Aurélie Roperch : « J’irai dormir dans les quartiers nord », 3ème prix Charles Gide

Charles GideL’article « J’irai dormir dans les quartiers nord » de Aurélie Roperch de l’École de Journalisme et de communication d’Aix-Marseille  a reçu le troisième prix Charles Gide du  »meilleur reportage en économie sociale » de la Fondation du Crédit Coopératif. Ce prix décerné par un jury d’une dizaine de professionnels s’adresse aux étudiants de dernière année des 13 écoles de journalisme reconnues par la profession. Nous avons trois raisons de remercier Aurélie Roperch pour son article.

Ce prix permets à une jeune journaliste d’avoir pu faire reconnaitre son talent en prenant comme sujet la coopérative d’habitants Hôtel du Nord.

Charles Gide fut un grand défenseur et théoricien des coopératives de consommateurs (voir sur wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Gide).

Ce prix promeut une expérience coopérative marseillaise. Marseille a été à la fois le lieu de l’abandon et de l’espérance coopérative. En 1888, c’est au congrès de Marseille que les espérances coopératives nées de la révolution de 1848 ont été abandonnées au profit d’un partie des travailleurs uniques[1]; en 1940 c’est à Marseille qu’une coopérative ouvrière, la fabrique de biscuits « Le fruit mordoré » est fondée et fera travailler 200 réfugiés jusqu’en 1942; c’est à Marseille que de 1944 à 1946 que les recommandations du Conseil de la Résistance qui préconisait l’instauration d’une « véritable démocratie économique et sociale » ont donné lieu à une expérience d’autogestion d’entreprise unique en France avecMARseille ENtreprises REQuisitionnées : 15.000 ouvriers ont ainsi accédé et participé à la gestion de 15 entreprises marseillaises[2].  Enfin, c’est aussi à Marseille que se réinvente la coopérative de consommateurs avec Autopartage ProvenceProxi-pousse ou Hôtel du Nord sans oublier dernièrement Fralib où le syndicalisme renoue avec la coopérative (voir article du Monde du 18 juin 2013[3]).

J’irai dormir dans les quartiers nord

Contempler la Méditerranée, l’arrière-port industriel ou la garrigue, mais depuis les cités. À Marseille, une coopérative créée par des habitants propose des chambres d’hôte dans des quartiers habituellement peu fréquentés par les touristes.

La baie vitrée s’ouvre sur une terrasse baignée de lumière. Le soleil rasant d’hiver découpe le paysage en objets scintillants. À perte de vue, la mer, majestueuse et rayonnante, impose son immense présence. « La vue sur la Méditerranée alors qu’on est dans les quartiers nord, ça étonne toujours», s’amuse Virginie Lombard. Cette Parisienne de 49 ans vit depuis treize ans dans le 15e arrondissement de Marseille. Depuis novembre dernier, elle loue la chambre de son appartement du quatrième étage de la cité de la Cabucelle par le biais de la coopérative Hôtel du Nord. Des habitants ont concrétisé cette initiative originale il y a deux ans : louer leurs chambres, au cœur des cités, pour faire découvrir les richesses ignorées de la banlieue marseillaise.

Hôtel du Nord est l’une des premières coopératives en France à donner la parole majoritairement aux habitants. L’idée a vu le jour sur un pari : « On a pensé qu’il était possible de développer une offre d’hospitalité et de découverte marchande dans les quartiers nord et que celle-ci rencontrerait une demande », explique Prosper Wanner, le gérant. Cet ingénieur de formation s’est retrouvé à la tête d’un projet pensé dès les années 1990. « J’ai rencontré un collectif de conservateurs du patrimoine qui militaient sur ce territoire. Il y a quelques années, ils avaient publié un manifeste pour protester contre un projet de modernisation de l’administration. Pour eux, les musées étaient en décalage avec le territoire sur lequel ils s’implantaient », raconte-t-il. À l’époque cogérant d’une coopérative qui accompagne les structures économiques innovantes, il rejoint le concept d’Hôtel du Nord en 2002. « Ils sont venus me demander comment faire pour développer une économie qui impliquerait les habitants. On a fait des stages de création d’entreprise, des rapports sur les notions de patrimoine et économie, des tentatives d’actions commune sur le terrain, etc. » Trois ans plus tard, l’Europe leur fournit un premier cadre législatif de référence : la Convention de Faro, qui reconnaît que « chaque personne, seule ou en commun, a le droit de bénéficier du patrimoine culturel et de contribuer à son enrichissement ». Si la France ignore le texte, la mairie des 15e et 16e arrondissements de Marseille en devient le premier signataire en 2009. Un soutien local qui permet le lancement, l’année suivante, de cinq chambres d’hôtes dans les quartiers. Face au succès de cette période-test, la coopérative patrimoniale Hôtel du Nord est officiellement mise en place l’année suivante.

Des chambres à partir de cinq euros

Aujourd’hui, l’équipe gérée par Prosper Wanner compte une cinquantaine de membres dont trente sociétaires. « Une bonne bande de motivés », plaisante Virginie. Cette botaniste et animatrice de jardins partagés a fréquenté la coopérative pendant six mois avant de devenir sociétaire. « Des collectifs d’artistes locaux m’ont fait connaître Hôtel du Nord il y a un an et demi. Ce

qui m’a intéressée, c’est que le touriste, comme l’habitant, découvre en marchant toute la richesse des quartiers! » Cinq mois plus tard, elle décide d’ouvrir sa chambre. Pour Prosper Wanner, « l’enjeu est de faire se croiser les gens. Comment s’adresser à tous, sachant que nous sommes sur des quartiers très diversifiés en termes d’habitats, de catégories sociales, etc. ? »

Un autre obstacle, légal cette fois, empêche certains locataires de devenir hôte. Si Virginie, dont l’immeuble est en copropriété, peut louer son bien, les locataires d’habitats sociaux n’en ont pas le droit. Être chambre d’hôte est assimilé à de la sous-location, une pratique aujourd’hui illicite que la coopérative essaie de faire accepter. La sénatrice-maire du 15e et 16e arrondissements, Samia Ghali, prépare actuellement une proposition de loi pour que l’activité de chambre d’hôte soit occasionnellement possible en habitat social.

En attendant d’élargir l’offre d’hébergement, trente-six chambres en appartements, maisonnettes ou en bastides sont déjà disponibles. Les prix, fixés librement par chaque hôte, varient entre 5 et 160 euros. La coopérative récupère un pourcentage de 10% sur le nombre de nuitées tarifées. Le reste revient aux hôtes. Mais pour Virginie, comme pour Michèle Rauzier, propriétaire d’une de ces bastides, la recette n’est pas la motivation première. « On reçoit des gens charmants avec qui on crée des liens. Certains sont même devenus des amis. C’est ce qui me tient à cœur. Mais cela ne me déplaît pas de gagner un petit peu d’argent : une maison comme ça, c’est un véritable gouffre financier ! », confie la jeune retraitée en dévoilant sa propriété. Dans un écrin de verdure, accolée à un phare, la grande maison aux volets bleus surplombe le quartier et offre une large vue sur le port industriel. Un paysage que l’on peut aussi admirer depuis la chambre que loue Michèle. « Ne faites pas trop attention, le dernier hôte vient de partir, je n’ai pas encore fait le ménage », s’excuse-t-elle en arrangeant le lit de la pièce d’un blanc immaculé. Pour cette fille d’un patron de bar, l’hospitalité est une seconde nature. « Je reçois des gens comme si je recevais de la famille, j’ai toujours vécu comme ça depuis que je suis petite », revendique-t-elle.

Un accueil qui a été tout aussi chaleureux pour Daniel et Martine Pattin, qui viennent tout juste de quitter l’appartement de Virginie après un week-end. « C’est une bonne surprise, on est très contents. Nous sommes déjà venus à Marseille il y a cinq ans mais cette fois, on n’a pas eu l’impression d’être des touristes mais plutôt d’être invités », relate Martine. C’est après avoir découvert Hôtel du Nord dans un magazine que le couple de Parisiens a contacté Virginie via le site internet de la coopérative. « L’intérêt de cet hébergement, c’est vraiment d’être inséré dans la ville, de vivre la vie de quartier. Mais il y a aussi les produits locaux, l’histoire et la mémoire du patrimoine, c’est ce qui fait la différence », conclut Daniel.

Une autre image des quartiers nord

Développer l’hospitalité dans les quartiers, c’est aussi pour faire oublier le tableau noir qu’on dresse trop souvent de Marseille, notamment dans les médias: règlements de compte liés au trafic de drogue, vols de bijoux, saleté de la ville, etc. « On s’appuie sur un projet militant. Les quartiers nord ont des histoires passionnantes, mais elles restent sans doute à écrire et à raconter », commente Julie de Muer. Cette sociétaire participe à l’autre activité-phare de la coopérative : les balades patrimoniales, qui révèlent des petits coins de paradis à deux pas des quartiers bétonnés. Pour six euros, on découvre des massifs de calcaire en grimpant à travers la garrigue, des ruines d’une ancienne civilisation celtique ou encore une cascade dépaysante à deux pas seulement des cités. Pour compléter ces parcours, la coopérative, inscrite dans le Guide du Routard 2013, propose également des livres, Les Récits d’hospitalités, une dizaine de produits locaux, dont du savon artisanal, et du miel produit dans les quartiers.

Depuis sa création, Hôtel du Nord, qui reçoit des soutiens financiers de structures publiques, clôture ses bilans à l’équilibre. En deux ans elle a généré une activité économique globale de 42 500 euros, dont 20 000 euros de recettes via les chambres. Le nombre de nuitées a plus que triplé et les balades attirent de plus en plus d’amateurs. Aujourd’hui, son activité est ralentie par un problème de statut juridique. Atout France, l’agence chargée par l’État de gérer le développement touristique, ne prend pas en compte sa nature coopérative et l’oblige à faire un choix : faire appel à une agence de voyage pour continuer à proposer ses offres, ou bien payer la caution pour être enregistrée comme telle.

En tant que coopérative, Hôtel du Nord demande à être reconnue comme agence de voyage solidaire. Une requête que Prosper Wanner a envoyé mi-avril au ministre de l’économie sociale et solidaire, Benoît Hamon. « Si nous obtenons gain de cause, nous pourrions vendre des séjours, des forfaits nuitées plus balade, ou bien nuitées plus ouvrage, sans passer par une agence de voyage », espère-t-il. En attendant de régler ses obstacles juridiques, Hôtel du Nord ne perd pas de vue les millions de touristes attendus cet été pour l’année 2013, pour laquelle Marseille a été désignée capitale européenne de la culture. Une vingtaine de balades et une douzaine de chambres supplémentaires sont en cours d’ouverture.

Aurélie Roperch, Ecole de Journalisme et de communication d’Aix-Marseille

 

[1] Considérant que les sociétés coopératives de production et de consommation ne peuvent améliorer le sort d’un petit nombre de privilégié dans une faible proportion, le Congrés déclare que les société coopératives ne peuvent aucunement être considérées comme des moyens assez puissants pour arriver à l’émancipation du prolétariat.  Les coopératives deviennent des outils de propagande du partie des travailleurs socialistes de France créé à l’issu du congrès

[2] Sur les coopératives : http://hoteldunord.coop/la-cooperative-hotel-du-nord/patrimoine-cooperatif/

[3] Lire l’article « 40 ans après « Lip », le modèle coopératif reste une alternative aux restructurations », Le monde 18 juin 2013 :http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/06/18/cooperatives-et-syndicats-un-mariage-de-raison-pour-lutter-contre-les-restructurations_3432214_3234.html

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