temps de la montée vers la Montjarde, le groupe se transforme en orchestre..

L’arrivée à la Montjarde

Le Vacarme Orchestra donne le rythme et représente le centre ville, à travers les initiatives qui associent musique et cohésion du territoire

On souffle un peu dans le petit théâtre de Verdure.

Tchatchade avec Jean Marie, Bernard Jeunet et Michel Teule à propos de la Montjarde, bastide, usine et lieu d’habitat collectif

Grand8 en pleine impro libre sous les arbres

Miramar, c’est par ici !

Le Grand final : Bienvenue à Miramar

Les choristes entraîné.es par Willy entament des chants de carnaval

Des visiteurs venus de Foresta

Moment de lyrisme avec Marie

Puis on se déchaîne avec le tube du moment “Danser encore” de HK

Tout finit toujours par un pique nique

Derrière les arbres, le containers voisins, dont la prolifération menace le terrain de Miramar. Qu’importe, les habitant.es, les voisin.es, les ami.es sont là pour protéger ce poumon vert des quartiers nord

La Balade Harmonique (ce qui se cache derrière les coulisses)

Deux ans, deux reports et trois confinements.
C’est bien le temps qu’il faut pour tracer un chemin.
Deux ans, c’est bien peu de temps pour relier des communautés.
Et pour jouer de la musique, combien en faut-il d’années ?
Deux ans pour imaginer collectivement une balade, non pas pour chercher à devenir musicien.nes mais pour l’être dès qu’on prend part à l’élan collectif.

Etape 1 : au commencement, le bicentenaire de l’Harmonie de l’Estaque

En 2020, l’Harmonie de l’Estaque a soufflé sa deux centième bougie. Sise à proximité de la gare de l’Estaque, ce lieu raconte l’histoire de la sociabilité ouvrière, des rapports complexes avec les patrons (qui le fondèrent et le financèrent avant que des groupes de travailleurs, souvent lié aux mouvements communistes très actifs dans les quartiers , ne le prennent en main) , et témoigne du dynamisme artistique de ce territoire.
Toujours active mais un peu lasse de ses habitudes, l’Harmonie a trouvé grâce à la nomination de son actuel président, Henri Gil, un nouveau souffle. Le bicentenaire est alors devenu l’horizon et le cadre d’un vaste désir de maillage et de coopération avec de nombreuses associations, les écoles, les artistes voisins. De nouveaux usages sont naturellement apparus dans cet élan (ateliers de chants populaires, de danses trad ont commencé à animer les locaux régulièrement, à venir la reprise avec la Fanfare des familles d’un orchestre ouvert à tous.tes…).

De là est née l’envie de fêter dignement cet anniversaire, par une grande balade qui mettrait en perspective histoire tuilière et musique. La thématique tuilière faisant le lien avec le parc urbain de Foresta, l’idée d’une marche autour de l’Harmonie a pris des proportions inhabituelles : faire une traversée, de l’Estaque à Foresta, sans jauge limitée côté public. Une balade qui aurait lieu une seule fois et qui occuperait une journée complète.
Des musicien.nes habitant.es ont été sollicité.es pour ponctuer le passage des baladeur.euses. Pour faciliter l’autonomie au sein d’un groupe très large, on a imaginé un carnet de bord contenant des informations multiples ainsi que des incitations à découvrir par soi-même en portant son attention sur tel ou tel détail discret. 

Prévue pour le 2 mai 2020, la matinée devait permettre de rejoindre l’école primaire de Saint-Henri où les élèves, très impliqués dans l’étude de l’histoire tuilière, auraient présenté avec leurs camarades de l’Estaque-Gare le fruit de leurs recherches. On aurait ensuite rejoint Foresta en ligne droite. Là, la balade se serait terminée par une grande fête, « la fête du marquis de Foresta », version moderne et carnavalesque. Cette jonction aurait été l’occasion d’une fête de quartier, impliquant l’équipe de Foresta, les enfants qui gravitent autour du centre équestre, des groupes de musique et de danse et tout le public volontaire. Cette balade était donc vraiment placée sous le signe du ralliement, et du mélange des genres voire de l’inversion des rôles… 

Reportée du fait du confinement#1, la balade harmonique a été reprogrammée en mai 2021, toujours dans le même esprit de rassemblement et de mouvement collectif.

Etape 2 : de la persévérance en temps de confinement

Le confinement de mars-mai 2020 a complètement bouleversé le programme de balades et d’explorations de la coopérative. Toutefois, dès le mois de juin, une série de « balades des confinés » voit le jour : les coopérateur.ices créent une forme de balade inédite, destinée à partager leur propre expérience du confinement. Au cœur de cette reprise intense, on parle aussi du report de la balade harmonique et des moyens de la transformer pour qu’elle intègre les changements récemment vécus.
Le 6 août 2020, Julie De Muer envoie un mail collectif pour informer des décisions prises lors de la réunion du 22 juin à propos du report de la balade harmonique.

<Julie Demuer>  jeu. 6 août 2020 08:58

Bonjour à tous.tes,

J’ai tellement pris de retard sur pas mal d’aventures à relancer après le confinement que je ne trouve que maintenant le temps de raconter ce qu’on s’est dit lors de nos retrouvailles autour de la Balade harmonique.

Ceux qui étaient là:  Julie, Danièle, Dominique, Jean, Jean-Marie, Henri, Mathilde

CONTEXTE POST CONFINEMENT

• L’Harmonie décide d’étendre le bicentenaire à 2021.

Dans l’état d’esprit, les présents à la réunion étaient tous d’accord qu’il ne s’agissait pas tant de reporter ce qui aurait du avoir lieu le 3 mai mais de le transformer en en reprenant bien sur les ingrédients mais en s’autorisant à modifier les contenus et la manière de faire.

• Concrètement nous sommes arrivés à un scénario qui proposerait de prendre comme socle et horizon la grande balade (qui pourrait avoir lieu début mai 2021), mais qui se déclinerait en 3 balades publiques intermédiaires, correspondant aux 3 séquences qui existaient déjà dans notre premier version, et qui correspondent aussi à un ensemble d’acteurs, d’habitants, à une sensibilité, une couleur.

• Pendant le confinement, des relations se sont tissés dans des micro-voisinages. 

Hôtel du Nord en a proposé en juin des mises en forme collective au travers de 7 “balades des confinés », portées par des voisins à partir de leur vécus.

L’une d’entre elle est issue de ce qui s’est passé sur le pont de l’Estaque entre les voisins de l’Harmonie et ceux de Bovis, et a finalement repris en partie cette intention de la grande balade autour de la liaison entre le bas et le haut.

Elle s’est déroulée le 28 juin (très très bien) et amène une nouvelle énergie pour la balade Harmonique en construction.

Il semble aussi que du côté de St Henri les enseignants ont repris la thématique tuilière pour élaborer un projet pédagogique pour l’an prochain. Si c’est bien le cas (Amandine n’était pas à la réunion, on s’en est parlé rapidement en se croisant) il y a la encore sans doute un niveau de « tricotage » qui pourra se faire entre balades qui relient et actions de la communauté active localement.

Seulement voilà : dès novembre advint le confinement#2, lequel emporta notre programmation de balades intermédiaires, du fait de l’interdiction de manifestation publique ainsi que de la démobilisation qui touchait les personnes investies dans le projet de la célébration du bicentenaire.
Cependant, la balade continuait de faire son chemin dans nos esprits et au fil des rencontres, elle continuait à prendre forme.
Nous avons ainsi gagné de nouveaux complices notamment le collectif de musiciens et danseurs improvisateurs du Grand 8, qui suite au confinement s’est découvert un vrai goût pour le plein air et qui s’associe du coup aux expériences de balades. Le 24 octobre 2020, à l’occasion de la balade du Sens de la Pente#1 (qui échappait de justesse au reconfinement), le collectif accompagnait ainsi l’exploration du massif de la Nerthe proposée par Hôtel du Nord, la Déviation et Thalassanté dans le cadre de l’événement Non Site/On site.

Les échanges et les rencontres (notamment avec Laura Spica du Vacarme Orchestra, Olivier Bost du Grand8/Fanfare des familles, Manu Théron et Claude Freyssinet de la FAMDT) ont fait se recentrer la thématique de la balade sur la musique populaire et ses modes de transmission. Aux vues des difficultés à travailler avec les écoles dans le contexte sanitaire, certains aspects initialement prévus ont été mis en suspens au profit d’une forme musicale et participative. L’idée étant que cette balade soit un concert ambulatoire de l’Estaque à Foresta et que le groupe de marcheur.euses se transforme au fil des rencontres musicales en un orchestre total au sein duquel chacun.e aura un rôle rythmique et mélodique. A Foresta, la journée pourrait alors se prolonger par des ateliers de musique et de danse et se terminerait par une représentation collective, où les frontières entre spectateurs et artistes seront brouillées.

Ces multiples reprogrammations et annulations, transformations au grès des rencontres, exercices de souplesse pour tenter de s’adapter aux multiples et changeantes directives gouvernementales étaient à la fois porteuses de créativité et d’affinage de la proposition, mais également facteurs d’essoufflement. Au début de l’année 2021, la question devint dès lors de savoir si la dimension collective était toujours présente et si suffisamment de personnes étaient prêtes à s’impliquer une nouvelle fois. Le 8 mars, une date est alors fixée pour la « réunion de la dernière chance ».
Il en ressortit que nous étions nombreux.ses à être prêt.es à se faire confiance et à s’engager collectivement dans la réalisation d’une Balade Harmonique prévue pour le 2 mai, et ce malgré les incertitudes.

Etape 3 : être en harmonie, déf : capacité à marcher ensemble

<Mazzani Chloe>  mar. 9 mars 18:27

Hello,

Afin de raccrocher les absents et de remettre en commun ce que nous avons partagé lundi autour de la table, voici un petit récap de la balade harmonique telle qu’elle se dessine à l’heure actuelle :

La balade démarre de l’Harmonie de l’Estaque et chemine jusqu’à Foresta, à travers des paysages reliés par l’histoire tuillière mais visuellement,auditivement, urbanistiquement, socialement aussi sans cesse en rupture. 

Cette mise en mouvement est initiée par un prétexte qui reste à préciser : débat autour de la création de l’Harmonie ? recherche d’une tradition de transhumance orchestrale perdue ? Invitation à la fête du marquis ? 

Cette version de la balade place la musique au centre : la musique fait partie de la marche elle-même, elle souligne, fait sonner le paysage en même temps qu’elle participe à la narration des histoires que nous voulons raconter.

Cette marche est aussi un moyen de faire l’expérience de la musique en tant que moment de faire-ensemble, de fabrication d’un corps collectif. Cela par la rencontre du groupe de marcheur.euses avec des formes musicales collectives, par l’endossement d’accessoires sonores, par jeu avec le mobilier urbain, par tout ce qui peut permettre de transformer le rythme de la marche en rythme musical.

Afin d’également transmettre des connaissances sur l’histoire et le patrimoine des espaces traversés, de partager des témoignages, des protocoles, des jeux etc un livret va être fabriqué collectivement et distribué aux participant.e.s, tel un conducteur d’orchestre réunissant les multiples lignes de chant.

Pour l’instant on est parti sur une forme de 3-4h de marche (départ de la balade à 9h30 pour une arrivée à 13/14h). Le pique nique aura lieu à Foresta, où la balade sera accueillie et pourra devenir un après midi partagé autour des histoires d’argile et de tuiles. On a aussi évoqué l’hypothèse de ré-exposer à Foresta les travaux des écoles (ce qui avait été fait avec Jean François il y a deux ans).

L’itinéraire que nous allons explorer dimanche est le suivant :

Harmonie de l’Estaque – pont de la gare – chemin le long de containers – clairière de l’ancienne bastide Miramar – la Monjarde – place Raphel – les Castors – gare de St Henri – rond point en bas de la Castellane (vers la piscine) – montée vers Grand Littoral et passage sous les fondations – Foresta 

Rendez-vous dimanche 14 mars à 9h au 22 traverse de l’Harmonie (devant chez Danièle qui offre le café) pour parcourir cet itinéraire ensemble et faire jaillir les idées !

C’est le dimanche 14 mars que reprirent enfin les explorations marchées. En réalité, le démarrage fut long et quelque peu laborieux : nous venions de prendre conscience que la date du 2 mai tombait cette année en plein milieu du mois de ramadan, ce qui compromettait la participation de nombreuses personnes, notamment celle des enfants et des mamans de la Castellane que l’on voulait explicitement rallier. Pour autant, impossible de changer la date, fixée depuis plus d’un an, car on perdait à nouveau des membres clefs de l’équipe. Après moult tempêtes de cerveau, il décidé de simplement changer l’horaire de la balade : qu’elle ait lieu l’après midi et non plus le matin, de manière à pouvoir faire la rupture du jeun à Foresta.

<Dominique Poulain> dim. 14 mars 2021  18:40

Je ne  résiste pas, mes amis… quand on réfléchit ensemble à une date plausible pour la balade, ça donne …ça ! 

Une fois résolu ce problème nous partons explorer le parcours afin d’imaginer les interventions parlées et musicales.
Une attention particulière est portée à la fin du parcours : à la colline-remblais de Grand Littoral/Foresta. Il apparaît comme vraiment important de relier ce territoire à notre point de départ de l’Estaque-Saint Henri, du fait de l’histoire tuilière commune et de l’envie d’effectuer la traversée pédestre du bassin de Séon, alors même que la zone du remblais a été aménagée exclusivement pour la voiture et que le piéton ne s’y sent pas très invité. Relier Foresta grâce à la balade Harmonique apparaît aussi comme un moyen de contribuer au processus d’intégration du parc urbain à son voisinage, comme le projette l’Assemblée de Foresta

<Julie Demuer>  dim. 14 mars 20:45

Une dernière petite image/texte issu du bouquin de Valérie Jouve, en écho à celui que je vous ai lu devant la Gare de St Henri. Le secret de fondation de l’effondrement de Grand Littoral.

Ce petit texte résonne fort pour moi avec ce qui s’est exprimé très récemment lors des dernières assemblées collectives qui se sont déroulées à Foresta, et qui ont laissé surgir l’importance d’œuvrer à partager nos histoires.

Dans sa nouvelle version, la balade se structure notamment autour d’un chant « Indian Red », qui tisse l’évolution du groupe vers sa « transformation » en corps collectif et en orchestre. Le chant est transmis aux participant.e.s en amont grâce aux sessions de chant animées par Willy une fois par semaine au cinéma l’Alhambra.

A partir de cette semaine, tous les jeudis, la session chant animée par Willy commencera par un temps de transmission du chant. La prochaine fois sera sur le plateau de l’Alhambra ce jeudi à 19h.

<Le Corre Willy>  lun. 29 mars 08:36

Salut a tous.

Tout d abord, bravo a toutes ces enquêtes lettrées, imagées, imaginées et partagées. 

Un petit mot concernant la chanson Indian Red qui sera un des fils conducteurs harmoniques de la ballade. 

Je mène par ailleurs des cessions de transmissions de chants de carnavals dont “Indian Red”. 

Je voulais donc vous convier dès  ce jeudi 19h/22h à l’alhambra afin que vous puissiez l’apprendre également. Je commencerai la cession par ce chant. 

Vous pouvez évidemment rester toute la séance et tenter de monter en route dans ce “char” chanté en cours de construction. 

Des bises.

Willy

Début avril, un nouveau confinement est mis en place : mais il est trop tard, le groupe a trouvé son rythme de croisière et se met à l’ouvrage pour préparer la journée du 2 mai…fusse t-elle sous le coup des restrictions.

On se met alors à travailler par petits groupes afin d’avancer sur les différents chantiers :

Willy et Jef préparent de quoi déjà assembler une centaine d’instruments (bâtons sonnaille, ceintures ou bracelets avec des tessons d’argile…) qui seront distribués aux participant.e.s durant la balade afin de contribuer à leur transformation.

Un chant continue à se transmettre et être enseigné par Willy aux habitants chanteurs et par Olivier à la Fanfare des familles.

Une session de travail a lieu en petit comité pour préciser la trame qui permettra d’articuler toutes les interventions durant la marche et la narration.

Une première réunion à Foresta a permis de commencer à dessiner la manière d’accueillir la balade le 2 mai mais aussi de trouver les manières d’impliquer les enfants et les familles qui fréquentent le parc dans la préparation.

Willy a repris contact avec l’Ecole Rabelais et finalement ils vont pouvoir malgré la situation sanitaire préparer une partie des instruments avec les enfants.

Des nouvelles rencontres ou retrouvailles ont eu lieu avec Nathan qui a passé 5 mois en immersion en 2020 à Foresta pour expérimenter des manières de mettre en récit les histoires à partir des savoir-faire des habitant.es, de l’argile et de la fête, avec Rama Diallo qui, avec ses collègues sénégalais, transmets dans les quartiers les traditions musicales et les contes d’Afrique de l’Ouest toujours en circulation à Marseille, avec Julien qui habite à Saint-Henri mais est aussi le fondateur de la Rara Walib, et bien sur avec Chadly, Hamida, les mamans super actives de l’école Amasie qui composent aujourd’hui une partie de ce qui s’appelle l’Assemblée Foresta.

Olivier, Willy et Laura ont continué à échanger sur l’imbrication des formes musicales.

Les uns et les autres ont envoyé de la doc, des photos, partagé des enquêtes, des idées ou des lectures.

Concernant la narration, une bascule est proposée par le groupe: au lieu d’aller à la Fête du marquis (qui demande finalement beaucoup d’explication pour devenir compréhensible à qui n’est pas natif ou spécialiste d’histoire locale), ils ont proposé de repartir d’une question à la fois simple et complexe: « c’est quoi l’harmonie? ».

Toute cette activité est accompagnée de l’écriture intensive du livret par Julie et Chloé, qui condensent les recherches menées autour de l’histoire de l’Harmonie de l’Estaque, l’histoire ouvrière et tuilière du bassin de Séon, l’évolution industrielle des collines, les bidonvilles, la renaturation du remblais de Foresta, dans une déclinaison de la définition d’harmonie. Le livret est accessible : ICI

Etape 4 : dernières minutes

Selon l’endroit où chacun se trouve, la réalité du confinement et des « risques » du maintien d’un événement public affecte différemment. Ainsi, quelques jours avant la date de la grande balade, l’équipe de Foresta décide de se retirer, ne se sentant pas en mesure d’accueillir du public sur le site.
Au dernier moment le parcours change et prend pour point d’arrivée le parc de l’ancienne bastide de Miramar qui a attiré un intérêt croissant au cours de la construction de la balade. Ce changement de dernière minute déçoit quelque peu les efforts investis pour rallier Foresta. Cependant, la réalité de Miramar, un espace arboré et fréquenté par le voisinage, menacé par une acquisition privée manquant de transparence et par des projets d’extension industrielle, fait écho de manière frappante avec la réalité foncière du parc urbain Foresta. La transformation de l’itinéraire apparaît dès lors comme un jalon qui permettra de renforcer les liens avec la communauté de Foresta.

L’émulation créée par la Balade Harmonique a permis la mise en place d’une mobilisation citoyenne rapide et efficace au moment où les pins de Miramar se sont retrouvés sous la menace de trançonneuses. Marie, Agnès, les habitant.e.s de la Monjarde et tout une constellation de voisin.e.s plus ou moins proches ont commencé à s’investir pour la préservation et l’animation du lieu. Leurs aventures sont en ligne sur la page Sauvons Miramar et bientôt viendra un récit complet !

Pour le 2 mai, il est décidé de ne pas communiquer officiellement, mais d’inviter chacun.e à informer son cercle, tout en expliquant la démarche particulière de cette balade dont l’adresse est avant tout destinée aux habitant.e.s mêmes du territoire traversé.

Prêt.es pour la levée de rideau en ce 1e mai ! L’équipe se réunit à l’Harmonie de l’Estaque-gare juste avant d’entamer un dernier repérage sous une pluie battante

La suite de l’aventure harmonique, c’est ICI !

La Trame Verte #1

Vendredi 11 décembre – du parc Borély à la société d’horticulture

Un petit groupe explore un pan des quartiers sud le long de la trame verte qui va du parc Chanot à la société d’horticulture, longeant l’Huveaune, traversant parcs et jardins, dénichant les traces du domaine rural de Bonneveine. 
Suivre les plantes pour remonter le temps et aller à la rencontre des Hommes qui ont voulu mettre la connaissance du monde en pot.

Il était une fois en 2020, un congrès mondial de la nature qui devait se tenir à Marseille au Parc Chanot et qui était maintes fois retardé.

Il était une fois l’histoire des jardins botaniques de Marseille qui au gré du temps se plaisaient à se déplacer, accueilli depuis 1898 au Parc Borély, ils ont perdu de leur grandeur et pourtant nous révèlent bien des secrets.


Il était une fois une société d’horticulteurs née en 1846, détentrice de savoirs et de savoirs-faire en plantes cultivées et en botanique.

Notre première expédition a eu lieu en octobre. Le rendez-vous était donné au parc Chanot, site crée et aménagé pour l’Exposition Coloniale de 1906. Aujourd’hui, rien ne subsite de cet évènement, hormis un pavillon de l’automobile du coté du boulevard Rabatau. Après avoir le stade vélodrome, nous rejoignons le lit de l’Huveaune, encore à sec avec la fin de l’été.
Il est étrange ce petit fleuve à sec. Inversant le sens du courant, c’est en s’approchant de la mer que le lit se remplit.

La deuxième expédition a lieu par un vendredi pluvieux de décembre. Profitant d’une accalmie, huit courageuses sont parties du parc Borély à la recherche de traces botaniques, d’histoires de jardins, d’horticulture, d’acclimatation.

Nous nous dirigeons vers la roseraie dont nous ne comprenons pas bien la nécessité des actuels travaux : vont-ils mettre en valeur les roses qui se trouvent là ? Celles là n’attendent que d’être admirés par les passants… quoique il paraît que les collections ont perdu de leur magnificence.

Nous remontons le temps à la rencontre d’un jardin botanique qui un jour est passé par là. A Marseille on ne fait jamais comme les autres, c’est bien connu, et on aime à déplacer ce qui a besoin de racines… 

Avant de trouver son emplacement actuel, au fond du parc Borely, le jardin botanique de Marseille avait trouvé asile dans les années 1880 sur le site de la roseraie, après avoir été chassé des Chartreux par la construction de la voie ferrée. Mais ce déménagement n’était pas le premier : le jardin avait été déplacé dans le 4e arr. en 1816 pour laisser la place à la construction du Lycée Thiers en lieu et place du couvent des Bernardine qui l’abritait alors. 

Déjà avant cela, le premier « jardin botanique » de la ville de Marseille avait été celui du Roi René (on dit « botanique » maintenant mais à l’époque il portait sûrement le nom de “jardin du  roi”). Ce jardin daterait de 1459 et se situait sur le quai rive sud du vieux port. Quand les soeurs Bernardines ont acquis le terrain, le jardin s’est transformé,  certainement avec plus de plantes vivrières qu’ornementales. Puis les galères sont arrivées, c’est le cas de le dire puisque l’arsenal des galères a obligé sœurs et plantes à déménager. C’était en 1668.

Après la roseraie, nous étions dans le jardin botanique. Bien installées sous le «kiosque chinois », avec une infusion chaude et parfumée, nous avons suivi l’histoire des différents jardins de Marseille grâce à des documents apportés par Stéphanie.

Le terme jardin englobe plusieurs concepts et on s’aperçoit, à travers cette histoire, que les « jardiniers » ont eu des projets très différents : un beau jardin, un jardin ordonné selon des critères botaniques, un jardin d’acclimatation qui permettrait à la science d’explorer une végétation exotique mais également de découvrir de nouvelles plantes exploitables dans l’industrie ou la médecine. Tous ces jardins, plus ou moins, relèvent de l’ethnobotanique. Lieutaghi qui a si bien analysé les relations de l’homme européen avec la « plante compagne » écrit en effet que « L’attention à tous les aspects des rapports anciens et actuels des sociétés avec la plante comme élément du territoire (terrestre et mental), comme nom, comme aliment, remède, matériau des techniques, signe, symbole, vecteur de pouvoirs, support de croyances, etc., c’est l’objet de l’ethnobotanique ».

Mais l’hiver n’est pas une très bonne saison pour visiter un jardin, il n’y a plus de fleurs et la plupart des arbres ont perdu leurs feuilles. La mélancolie ambiante est due aussi à un sentiment d’abandon : ce jardin est-il vraiment entretenu ?

Dans la bibliothèque de la société d’horticulture et d’arboriculture propice au calme, entourée de vieux livres, une discussion « numérique versus papier » s’engage : qu’est ce qui est plus couteux écologiquement entre cliquer et recliquer ou imprimer sur du papier et lire et relire ?

Nous parlons de la tradition des botanistes des « annales » associant leurs écrits et dessins d’observations botaniques et la vie des membres de la société… Les annales de la société d’horticulture (qui a souvent changé de nom mais ceci est une autre histoire) ont été toutes conservées depuis la création en 1846 puis elles ont évolué avec l’air du temps et se sont transformées en revue « Les jardins en Provence ».  Dans les années 70, une autre époque qui nous paraît déjà lointaine ! 

Christine Breton, installée depuis peu dans la Drôme, nous a envoyé une photo de la vue de chez elle sur les vignes du Dureza (c’est beau mais espérons qu’il n’y ai pas trop d’intrants chimiques). Elle nous a aussi envoyé un texte. Il s’appelle « La collectionneuse ». Quelques phrases de nos propos à ce moment là : Les botanistes ne seraient-ils pas des collectionneurs dans l’âme ? c’est le « détail qui fait sens, ne pas perdre quelque chose,… la fragilité, garder malgré tout. » et puis « peut être que  tout le monde l’a, cette posture. »

Le temps est passé vite, le soleil s’est couché, il est temps de regagner nos chez nous…

Récit polyphonique par Stéphanie Mousserin, Virginie Lombard, Elisabeth Vilaylec, Chloé Mazzani

LE SENS DE LA PENTE #6

On vous raconte les aventures du 1000 pattes, groupe d’explorateurs de grande proximité, des voisins qui marchent pour transmettre, comprendre, se rencontrer, créer et finalement mieux prendre soin de nos quartiers… Nous cheminons cette année le long de la pente qui du Massif de la Nerthe finira par nous conduire à la mer…

LE RECIT DE MARYSE

Maryse a une superbe coiffure. Un panaché de mèches de teintes diverses et vraiment bien assorties : des blonds cendrés, des cuivres et des roux qui ressemblent à une fourrure élégante de jeune renard. Elle nous accueille au seuil de sa porte, nous surplombe comme un reine. 

Nous on est là, dix abrutis par la chaleur dès neuf heures du matin à reprendre nos premières  explorations sur le Sens de la Pente post confinement. 

Suivant la proposition d’Adrien de suivre le vallon des Riaux entre le massif de La Nerthe et la mer,  nous nous laissons “couler” le long des traverses, à cueillir les prunes qui mûrissent dans les délaissés, à goûter la fraîcheur des petits jardins qui débordent des cabanons. Les noms se croisent et répètent, Puget, Michel, Chauffert, … évoquant des connexions, des mariages qui sait, entre les différentes familles actrices du développement industriel du Nord de Marseille au 19ème et 20ème siècle : tuileries, cimenteries, manufactures.

Un vieux monsieur prend torse nu le vent devant sa maison pendant que le rideau en face vole à la fenêtre d’anciens logements ouvriers. C’était la maison des directeurs, ou les bureaux, ou la maison du directeur de La Coloniale. Dans la richesse des détails le tout reste flou mais une chose est sûre, nous tournons depuis une heure autour de ce que fût La Coloniale. Sa femme nous oriente vers Cézanne “par là, plus haut c’est joli”.

“Si vous cherchez la plus belle chose du quartier, c’est moi.” reprend le monsieur. 

Maryse, elle ne peut pas marcher, elle attend depuis six mois qu’on l’opère du second genou. “J’ai dû passer presque quatre vingt jours de confinement moi à attendre cette opération”. 

Pendant le confinement Mathilde est venue l’aider, lui faire des courses, discuter.

La maison est coquette et soignée, des cigales en céramiques près de l’évier, les plantes vertes dans le salon, les radis attendent équeutés le déjeuner. Il est 11h, l’assiette est déjà mise, une seule, dos à la porte, face à la fenêtre. Oh comme c’est frais, ici. “C’était le dispensaire de Lafarge, ils ont tout revendu en 1974,  on a acheté avec mon mari en 1977. Comme on travaillait dans l’entreprise on était prioritaire.”

Dans le quartier que La Coloniale semble avoir construit en grande partie, logements, salle des fêtes, espace de santé sont mis à la disposition des ouvriers et des cadres. Sur le carrefour se regardent une maison de cadre, le dispensaire, la coopérative et les cités-logements, leur cours et buanderie communes, et leurs jardins.

Le commun est partout, à l’initiative de La Coloniale, puis de Lafarge. Ce qui n’est pas construit par l’entreprise elle-même profite de la mise à disposition des matériaux par l‘usine. 

Habitat ouvrier, maisons des cadres, équipement, poussière sur la peau au retour du travail, minéralité de la montagne,… : le ciment lie tout cela.

C’était la famille, il te donnait des cadeaux pour ton mariage par exemple. Moi quand j’ai épousé mon mari nous avons eu une maison là en- bas.” «Ils vous l’ont donnée?» je demande. «Non, on habitait sans payer, c’était la famille.»

Dans le récit de Maryse, la massif lui-même semble faire partie de ces équipements communs à une famille.

Je prenais la poussette avec mes petits, des jumeaux, et j’allais biberonner là-haut à pied. On allait pique-niquer à la table ronde, les enfants jouaient dans le château, allaient se baigner Aujourd’hui, les bâtiments industriels ont été détruits en grande partie et le site fait l’objet de travaux de décontamination. Des cités ouvrières de très petites dimensions ont été construites dès les années 1880, à la périphérie immédiate du site industriel. A Cossimont, on cueillait les asperges, on ramassait le bois du barbecue, on allait aux fleurs.

Et puis son visage, rayonnant dès qu’elle parle de ses “petits” se ferme, et l’oeil se mouille.

Maintenant il y a des carcasses de voitures brûlées, c‘est dommage. Le château est tout écroulé, je n’y vais plus, c’est trop triste.” 

LE TEMPS DE LA MOBILISATION

Deux heures avant, au café, ML s’autoproclame la bête noire de Lafarge. Voilà des années qu’elle se bat contre les poussières qui émanent des concasseurs et poudrent arbres, terrasses, poumons. Elle est partie prenante du collectif de protection de la Nerthe qui réveille aujourd’hui sa mobilisation en apprenant la mise en vente des terrains agricoles de la ferme Turc. La nouvelle réveille la crainte que Lafarge ne s’en saisisse.

Il ne s’agit d’ailleurs pas forcément de craindre une carrière mais de voir des espaces vécus et pratiqués comme publics passer aux mains d’une industrie privée. Nombre d’habitants après des années de lutte attendent toujours l’aboutissement d’une promesse de vente des terres au Conservatoire du Littoral.

 « Ils nous doivent tout, on leur doit quoi nous? Le ciment, tout ça” avec un geste sur les alentours” les constructions, … Mais sinon? Il n ‘y a plus que 13 ou 14 emplois dans l’usine, ça ne nourrit plus personne ici“.

 “C’est le site le plus pollué de France au niveau des poussières. Ce n’est pas de leur faute d’ailleurs, c’est de la faute de la géographie du site. Les jours de mistral, elles dégoulinent le vallon, poudrent les arbres de gris pendant parfois deux trois jours s’il ne pleut pas.

Retour chez Maryse

Et la pollution que pouvait provoquer ces usines vous en aviez conscience ? “ je demande à Maryse.

Il y avait 5 usines ici à L’Estaque :  La Coloniale, qui est devenue les chaux et ciments de Marseille, les ciments de Marseille, puis Lafarge, où j’ai travaillé après mon mariage. Ils réunissaient les époux dans la même entreprise, c’était plus simple pour les enfants, les horaires tout cela. Et puis tu pouvais te voir au travail.

Surle qui faisait de l’équarrissage et qui a été détruite.La Société minière et métallurgique Penarroya dont une partie du site est actuellement en décontamination. Rousselot, qui fabriquait de la gélatine à partir de carcasses animales.Kuhlmann où j’ai commencé à 17 ans. Mes vêtements puaient le sulfure de carbone quand je rentrais le soir.  On savait et on savait pas. On travaillait, on était bien content.”

“Mais ce sont les gens qui ont fait le mal” reprend Maryse.

“Les gens sont venus construire là-haut autour des usines. Il y avait des nuisances forcément, des poussières, du bruit, et du coup c’est monté en confrontation et ça a, en partie, détruit, défait les liens familiaux qui existaient entre l’entreprise, ses ouvriers et cadres.”

L’ENDROIT DU DEBAT

“Ça, c’est les années 70”

Jean déménage à cette époque à l’Estaque. Dès les années 50 une génération d’ouvriers espagnols et italiens avait commencé à quitter les logements ouvriers, peu à peu remplacés par les Kabyles venus d’Algérie. Dans les années 70, Lafarge vend son patrimoine de logements. Les employés sont prioritaires à l’achat.

Entre nous ça débat, qui a généré quoi, ou quoi a généré qui?

“C’était le début du recul industriel, ou son déplacement vers Fos. Et c’est à la fois l’accès à la propriété pour les ouvriers mais aussi le début des ventes et reventes de ce patrimoine. Et sans doute aussi qu’on commençait à prendre conscience des bords de mer, à les relier à d’autres fonctions, loisirs, etc. Les anciens logements ouvriers qui arrivent sur le marché de l’immobilier vont peu à peu devenir séduisants pour les “étrangers”, moi, les “bobos” du moment, ceux qui cherchent un cadre de vie différent du centre ville.”

 “En 1970, Kuhlmann ça marche. On retrouve au PC local Guédiguian et Malek Hamzaoui, qui feront ce film si nostalgique, Marius et Jeannette, sur une industrie qui péréclite, un milieu ouvrier qui disparaît. Dix ans après la vie ouvrière est morte, Kuhlmann ferme. 20 ans plus tard, c’est devenu trop cher pour nous pour acheter ici. C’est une autre génération d’”étrangers”, de “bobos” souvent précaires mais moins ancrés qui fuyant le centre ville sont venus s’installer ici.”

“En réalité, explique Jean, se superposent et se mêlent ici différentes vagues d’immigration et statuts d”étrangers”, les villages entiers italiens employés génération après génération dans les usines, l’immigration des années 20-30 puis d’après guerre venant des colonies avant la décolonisation, les migrations d’un quartier à l’autre de Marseille en recherche d’une meilleure qualité de vie… “ 

Et à nous d’oeuvrer pour nous relier sans ciment…

Récit écrit par Louise Nicollon des Abbayes

Pour rejoindre le collectif du protection du Massif de la Nerthe ou en savoir plus: https://www.facebook.com/pages/category/Cause/Collectif-de-Protection-du-Massif-de-la-Nerthe-201367896575969/



LE SENS DE LA PENTE, récit #5

On vous raconte les aventures du 1000 pattes, groupe d’explorateurs de grande proximité, des voisins qui marchent pour transmettre, comprendre, se rencontrer, créer et finalement mieux prendre soin de nos quartiers… Nous cheminons cette année le long de la pente qui du Massif de la Nerthe finira par nous conduire à la mer…

La part des sols, 2 mars 2020

LA SINUSOÏDALE D’AGNES

Nous sommes à La Déviation, ancien bâtiment technique de l’usine d’exploitation minière Lafarge. Acheté il y a quelques années par un groupe d’artistes issus de multiples disciplines, le lieu a pour but de fabriquer une alternative faite “ d’échanges, de compétences et de savoirs, de rencontres et de créations, (…) où le temps et l’espace nous appartiennent”.

L’espace a conservé ses mesures industrielles : les larges hangars se sont mutés en plateau de danse, atelier de construction ou “guinguette”, vaste espace modulable où se croisent marché de légumes frais, bar, représentations théâtrales ou dansées, concerts, expositions tout au long de l’année.  

C’est la première fois que cette exploration se fait assise, et à l’intérieur…

C’est un moment, une étape, dans notre descente du massif vers la mer où nous avons senti le besoin de faire un point. Ici le vallon se resserre, l’urbain devient plus dense, les espaces libres ressemblent plus à des délaissés industriels qu’à des îlots végétalisés.

Sur le tableau Agnès dessine une sinusoïdale.

Elle veut faire le point sur la géologie des massifs dont nous ressentons encore la présence ici ; La Déviation est lovée dans une ancienne carrière de calcaire dont des morceaux se détachent, mettant en danger les caravanes installées en dessous. L’entreprise Lafarge a la responsabilité de remettre ce lieu en état et l’on voit quelque petits hommes aujourd’ hui s’affairer sur la falaise pour poser un filet.

“La montagne, nous dit Agnès, est un paysage en « vagues » créées par la tectonique des plaques. C’est ce phénomène qui faisant affleurer les couches de roches les plus anciennes sous forme de colline les rend plus accessibles  et  permet notamment de faire l’exploitation en carrières ouvertes moins onéreuses que lorsque souterraines.

Ici la matière première, des marnes argilo-calcaires, n’a qu’une faible valeur marchande. Elle coûte moins cher que la main d’oeuvre, le combustible et le transport. Son exploitation, pour avoir un intérêt économique au regard industriel, repose donc sur un équilibre entre trois critères : la qualité du gisement, la facilité de son exploitation et la proximité de la demande. Le site de Lafarge à L’Estaque, ici, réunit ces trois conditions ; aujourd’hui les travaux urbains de Marseille et le projet Euroméditerranée aujourd’hui assurent une commande sur plusieurs dizaines d’années.

Depuis l’antiquité jusqu’au 19ème siècle, ces conditions (qualités, facilité, proximité) sont honorées déjà par de petits exploitants locaux de chaux. Une multitude de fours à chaux encore visibles dans les massifs manifestent d’exploitations à mesure familiale : petites structures de pierre sphériques où le calcaire prélevé à proximité est cuit pour former la chaux vive, base de mortier de construction.

A partir de la fin des années 1850, cette production locale s’industrialise. Trois entreprises familiales obtiennent des autorisations pour multiplier les fours : 3 fours en 1856 pour Giraud, trois fours en 1858 pour Antoine Puget, trois fours en 1869  pour Dominique Luçon.

Le début du 20ème siècle voit l’entrée de capitaux et acteurs nouveaux. Lindenmeyer est un patron protestant d’origine suisse. Avec son associé l’ingénieur Henri Liquet, ils acquièrent les infrastructures construites dans le dernier quart du siècle précédent par les chaufourniers Charles et Joseph Chauffert. Il s’agit d’un ensemble de hangars, fours, et logements collectifs assurant autant la production que l’habitat des ouvriers.

Lindenmeyer et Liquet obtiennent en 1913 l’autorisation d’en adapter les équipements en vue de produire non plus (seulement) de la chaux mais du ciment Portland artificiel à partir des matières premières déjà en exploitation à la Nerthe. La Société Coloniale de Chaux et de Ciments de Marseille, dite “La Coloniale” voit le jour.

De la chaux au ciment, il y a un lien logique d’infrastructures et de matière première qui fait muter l’industrie de plâtre et chaux vers l’industrie du ciment. Le grappier, rebut du blutage de la chaux, est déjà utilisé par les ouvriers des entreprises pour la construction de leurs habitations. Une fois broyé et éteint à la vapeur afin d’éviter tout gonflement, ce grappier devient dans les mains des ingénieurs un ciment de type Portland présentant plusieurs qualités majeures : une prise plus rapide et une résistance supérieure à celle de la chaux .

En 1950, la société toujours conduite par André Lindenmeyer devient Cimenterie de Marseille et outremer, jusqu’en 1970 où par absence de candidat familial à la succession de Lindenmeyer la société devient élément d’un groupe industriel de taille internationale, Lafarge.

Plusieurs évolutions réglementaires notables interviennent alors dans le code minier. En 1970, les carrières importantes sont désormais soumises à autorisation préfectorale puis assimilées en 1993 à des installations classées pour la protection de l’environnement. Il suffisait jusqu’alors d’une simple déclaration au maire de la commune concernée pour exploiter une carrière. Aucune mesure de réaménagement n’était par ailleurs imposée ; la carrière devenue infructueuse était laissée en état.

Le lac dont nous parlions auparavant est exemplaire de l’évolution de ces différentes réglementations. Ancienne carrière de marnes abandonnée à l’arrêt de l’activité cimenterie, elle accueille la remontée des sources, ou la récupération des eaux de pluie (Lafarge et les habitants ne sont pas d’accord sur ce point) et devient lac. Le lac est utilisé pendant plusieurs années comme un lieu de baignade par les habitants. En 2011, il retrouve un usage aux yeux de Lafarge et se voit réaffecté à une nouvelle activité économique de l’entreprise: le stockage de déchets inertes.


L’USINE, LES TONGUES ET LES JOURS LIBRES DE ROBERT

Robert est administrateur avec Francis du groupe Facebook “Tu es de l’Estaque si”. Il n’habite plus l’Estaque mais a rejoint les collines de l’arrière pays. C’est pourtant chez lui ici. Il y a grandi, travaillé, évité de devenir “un mauvais garçon” grâce à l’usine, “vécu les plus belles années de sa vie”.

Robert parle. Il parle d’une époque où la manière de vivre et de travailler au sein de l’entreprise Kuhlmann, était complètement différente d’ailleurs : on se baladait en tongues, on fumait dans l’usine, on faisait le barbecue, on mangeait avec les ingénieurs.

Robert se rappelle de ANTAR publicité : «Un métier où on peut faire des actes gratuits est un métier d’homme libre ». Un homme donnait une clé à molette à son collègue. Il faisait alors des journées de 12 h, 6 fois par semaine, et restait parfois à l’atelier le dimanche pour voir et aider les collègues. ”Tout le monde le faisait, on ne demandait pas de paiement d’heures supplémentaires. Il y avait la lutte des classes mais pas de conflit vraiment. Quelques grèves mais pas beaucoup.”

Cet échauffement en salle appelle alors le plein air. La pluie s’est calmée, nous décidons de poursuivre un peu notre descente de la pente.

Vers l’ancien site de stockage de la Coloniale puis Lafarge, en contrebas, Robert nous montrera alors ses formes de rochers préférés sur la falaise d’en face. Au-dessus de nous des arcades en désuétude témoignent des installations industrielles construites par La Coloniale pour faire du sens de la pente une opportunité. La matière première est transportée depuis la carrière en haut par des wagonnets qui glissent le long d’une trémie circulaire vers l’usine en contrebas. Déversée dans des silos, elle est broyée et additionnée de composants chimiques différents en fonction du ciment que l’on veut obtenir. C’est le cru. Ce mélange sec est passé au four pour obtenir un produit vitrifié : le clinker, puis re-broyé, pulvérisé, ensaché empilé dans les camions. Les camions franchissent les arcades du viaduc SNCF sous lesquelles se trouve toujours la balance.

LE CHEMIN DU CIMENT

Nous tentons nous aussi de suivre ce chemin des matériaux.

Aujourd’hui , parmi les différents sites en possession de Lafarge sur le massif, seule la carrière Galland est en activité d’extraction. Lafarge a cessé d’y produire du ciment à la fin des années 80 pour se consacrer à la production de granulat calcaire puis plus récemment diversifier son activité avec la gestion des déchets inertes. En contrebas de l’actuelle Déviation, les équipements liés à la production du ciment sont donc devenus désuets, les fours et les bâtiments administratifs détruits, et les espaces laissés vacants.


Alors que les cheminements publics ne nous laissent pas d’autre option que la route, nos bonnes relations de voisinage nous permettent de passer les portails et d’aller à la rencontre de Gilbert. Artiste il s’est installé dans ces espaces avec sa compagne et y a recomposé lieu d’habitation et atelier.


On y reconnaît facilement le décor du film Marius et Jeannette, en même temps que l’on ressent le dépaysement de regarder ce qu’on connaît déjà d”un autre point de vue”.

L’ÂNE ET LE VIADUC DE JEAN-PIERRE

Plus bas encore sous le viaduc de la ligne PLM, Jean-Pierre loue une partie de l’ancien site de distribution à Lafarge, dont subsiste encore l’énorme écran de balance pour peser les camions. Il est lui aussi “fils des usines de l’Estaque”,  ses parents venant de villages siciliens où les entreprises venaient embaucher en masse. 

C’est maintenant le lieu où en parallèle de son travail il fait ce qu’il aime, avoir des animaux, “s’en occuper bien”. Des ânes et des chèvres. Par terre des petites billes égales noires et blanches. Certaines sont des crottes de chèvres séchées, d’autres des résidus du broyage du ciment.

Nous quittons en nous promettant de nous revoir très bientôt, aucun de nous n’imaginais alors que c’est la pente du confinement qu’il faudrait pour quelques mois éprouver…

Les contenus de ce récit ont été produits par Agnès, Mathilde, Robert, Françoise, Danièle, Louise, Julie et la conversation collective, puis remis en forme par Louise et Julie.

Hôtel du Nord s’envole pour Novi Sad

Novi Sad, seconde ville de Serbie, sera capitale européenne de la culture en 2021. Elle participe depuis 2017 aux travaux du réseau de la Convention de Faro au côté d’Hôtel du Nord. Elle était présente comme Hôtel du Nord mi mai au dernier forum de Faro à Lisbonne sur le rôle du patrimoine culturel dans la régénération de communauté.

L’équipe de la Capitale européenne de la culture a invité Hôtel du Nord à venir partager son expérience marseillaise et de coopération avec d’autres villes en Europe comme Venise ou Pilsen. Ce sera l’occasion de présenter les avancées de la plateforme coopérative Les oiseaux de passage, notamment ses premières destinations en Europe et méditerranée.

Virginie, sociétaire de longue date d’Hôtel du Nord, et hôte chez elle comme en balade, s’y rendra du 6 au 10 juin pour rencontrer les communautés patrimoniales, découvrir les initiatives locales comme les balades patrimoniales et d’imaginer de futures coopérations. Des nouvelles dès mis juin.

Droits et précarité artistique

Apparemment pour Pole emploi, être artiste ce n’est pas être « créateur » d’activité. Pourtant, de nombreux artistes contribuent à l’activité de notre coopérative, ils sont même essentiels, comme les Éditions commune qui ont édité les neuf récits d’hospitalité d’Hôtel du Nord que nous continuons à partager, à commercialiser et à utiliser pour la création de nouvelles activités comme des balades patrimoniales.

Pôle emploi réclame 10.000 euros à Martine Derain, créatrice des Éditions commune, pour les allocations qu’elle a perçues sur les trois dernières années lorsque au chômage, elle développait de nouvelles activités. Un créateur ou repreneur d’entreprise peut opter pour le maintien de ses allocations d’aide au retour à l’emploi (ARE) jusqu’au terme de ses droits. Un artiste non. Si l’État parle bien de « création d’activité », les mesures d’accompagnement concernent la création « d’entreprise », terminologie qui ne fait pas l’objet d’une réelle définition légale et qui, in fine, pour Pole emploi, se borne aux “entreprises lucratives”.

Pôle emploi considère donc un artiste comme « bénévole » lorsqu’il crée son activité et les autres créateurs d’activités, non artistiques, comme « entrepreneur », leur accordant alors le maintien de leurs allocations.

Comme de nombreux artistes, faute d’un statut reconnu comme le décrit bien Christine Breton dans le texte qui suit, Martine alterne depuis 30 ans, droits d’auteur, vacations en écoles d’art ou d’architecture, autrefois et parfois emplois aidés sur des métiers où elle eu besoin d’être formée, enfin salariée du régime général CDD sur des missions de direction artistique à l’intérieur d’associations d’artistes – et chômage quand ces missions de direction sont achevées. Entre ces périodes salariées, c’est-à-dire quand elle est au chômage, elle conçoit et propose des projets à un réseau d’associations qui l’emploient régulièrement, projets dont elle est parfois la responsable artistique auprès des tutelles. Elle a également accepté un mandat de trésorière après d’un gros projet pour Marseille-Provence 2013 dans l’une de ces associations et ce pour transmettre aux plus jeunes ses compétences administratives.

Pôle emploi qualifie de “bénévole” cet investissement et non de « création d’activité » pour ensuite s’appuyer sur un arrêt récent (mai 2017) de la cour de cassation concernant l’article L5425-8 du Code du Travail qui dit que si tout demandeur d’emploi peut exercer une activité bénévole, cette activité ne peut s’accomplir chez un précédent employeur, ni se substituer à un emploi salarié, et doit rester compatible avec l’obligation de recherche d’emploi.

Les artistes ne sont pas reconnus comme des “créateurs d’activités” mais comme des “bénévoles”, terminologie tout autant flou juridiquement que celle « d’entrepreneur ».

Christine Breton, sociétaire elle aussi d’Hôtel du Nord, revient dans le texte joint sur ce « cas mal posé » alors que “le statut des artistes n’est toujours pas clarifié”.

Ou bien si, si l’on considère qu’ils ne créent pas d’activité. Comme coopérative, nous ne pouvons que témoigner du contraire et nous inquiéter de cette situation qui met en péril notre propre activité et fragilise nombre de nos sociétaires, déjà fortement précarisés ces dernières années. Nous publions le texte de Christine Breton pour contribuer à ce débat et accompagner Martine Derain dans la bataille juridique qui s’annonce.

 

Le cas de l’artiste-éditrice Martine Derain

Contentieux Pôle emploi. Témoignage de Christine Breton, Conservateur honoraire du patrimoine.

Je tiens à témoigner dans le cas cité afin de souligner les enjeux collectifs qu’il fait apparaitre pour la création artistique et pour la politique culturelle publique.

Pour ce faire je compte m’appuyer sur mon expérience professionnelle de fonctionnaire que je résume aux trois terrains qui concernent le différend :

  • de 1973 à 1986, Conservateur au Musée des Beaux-Arts de Grenoble puis de deux Fonds Régionaux d’Art Contemporain (FRAC), je suis chargée des acquisitions et de la valorisation de collections publiques françaises, spécialisée en art contemporain, docteur en histoire ;
  • de 1987 à 1995, Conservateur chargée de mission à la Ville de Marseille, j’ai la responsabilité de la politique culturelle dans l’équipe de Dominique Wallon, soit création, musée, recherche, école d’art et marché de l’art, j’enseigne aussi à l’université ;
  • enfin, de 1995 à 2010, date de ma retraite, Conservateur sur un programme Ville-Etat-Conseil de l’Europe, je mène la première mission expérimentale européenne de Patrimoine intégré, dans le contexte des quartiers nord de Marseille.

1 – Enjeux pour la politique culturelle publique.

Avant tout, il me semble que le cas cité est mal posé. Le différend qu’il décrit relève d’une évolution des services publics de l’emploi, de l’économie et de la culture. Son règlement doit être interne, entre les administrations concernées. Les artistes que ces services ont la charge d’accompagner ne peuvent servir de prétexte. Que Pôle Emploi oblige Martine Derain à aller devant le Tribunal de Grande Instance ne peut être concevable au regard de l’histoire des politiques publiques que je me propose de re-contextuer.

J’ai rencontré Martine Derain, artiste autodidacte arrivée à Marseille en 1986, dans le cadre des projets de l’association Casa factori qu’elle avait co-fondée. En 1988 D. Wallon avait décidé de mettre en mouvement le cycle de l’art et j’accompagnais tous les acteurs qui allaient enclencher la fameuse “Movida” marseillaise. Divisé en 4 parties égales et dépendantes les unes des autres, la mise en mouvement du cycle de l’art s’est faite avec peu de moyens publics tant sa potentialité est riche :

* Le quart des musées remplit la fonction de référence. C’est le corps de symboles qui nous fait citoyens de la République française. C’est une institution décentralisée, municipale, créée par la Terreur et organisée par Jules Ferry.

* Le quart de la seconde institution publique, municipale, l’école d’art, remplit la fonction de transmission. L’artiste du passé transmet ses savoirs-faire à l’artiste du futur. Cela se passe dans la connaissance et dans l’exemplarité des artistes.

* Le quart des artistes remplit la fonction de production. Autodidactes ou sortis de l’école d’art ils ont perdus leur statut Etudiant. Aucun statut ne les attend de l’autre côté de ce passage. Ils ne bénéficient pas de celui d’intermittents du spectacle. Il leur reste à monnayer leurs diplômes dans l’enseignement. Ils peuvent s’organiser en réseaux, en ateliers ou galeries d’artistes avec le statut d’associations loi 1901. Ils peuvent se déclarer auto-entrepreneurs pour poursuivre leur recherche et leur production artistique. Ils peuvent adhérer à la Maison des artistes ou à l’AGESSA.

* Le dernier quart est celui du marché de l’art qui remplit la fonction de diffusion : achats, ventes,

échanges de la production artistique. Il est régi par la loi du marché. L’art contemporain est devenu valeur refuge dans la financiarisation actuelle.

Mettre en mouvement les 4 fonctions imposait, en priorité à Marseille, d’accompagner le quart le plus fragile dont tout le reste dépend : les artistes, les producteurs. Ma mission devait être inventive et diversifiée :

–       avec les services sociaux, permettre au cas par cas la sortie du sous-prolétariat et de la misère ;

–       avec les services de Pôle Emploi faire reconnaître leur spécificité et chercher une solution statutaire ;

–       avec les services municipaux restaurer les lois qui favorisent la commande publique aux artistes comme le 1% ;

–       avec les services de l’économie relancer le marché de l’art via le soutien aux galeries associatives, les achats au fonds communal restauré et les participations aux foires internationales d’art;

–       avec les artistes inventer des co-éditions de catalogues ou livres spécialisés pour les faire connaître, des co-commandes, des co-installations de l’outil de travail qu’est l’atelier d’artistes ;

–       avec les services culturels soutenir les actions en réseau des artistes ;

–       avec les logeurs publics négocier pour intégrer des ateliers-logements dans leurs programmes, etc…

Je dois avouer une limite à l’issue de ma mission en 1995 : le statut des artistes n’était toujours pas clarifié. Faiblesse qui allait produire un effet pervers lors du changement de municipalité. Le clientélisme a remis à l’honneur les subventions au lieu des accompagnements théoriques et

économiques. Les subventions se sont raréfiées créant encore plus de misère et la nécessité pour les artistes de jongler encore plus vite entre les statuts acquis.

Le cas Martine Derain montre bien comment dans le cadre légal une même personne doit passer d’artiste à directrice artistique à chômeuse à mandataire associative pour rester en vie et dans le mouvement de sa propre création. La multiplication des collaborations entre associations comme la multiplication des échelles territoriales sont le signe d’une profonde transformation de la recherche artistique. Plus holistique, elle doit trouver les moyens de transcender les classifications et les métiers devenus obsolètes.

2 – Enjeux pour la création artistique

On pourra objecter que mon témoignage n’est pas recevable car je suis juge et partie ayant été moi même publiée dans la maison d’édition animée par Martine Derain : “les éditions commune”. Je vais effectivement m’appuyer sur cette expérience à la frontière entre mon travail de chercheuse et celui de conservateur pour témoigner dans son cas des enjeux collectifs en matière de création artistique.

En 2010, lors de ma retraite, j’ai pu entreprendre le grand chantier des “Récits d’hospitalité”. En neuf livres et trois ans de recherches, j’ai tenté l’écriture de l’histoire des quartiers dont j’avais partagé durant

15 ans l’aventure patrimoniale. Il s’agissait d’une double expérimentation de la pratique du patrimoine intégré et de l’écriture de l’histoire dans son contexte. Il n’était donc pas question pour moi de choisir une maison d’édition issue de mon milieu patrimonial par trop spécialisé. A l’inverse je ne pouvais choisir une maison d’édition grand public car trop tentée par le « scoop » du quartier mis au ban. J’ai cherché une maison d’édition capable de création formelle et stratégique. C’est ainsi que j’ai sollicité les “éditions commune”. Un long partenariat intellectuel a alors commencé. Dès 2013 les 9 ouvrages ont été édités puis vendus dans les librairies spécialisées et dans les lieux improbables des quartiers concernés. Certains d’entre eux sont d’ores et déjà épuisés.

Voilà ce qu’a su créer l’artiste-éditrice, un nouvel espace de diffusion des idées et des créations artistiques. Situation unique ! Je n’aurais jamais pu trouver un autre espace pour restituer mes recherches. J’ai alors compris la cohérence du processus de Martine Derain commencé avec le journal mural collectif créé via l’association “Casa Factori”. Voilà la meilleure école pragmatique pour aborder le rapport aux publics. Et c’est cette école que Pôle Emploi réfute. Pourtant en tant que Service public, nous devrions être tous fiers d’avoir participé au développement de cette aventure de 30 ans.

30 ans : le temps de formation d’un être humain. 30 ans de dépenses publiques tel un investissement que l’on dénie au moment d’en cueillir les fruits. Comme si nous, les responsables de politiques culturelles, nous nous étions trompés dans notre diagnostique collectif!

La lecture inversée des textes tronqués de la loi de 1901 et de celle de 1998 par Pôle Emploi vide leur contenu et donc le sens. Inversement l’article 103 de la loi N.O.T.Re de 2015 concernant les droits culturels des citoyens et la loi relative à la liberté de la création, à l’Architecture et au Patrimoine du 7 juillet 2015, comme les textes européens dont la Convention de Faro, donnent raison à Martine Derain créatrice et citoyenne.

En espérant que mon témoignage contribuera à la solution de ce différend.

Christine Breton, Conservateur honoraire du Patrimoine.